La permanence de la lutte
Depuis pratiquement le début de l’occupation coloniale en 1830 et jusqu’à 1847, l’émir Abdelkader leva le flambeau de la libération et mena une lutte souvent victorieuse contre le colonialisme français. Vers 1860, la première révolte armée des Ouled Sidi Cheikh dans le Sud Oranais, menaça sérieusement le présence française en Algérie ; lutte reprise en 1882 par les Ouled Sidi Cheikh avec la même intensité. Entre temps, en 1871, éclatait la révolution d’El Mokrani, dans l’Est algérien, qui faillit bien tout emporter. Encore ne s’agit-il ici que des révolutions armées ayant un caractère global, national, voire maghrébin, puisque la lutte de l’émir Abdelkader déterminera un conflit armé entre la France et le Maroc avec la bataille d’Isly qui se déroula non loin de la frontière algéro-marocaine.
Il y eut bien d’autres luttes armées qui, même si elles furent de moindre importance, n’en constituèrent pas moins un sujet de préoccupation sérieux pour le colonialisme français. Le soulèvement du Dahra s’étendit sur plus de deux cent kilomètres entre Ténès et Mostaganem et auquel fut lié le nom de Boumaza ; le soulèvement de Zaatchas dans l’Est algérien lié au nom de Bouziane ; celui de Marguerite près de Miliana, de Flatters dans le Sahara, les soulèvements des Aurès et des environs de Tlemcen en 1914 contre l’institution du service militaire pour les Algériens.
L’énumération qui précède n’a d’autre objet que celui de souligner une permanence : l’élan irrésistible de tout un peuple dans son combat contre l’occupant étranger. Ce peuple paiera un prix effroyablement élevé le droit de redevenir enfin maître de sa destinée. Deux millions d’Algériens et d’Algériennes sur les 4 millions que comptait alors l’Algérie de 1830, seront fauchés lors des quinze années de la lutte menée par l’émir Abdelkader. Récemment, au cours de la Révolution de Novembre 1954 qui prit fin en 1862, sur 8 millions, l’Algérie se verra amputée de 1 million et demi de ses enfants. A ces chiffres astronomiques, il faut ajouter les centaines de milliers d’autres victimes qui ont péri lors des deux soulèvements des Ouled Sidi Cheikh, en 1869 et 1880, dont chacun dura plus de deux ans ; celles du soulèvement armé de Mokrani qui embrasa presque toute l’Algérie. Qui pourra faire le sinistre décompte de ces morts, de ceux du Dahra, de Zaatchas, de Marguerite, des Flatters, des Aurès et de bien d’autres combats encore... ?
La révolution armée du 1er novembre 1954 s’inscrit dans cette mouvance permanente : le refus global d’un peuple à se soumettre, à plier devant la force brutale et meurtrière d’un colonialisme tout puissant, bardé de sciences et de technologies.
L’invariance : l’Islam
Parfois, ce peuple fut obligé de reculer devant la force aveugle et barbare de la supériorité des engins de mort lancés contre lui ; ses ressorts, tendus à l’extrême, avaient besoin, de temps en temps d’une pause, pour ne pas se rompre, pour ne pas se briser définitivement. Mais, répondant à un appel lancinant, parfois ténu, surgi du plus profond de lui-même, le peuple algérien fit face à son destin, reprenant aussitôt son combat pour renaître, pour imposer son droit à la vie. Pour cela, il dût puiser cette volonté de lutter et de combattre dans les limites extrêmes de ses sources physiques et morales. Un facteur irrigua en permanence ce comportement, impulsa ces ressorts mentaux : l’Islam. Dans ce terreau fécond s’ancrent nos motivations profondes, nos latences. C’est notre sanctuaire. Quand il nous faut accomplir un geste capital, un effort suprême, quand le mur de nos certitudes s’effondre, que les coups pleuvent sur nous et que notre être profond est menacé, c’est vers ce sanctuaire que nous nous tournons, que nous cherchons refuge, pour reprendre notre souffle, pour puiser la force de poursuivre le combat.
C’est là une réalité qui a fait, qui fait, la texture même de notre vie. Si la colonisation a finalement échoué, cela est dû à un fait irréfragable : l’Islam. Qui n’a pas compris cela, n’a rien compris à la révolution algérienne, n’a pas saisi l’intelligence profonde des événements qui se sont déroulés sur notre terrain. On peut arguer d’autres facteurs qui y ont contribué, en premier lieu, le génie de notre peuple. Certes le peuple algérien cultive une qualité suprême ; il est de ceux qui savent dire : Non ! Et l’on sait combien les refus, plus que les acquiescements, sanctionnent un sort et déterminent une destinée. « Garde le Mim, et le Mim te gardera » (Min est la première lettre de la négation et du rejet en arabe) ; c’est tout un peuple aux côtés des Hachems de Abdelkader qui lancera ce dicton à la face du général Bugeaud en 1841. On pourrait énumérer encore bien d’autres traits de caractères innés de notre peuple admirablement doué dans les grands moments. Mais ce ne sont point ces traits caractéristiques, à eux seuls, qui peuvent expliquer toute une histoire, ni encore moins la fonder. Le levier puissant, c’est la base indestructible de notre archéologie, l’élément essentiel de ce subconscient si bien décrit par Jung, de notre psyché, enfoui au tréfonds de notre être et qui, pourtant, commande notre vie.
Ce qui précède a pour but de situer d’emblée le cadre de notre recherche, le sens profond de sa problématique. Ce cadre peut certes, paraître arbitraire, trop exigu, s’agissant de ce qui nous intéresse. En effet, comment traiter de la révolution algérienne sans traiter des causes de la colonisation, de la période turque qui l’a précédée ; de la course dans le bassin méditerranéen, et, plus loin, des rapports du monde de l’Islam avec la chrétienté. Les rapports, principalement avec l’Espagne, l’histoire de l’Andalousie musulmane, de la reconquista et l’occupation de Tanger, de la côte nord-africaine par les Portugais, mais surtout par les Espagnols, les enclaves de Mers El Kebir, Oran, Djidjelli, Bône, Djerba et Tripoli qu’ils ont souvent occupées ; ces rapports ne forment-ils pas la trame serrée des faits qui vont peser d’une manière décisive sur ce qui se passera par la suite ?
Nous voilà ainsi contraints d’élargir le cadre de nos investigations, de fixer avec rigueur un cheminement, de remonter davantage dans le temps et l’espace. Cela seul permet un jugement autorisé. Depuis environ quatorze siècles, le facteur islamique est le noeud gordien de nos latences, le noyau dur de notre identité. Nous sommes le produit des défis qu’il a subi ou fait subir. Le rapport avec le monde chrétien qui fut souvent un rapport d’affrontement n’a pas peu contribué à façonner notre histoire et à dessiner les contours de notre monde actuel. Mais ce rapport n’est pas linéaire, n’est pas fait seulement d’affrontements. Il y eu aussi de grands moments de synthèse, d’ouverture vers l’autre, d’espaces ouverts pour plus de compréhension. Ils coïncident avec les grands moments de notre histoire tout court. Des patrimoines universels, tels les enseignements d’Aristote, de Platon ou de Socrate, par exemple, furent sauvés de l’oubli par les musulmans. Des micro-systèmes culturels virent le jour, tels ceux d’Andalousie, du Grand Mogol ou de la Sicile. C’est là que la quête humaniste prendra mille couleurs, où l’ode à la joie de Schiller eut les échos les plus profonds.
Notre vie, celle de ceux qui nous ont précédé, a été faite de ces moments d’affrontement ou de paix, de négation ou de compréhension ; ils viennent s’y fixer en contrepoint pour laisser au fond de nous des marques indélébiles. Un parfum puissant propre à l’Islam, à son génie, à ses constituants essentiels et à son âme s’en dégage. Nous le découvrons également lorsque l’affrontement ou l’apaisement ont un caractère intérieur. Car le monde de l’Islam n’a pas eu seulement affaire à l’autre, celui qui occupe la sphère étrangère ; il a eu aussi affaire à lui-même, à ce qui se produisit dans sa sphère intérieure. C’est là une équivalence qui nia pas été suffisamment soulignée. C’est ainsi que la querelle intérieure s’est toujours posée au nom de l’Islam, d’un Islam plus pur, plus authentique. Elle s’est toujours située à l’intérieur, jamais en dehors de l’Islam. C’est là un fait rare, sinon unique, dans l’histoire des hommes.
L’événement du 1er novembre 1954 n’est unique que par le fait qu’il a, cette fois, été sanctionné par la victoire. Il n’est, en lui-même, qu’un continuum des soulèvements armés précédents qui se sont régulièrement succédés au rythme d’un soulèvement, voire de deux soulèvements par décennie, il est le continuum d’une même grande querelle de l’histoire et animé des mêmes motivations.
Les Zaouïas, âme d’une résistance
Avec l’affrontement du pouvoir turc à Alger, le peuple algérien se mobilise pour faire face à cette nouvelle situation. La résistance s’organise aussitôt autour des confréries religieuses. Ce sont elles qui vont devenir l’âme de cette résistance, respectant en cela une longue tradition. l’origine de ces confréries remonte en effet au VIIIe siècle, alors que des croyants musulmans, engagés dans le djihad, décidèrent de se rassembler en un ribat (ou lien), dans un lieu choisi pour y mener une vie consacrée exclusivement à Dieu et pour combattre dans sa d’oie. Le ribat est d’ailleurs à l’origine des ordres religieux qui se multiplièrent par la suite dans la chrétienté. De ribat, dérive le nom de Marabout (ou celui qui est lié), ce nom ayant donné lieu, du reste, à Rabat, l’actuelle capitale du Maroc.
Au XVe siècle, la notion de ribat prit une grande ampleur au Maghreb, et, sous l’impulsion de chefs spirituels, de nombreuses confréries virent le jour : Tidjaniya, Rahmaniya, Derqaoua, Qadiriya, Djazouliya, Senoussiya etc. Furent également créées des maisons-mères ou zaouïas. La zaouïa est une véritable institution. C’est autour d’elle que s’ordonne un peu la vie de la région : lieu de prière, de Dikr (rituel de litanies particulières à chaque zaouïa, à chaque ordre religieux), on y dispense aussi un savoir religieux, et en premier lieu, l’apprentissage du Coran. Mais c’est là aussi que se règlent les conflits, petits et grands, qui surgissent au sein de la communauté, que s’organisent les travaux communs dans les champs etc. Les zaouïas rayonnent à travers tout le pays et, parfois, hors des frontières, par des institutions relayant la maisonmère, par les Moqqadems, porteurs de son message à ses disciples ou Khouans. Elles constituent un véritable filet enserrant dans ses mailles tout le corps social du pays. Les services fournis par les confréries religieuses sont en principe gratuits et elles vivent grâce aux dons des Zakates ou des Sadaqqates.
On a parfois des difficultés à concevoir l’étendue du pouvoir détenu finalement par ces confréries à travers leur réseau d’institutions, des Moqqadems et des Khouans sur les populations rurales et également - encore qu’à un degré moindre-sur les populations citadines. C’est ainsi que les campagnes baignent dans une spiritualité intense, parfois très pure. De là, les nombreux démêlés et avatars des zaouïas avec la puissance publique et le pouvoir. De là aussi, l’inclinaison de ce dernier à tenter d’en faire des instruments au service de ses desseins. C’est en tout cas ce que s’attachera à faire le colonialisme français, non sans succès parfois.
Le débat sur le contenu
Les confréries religieuses, leurs pratiques religieuses et le contenu de l’Islam qu’elles véhiculent font problème. Elles ont donné lieu à un débat inépuisable qui se poursuit de nos jours encore, bien qu’elles se rattachent à des grands noms, de Salihines, dont la pureté, l’élévation d’esprit et l’ascèse sont unanimement reconnues et respectées de tous. Mais, l’attachement qui confine à l’adoration de ces saints hommes par les fidèles Khouans, certaines pratiques comme les visites aux mausolées, les élevant en instance suprême, en intercesseurs auprès de Dieu, enfreint au dogme essentiel de l’Islam de l’Unicité ou Tawhid ; cela aggravé parfois par un charlatanisme aberrant. D’où une forte réaction du mouvement réformiste de la Salafiya impulsé par Abdou en Égypte et son association des oulémas. Réaction dont la critique puise ses arguments dans les enseignements d’Ibn Taïmiya, le grand réformateur du XIIe siècle. Critique également formulée par le wahhabisme et son maître à penser Mohamed Ben Abdelwahab.
En Algérie, cette réaction prit souvent une forme de confrontation exacerbée. Poussée trop loin, elle parut, un moment, jeter une confusion dangereuse relativement au problème des priorités, des urgences. Fallait-il accorder la priorité à la lutte contre le colonialisme, ou s’attaquer d’abord à purifier le dogme, et, par voie de conséquences, à affronter les confréries ? C’est là un débat qui conduirait, si nous voulions l’engager, à des développements dépassant le cadre de ce propos. Toutefois et selon notre point de vue, l’histoire a déjà tranché.
Ces distorsions n’ont pas empêché les confréries religieuses et surtout leurs disciples, de rejoindre massivement les rangs de la révolution armée du 1er novembre 1954 dont l’ossature cela tout le monde en convient fut surtout campagnarde. Le mysticisme populaire distillé par les zaouïas et dans lequel baignaient les campagnes algériennes, constitua un levier puissant en faveur de la lutte armée, et cela dès les débuts de la révolution, alors que le mouvement salafi marquera de fortes réticences, pour ne pas dire réprobations, ne rejoignant le F.L.N. que plus d’une année après le déclenchement de la révolution.
En 1830, et alors que commence l’ère de l’occupation coloniale, ce sont les confréries, et autour d’elles tout un peuple, qui organisent la résistance ou colonialisme.
La Kadiriya : l’émir Abdelkader
Cette première résistance s’étendra de 1832 à 1847. Un homme exceptionnel incarne l’âme de cette résistance : Abdelkader ; qui appartient à la confrérie de la Kadiriya du douar El Guetna, non loin de Mascara, dans l’Ouest algérien et au Sud d’Oran. En Avril 1832, les tribus se réunissent pour se fédérer et proclamer le djihad (guerre sainte) pour chasser les troupes françaises d’Algérie. Le 21 novembre 1832, ces mêmes tribus se réunissent à nouveau pour choisir un chef. Elles demandent à Si Mahieddine, chef de la zaouïa de la Guetna, de désigner son fils, Abdelkader. A 24 ans, Abdelkader devient le chef de la résistance algérienne. « Si j’ai accepté le pouvoir, dit-il, c’est pour avoir le droit de marcher le premier et de vous conduire dans les combats de Dieu. Je gouvernerai le Livre de la Loi à la main, et, si la loi l’ordonne, referai moi-même, de mes deux mains, une saignée derrière le cou de mon frère ». Pendant quinze années, il s’en tiendra à une stricte application de ce principe. Quant à la guerre contre l’occupant français, il la mène au nom du djihad, pour la gloire de Dieu.
Des stances de la veine populaire, conservées par la mémoire collective, exaltent le combat : « C’est moi qui suit El Hadj Abdelkader, fils de Mahieddine, il importe peu que mas sachiez mon nom, je ne vise point à la grandeur... Je ne veux aucun des prestiges auxquels vous pensez. . . Nous entrerons dans Alger, nous chasserons l’infidèle... ».
Abdelkader organisera le pays en fonction du combat ; mais laissons la parole à Louis Lataillade qui en fait la description suivante : « En 1839, le sultanat est divisé en huit grandes provinces dirigées par les khalifas. A l’intérieur de chacune d’elles, des territoires commandés par les aghas. Puis viennent les tribus avec leurs caïds, des fractions de tribus avec leurs cheikhs. Tous les fonctionnaires sont payés en argent et en nature, de manière à éviter les exactions. Ils ont prêté serment, prélèvent les impôts, la »zakkat« sur les bestiaux, l’ »achour« sur les moissons. Tout individu qui s’estime lésé a le droit d’en référer à Abdelkader. Les cadis rendent la justice et, en période d’opérations, l’un d’entre eux assisté de deux ’adouls- ses assesseurs - accompagne chaque colonne militaire... »
« La morale publique est étroitement surveillées ; la prostitution, le vin, les cartes et même le tabac sont interdits. L’instruction est encouragée par les »zaouïas...« Azan, l’un des biographes de l’émir, écrit : »En administration indigène, Bugeaud n’a été que son disciple... L’illustre maréchal si infatué de sa personne, a eu la loyauté de qualifier Abdelkader « d’homme de génie » du haut de la tribune de la Chambre des députés".
Le maréchal Soult ajoutera, pour sa part : « Il n’y a présentement dans le monde que trois hommes auxquels on puisse légitimement accorder la qualification de »grands« et, tous trois appartiennent à l’Islam. Ce sont Abdelkader, Mahamet Ali et Chamyl ». Chamyl est ce héros circassien qui va arracher aux Russes l’indépendance de son pays.
Le pays tout entier est galvanisé, au nom du djihad, dans cette lutte contre l’occupant français. Les dirigeants français tentent alors de s’attaquer à la notion même du t djihad, de la vider de son contenu. Grâce à Léon Roches, l’un des transfuges français ayant rejoint l’émir, allant jusqu’à un simulacre d’islamisation avant de fuir et d’apparaître pour ce qu’il était en réalité : un espion français, une fatwa put être obtenue des universités de la Zitouna er d’El Azhar. Elle était rédigée ainsi :
« Quand un peuple musulman dont le territoire a été envahi par les infidèles, les a combattus aussi longtemps qu’il a conservé l’espoir de les en chasser, et quand il est certain que la continuation de la guerre ne peur amener que misère, ruine et mort pour les musulmans, sans aucune chance de vaincre les infidèles, ce peuple, tout en conservant l’espoir de secouer leur joug avec l’aide d’Allah, peut accepter de vivre sous leur domination, à la condition expresse qu’ils conserveront le libre exercice de leur religion et que leurs femmes et leurs filles seront respectées ».
Cette fatwa, qui a trouvé des oulémas pour accepter de l’écrire, ne produira pas les effets escomptés. Le peuple, sous la conduite de l’émir, poursuivra sa lutte sans désemparer.
Abdelkader remportera plusieurs importantes victoires contre l’ennemi français dont l’armée sera défaite au cours de batailles mémorables. A la Macta d’abord, puis à la Tafna. Il luttera ainsi sans répit durant quinze années avant que le sort des armes ne lui soit défavorable. Son combat s’achèvera en 1847, et, après quelques années d’exil, il obtiendra enfin la permission de se rendre avec sa famille en terre d’Islam, à Damas, où il finira ses jours. Disciple mystique d’Ibn ’Arabi, il laissera en outre des écrits d’une haute spiritualité, notamment un Diwan où il écrit :
« Je suis Dieu, je suis créature, je suis seigneur, je suis serviteur ; »Je suis le Trône et la nature qu’on piétine ; je suis l’enfer et je suis l’éternité bienheureuse. « Je suis l’eau, je suis le feu ; je suis l’air et la terre ; »Je suis le « combien » et le « comment ». « Je suis la présence et l’absence ; Je suis l’Essence et l’attribut ; je suis la proximité et l’éloignement ; »Tout est mon être ; je suis le Seul, je suis l’Unique".
Zaatchas ; Mokrani et cheikh El Haddad ; les Ouled Sidi Cheikh et Bouamama
La lutte menée par Abdelkader à peine terminée en 1847 que Zaatchas, dans l’Est algérien, se soulève en 1849. Sous la direction de Bouziane, son chef religieux, cette petite ville mènera un combat héroïque. D’abord tenue en échec, l’armée française mettra deux années pour en venir à bout, non sans difficulté. Il lui faudra se battre maison par maison. Pas âme qui vive n’échappa au terrible carnage. Pas un homme, pas une femme, pas un vieillard, pas un enfant ne survécut au massacre.
Seuls, rapporte la chronique, les chiens qui, condamnés à errer dans les campagnes alentour et devenus « sauvages », s’attaquèrent aux convois de l’armée française, des années durant.
Les troupes coloniales durent lutter de 1849 à 1852, pour parvenir à occuper la petite Kabylie, mais ce n’est qu’en 1853 que la France put y asseoir son autorité.
En 1864, éclate la révolte des Ouled Sidi cheikh, dans le Sud oranais, qui, sous la direction de leur zaouïa, mettra en danger la présence française en Algérie. Ce n’est qu’après six années de combats acharnés que l’armée française parviendra à juguler cette révolte.
En 1869 l’administration militaire fait place à l’administration civile. C’est désormais le règne des colons et les débuts du système de la « colonie de colonisation » qui va mettre l’Algérie en coupe réglée. Si jusqu’ici l’espoir d’une Algérie redevenant elle-même avait persisté, il s évanouissait avec la mainmise des colons sur les terres algériennes. Hugonnet, un général français lucide écrivait le 25 mai 1869 : « La question des Arabes est complètement coulée. Il leur faudra bel et bien ou mourir ou s’expatrier ou prendre la blouse et subir comme salariés la loi du plus fort et du plus roué... Se réveilleront-ils pour le dernier coup de fusil ? Je le souhaite pour leur bonheur... ».
Avec El Mokrani qui, en 1871, fera parler la poudre, l’honneur est sauf, général...
C’est en effet le 14 mars 1871 que, sous la direction du bachagha El Mokrani est déclenchée une insurrection dont l’inspirateur et l’âme sera le cheikh El Haddad et la confrérie des Rahmaniya. El Mokrani entraîne derrière lui 150.000 guerriers. Mais la disproportion des forces en faveur des troupes françaises est trop grande ; celle des armements l’est davantage, et, l’insurrection échoue. L’administration coloniale frappe fort : près de 50.000 hectares de terre son confisqués et inflige une amende, considérable à l’époque, de 30 millions de francs.
En 1882, ce sont encore les Ouled Sidi Cheikh qui se révolteront, avec à leur tête, Bouamama. L’insurrection qui sembla un moment, proche de la victoire, échouera finalement après deux années de combats. Ainsi, de 1864 à pratiquement 1884, vingt années durant, la lutte menée par les Ouled Sidi Cheikh s’était poursuivie.
Le combat contre l’occupant, même s’il revêt un caractère moins intense, n’en continuera pas moins dans le Sahara, lors de l’affaire Marguerite, près de Miliana. Une forte effervescence gagnant le pays à la veille même de la Première Guerre mondiale, alors que les populations algériennes refuseront la conscription et le service militaire obligatoire. Ce fut le cas dans les Aurès et à Tlemcen où 800 personnes choisiront de s’exiler en Syrie pour échapper à cette mesure.
Mai 1945 annonce le 1er novembre 1954
Trente ans à peine séparent ces derniers événements de ceux de 1945 où, à Sétif, Guelma, Kherrata, Héliopolis, 45.000 Algériens trouveront la mort. Et cela au moment même où l’Europe célèbre sa victoire sur l’Allemagne. Victoire dans laquelle les Algériens et lus généralement, les Maghrébins prirent une part importante.
Neuf ans plus tard, enfin, est déclenchée la révolution armée, cette fois victorieuse, du 1er novembre 1954. Après sept années et demie de lutte, la longue nuit coloniale prenait fin. Le peuple algérien devenait indépendant.
Dans cette longue errance du peuple algérien à la recherche de lui-même, à travers plaines, collines, déserts sablonneux et montagnes, dans ce long parcours parsemé de larges flaques de sang, où l’Islam fut toujours le recours suprême, les confréries religieuses jouèrent un rôle prépondérant. Il n’est pas question de faire ici l’apologie du contenu de l’Islam qu’elles véhiculaient. Non, nous voulons avant tout poser les termes d’une histoire lucide, sans l’encombrer de jugements péremptoires, voire simplistes. Un homme qui nous observe depuis longtemps, Jacques Berque, a dit avec perspicacité : « On aurait tort... de considérer que les diverses formes que revêt alors le mysticisme populaire engagent la totalité de l’Islam maghrébin. Généralement réservé à l’égard du sophisme et des observances locales, l’Islam des oulémas se manifestait aussi vigoureusement, surtout, mais pas seulement dans les villes ».
« Appuyé par une grande tradition, redouté et cultivé par le pouvoir colonial. Il pourvoyait généralement aux grandes charges de la »khotba« ou »« prône hebdomadaire », de la Judiciaire« qâdâ ou de la consultation doctrinale »iftâ« . Ses dignitaires auront joué, par la force des choses, un rôle d’intermédiaire ou de tampon entre la masse des croyants et les autorités, soit du Beylik turc, soit plus tard de l’établissement français. Un tel rôle les engageaient évidemment à des compromis. Cet Islam là, quelque fut sa valeur doctrinale ou morale, entrait dans le siècle et s’exposait à la récupération, tandis que l’Islam maraboutique et confrérique pouvait, lui, se tapir dans des refuges et manifester à l’égard des officiels quelque réserve ou même occasionnellement la révolte. Ces diverses attitudes, oscillant entre Intransigeance et la collaboration, ne peuvent être correctement appréciés que compte tenu des milieux, des périodes, des circonstances. Elles défient donc tout jugement péremptoire. »Disons seulement qu’à l ’encontre d’une opinion très répandue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confréries a généralement assumé, pendant un demi siècle au moins après la conquête d’Alger, une résistance violente ou sournoise, dont l’Islam citadin, par la force des choses, était généralement incapable. Le soulèvement du marabout kabyle Bel Haddad de l’ordre des Rahmaniya (1871), le massacre de la mission Flatters à l’instigation du sénoussisme (1880) illustrèrent dramatiquement entre autres, cette résistance de l ’Islam confrérique et maraboutique à l’impérialisme. Et cela au point de provoquer jusque dans l’imagination française un durable ébranlement. Il est vrai cependant que, par une sorte d’ironie de l’histoire, un ralliement assez général de ces forces, se dessina vers la fin du siècle. Une génération encore et la majorité des marabouts et cheikhs étaient tenus, sans grande chance d’erreur, pour des auxiliaires de l’administration, tandis que les oulémas, surtout citadins, tiraient les premières conclusions de la modernité, marquant ainsi une étape dans la voie de la restitution nationale. J’insistai plus haut sur la convertibilité réciproque des modes. Elle produit, d’époque en époque, des configurations nouvelles et les plus curieux chassés-croisés. La situation que je voudrais évoquer pour finir est toutefois antérieure, et de beaucoup, au retournement de la fin du XIXe siècle. De l’émir Abdelkader, préposé Qâdirite, à Bouamama, en passant par le Medhi Boumaza, par l’illuminé des Derqâwa qui manqua s’emparer un jour de la redoute de Sidi Bel-Abbès, par d’innombrables autres Mehdis, par l’insurrection de la tribu maraboutique des Ouled Sidi Cheikh, par celle de Mokrani et des Rahmaniya Kabyles - bref cinquante ans de chronique haletante et sanglante font ressortir, en conjonction avec d’autres facteurs ou dans un isolement épique, la vitalité toujours active de cette sorte d’Islam et les responsabilités qu’il savait prendre à l’égard de l’impérialisme... la société indigène ne reste nullement passive. . . contre les disgrâces qu’elle subit, elle déploie un dynamisme de sauvegarde. Mais trop souvent c’est un dynamisme inversé. contre l’éclatement, la distorsion, l’humiliation, la vieille culture se mobilise sous son signe le plus unanime. La religion prend en charge les attitudes de rassemblement, de récollection... on s’explique que l’initiation confrérique, aux yeux de beaucoup, offre à l’histoire malheureuse une réponse apparemment adéquate... La religion maîtresse du verbe et du souffle, rend au colonisé la conscience d’une identité imprescriptible... Dans les zones où le convoque l’enseignement des cheikhs, plus d’outrage à essayer, plus de bassesses à commettre, plus de bassesses à commettre, plus de mensonges à consentir, plus de bas intérêts à servir, à commencer par les siens propres. Le fidèle, en ce dialogue orgueilleux et humilié, ranime au fond de lui-même l’invariance qui, peut être un jour lui rendra l’histoire par surcroît".
La lutte sous sa forme moderne : l’Étoile Nord- Africaine
Ce que dit Jacques Berque est important. Cette invariance, tantôt fracassante dans le bruit des combats, tantôt souterraine, va resurgir sous une forme moderne avec la création de mouvements politiques dès la Première Guerre mondiale. C’est le propre petit-fils de l’émir, Abdelkader, l’émir Khaled, qui initie cette nouvelle voie en devenant président de « l’Étoile Nord Africaine », mouvement politique créé en 1926 et regroupant des dirigeants maghrébins. Messali, lui, succédera peu après. Un événement considérable occupe alors l’horizon du Maghreb : la lutte de l’émir Abdelkrim, « notre précurseur » diront Ho Chi Min et Mao Tsé Toung. Abdelkrim qui remporte une victoire écrasante sur les Espagnols à Anoual, faisant 10.000 prisonniers et parvient à faire chanceler la présence française au Maroc. Ce n’est qu’en alliant leurs forces que l’Espagne et la France parviendront péniblement à endiguer l’élan impétueux des moudjahidine d’Abdelkrim.
L’Étoile Nord Africaine, tout d’abord proche du parti Communiste, s’en démarquera, affirmant plus nettement les thèses indépendantistes, alors qu’à l’origine elle avait été créée pour « la défense des intérêts matériels, moraux et sociaux des musulmans nord africains ». Dissoute en 1929 parce qu’elle revendiquait l’indépendance pour l’Afrique du Nord, elle reprit son activité en 1935 pour être à nouveau dissoute le 26 janvier 1837.
« L’Étoile, dira Charles André Julien, se distingua des autres partis indigènes par une doctrine à base essentiellement religieuse. . . qu’elle propagea par son journal publié en français »El Ouma« ... L’assemblée générale du 18 mai 1933 précisa son programme. Sur le plan religieux, elle proclama la fraternité et l’unité de l’Islam, affirmée par ses délégués au Congrès Islamo-Européen de Genève du 12 septembre 1935... Sur le plan national, elle revendiqua la reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle... ».
La situation qui se développe en Afrique du Nord va conduire l’Étoile Africaine à redoubler d’efforts dès 1933. Des manifestations se déroulent en Tunisie contre les naturalisés français, également à Rabat et à Fez contre la promulgation du dahir berbère qui tenta de soustraire les berbères à la législation islamique. L’Algérie ne fut pas en reste avec des manifestations à la suite d’une interdiction aux oulémas de prêcher dans les mosquées.
A l’Assemblée générale qui se tint en mai 1933, des statuts furent élaborés, et un programme adopté, il fut retenir ceci pour ce qui est de la section algérienne : « Notre programme... doit être considéré par nous comme un pacte national liant l’ensemble de la population musulmane algérienne, travaillant avec dévouement et abnégation pour la défense de nos intérêts, nos revendications Médiates et l’indépendante de notre pays. »Pour notre salut, pour notre avenir, pour occuper une place digne de notre race dans le monde, jurons tous sur le Coran et par l ’Islam de travailler avec acharnement pour sa réalisation et pour son triomphe final.
« Ce programme politique pour l’Algérie est à peu près le même que celui du Maroc et de la Tunisie, évidemment en tenant compte de la position générale de ces deux pays et de leur constitution politique ».
En 1934, lors d’un meeting organisé à Paris, l’Étoile Nord-Africaine fait voter une motion qui dit en particulier : « Les musulmans nord-africains, au nombre de 3500 le 19 août 1934, à 14 h 30. . . Après avoir entendu l’exposé des divers orateurs, approuvant sans réserve l’action de l’Étoile Nord Africaine et se déclarant prêts à la soutenir par tous les moyens. Ils stigmatisent avec force la provocation de l’impérialisme français laquelle a engendré à Constantine un drame sanglant. Ils affirment leur solidarité effective et agissante avec les victimes de la répression. Ils déclarent approuver entièrement la fière attitude de nos coreligionnaires qui ont relevé le défi et répondu à la profanation de la mosquée musulmane, à l’insulte des fidèles et de notre vénéré Prophète. Ils s’élèvent hautement contre l’incarnation de plusieurs centaines de nos coreligionnaires innocents et réclament avec force leur libération immédiate, la levée de l’état de siège et de séparent aux cris de : A bas le code infâme de l’indigénat ! A bas les lois d’exception ! A bas la commune mixte du mouchardage de la rue Le Comte ! Vive la lutte émancipatrice des musulmans nord africains ! Vive l’indépendance de l’Afrique du Nord ! Vive l’Islam ! ».
L’action de l’Étoile, initiée en France, va se transplanter sur le terroir nord-africain en éclatant sous la forme de Néo-Destour en Tunisie, de l’Action Marocaine au Maroc et du Parti du Peuple Algérien (P.P.A.) crée le 11 mars 1937. Le P.P.A. sera d’ailleurs presque aussitôt dissout et ses dirigeants, dont Messali, arrêtés. La coloration arabo-islamique plus prononcée du P.A.A. et de l’Association des oulémas qui est créée en 1931 est, pour une grande part, due à l’influence de Chekib Arslan qui entretient des rapports suivis avec les mouvements nationalistes et religieux en Afrique du Nord. Réfugié à Genève après des déboires avec l’impérialisme français, il fut formé à l’école de Djamal Eddine El Afghani, de Abdou et de Cheikh Reda. Cet homme nommé le « prince de l’éloquence » et qui fut à la tête de la délégation permanente à Genève du Comité syro-palestinien, fondé au Caire en 1921, va jouer un rôle prépondérant dans les événements qui se dérouleront en Afrique du Nord. « En servant d’arbitre dans les confits musulmans, dit de lui Charles-André Julien, en adressant aux chefs de partis des directives permanentes ou des solutions de cas litigieux en multipliant les articles et les correspondances particulières ; en publiant une revue en français »La Nation Arabe« largement diffusée de Java au Maroc parmi les élites à qui elles fournit des documents commentés et des bases doctrinales. Chekib Arslan fit de la maison de l’avenue Ernst Hentsch, où il avait installé son bureau d’information, l’ombilic du monde musulman... Singulière personnalité que celle de ce féodal libanais, qui, de son bureau de Genève, distribua dix-huit ans durant, les mots d’ordre à l’Islam méditerranéen et dont influence survit à toutes les compromissions... Nul plus que lui ne contribua à répandre l’idée que l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sont des éléments de la communauté musulmane à laquelle l’unissent la religion, la langue et la culture ».
En vérité, Chekib Arslan, qui fut grand à bien des égards, ne répandit point cette idée. Il ne fit qu’œuvrer à sa résurgence, spectaculairement. Car, de l’émir Abdelkader à El Mokrani et Cheikh El Haddad, de Bouziane des Zaatchas à Boumaza du Dahra, à Bouamama et les Ouled Sidi Cheikh, à tant et tant d’autres pour finir à Messali et cheikh Ben Badis, cette idée même était la semence enfouie aux tréfonds de nous-mêmes, elle impulse nos flux vitaux, détermine l’axiologie de nos mouvements essentiels, nous habite littéralement.
Mahfoud Kaddache dans son livre Histoire du nationalisme algérien, énonce cette vérité relativement au rapport du contenu idéologique du discours de l’Étoile et de l’influence de Chekib Arslan : « ...Cette approche du nationalisme arabe, sa prudente réserve à l’égard du communisme sont importantes, à notre avis, si l ’on veut saisir la complexe évolution du nationalisme algérien qui puisait sa source idéologique dans les deux courants, prolétaire et spirituel. Les travailleurs émigrés formés au dur combat de la réalité ouvrière, restaient sensibles au message qui venait de ce qui représentait leur passé et leur attachement à la civilisation arabo-islamique. Ce qui évoquait Damas, Bagdad et le Caire restait pour eux sacré. On le verra plus concrètement lorsque Chekib Arslan, guide du nationalisme arabe, accueillera à Genève Messali et prendre fait et cause pour l’Étoile Nord Africaine ».
La filiation orientale
La filiation remonte plus loin encore. Les idées de la Nahda (ou renaissance) qui tire sa substance des enseignements de Ibn Taïmiya ce savant théologien du Houran en Syrie , enseignement repris par Mohamed Ben Abdelwahab et le wahabisme dès la moitié du XVIIIe siècle et dont la mis à jour sera faite par Djamal Eddine Al Afghani, Abdou et Cheikh Reda a atteint, par ondes concentriques de plus en plus larges, les confins de l’Afrique du Nord. Le cheikh Abdou fera d’ailleurs deux voyages en Afrique du Nord au début des années 1900. Mais les flux d’idées et de personnes eurent un caractère permanent entre le Moyen Orient et le Maghreb. Dès 1911, le peuple libyen, se solidarisant avec la Turquie et le calife installé à Istanbul, mènera une lutte de résistance contre l’Italie qui déclare la guerre à la Turquie et se propose d’occuper la Libye. Cette résistance durera plus de vingt et sera l’une des plus longues, des plus sanglantes et des plus sanglantes et des plus héroïques luttes de libération de notre temps. Elle évoque la très belle figure de Omar Ibn Mokhtar. Des échos de cette lutte sans merci parvenait en Algérie où l’on parlait de moudjahidine prisonniers que l’armée italienne assassinait en les larguant de ses avions. L’un des descendants de l’émir Abdelkader luttait d’ailleurs aux côtés des moudjahidine libyens. Et je me souviens que, traversant marocains, lors de la guerre d’Italie, les souvenirs de cette lutte héroïque me revenaient en mémoire.
Presque au même moment, se trouvent à Istanbul, Al Afghani, Abdallah El Nadhim, égyptien transfuge de la révolte d’Orabi et un Tunisien, Ali Bach Hamba qui se propose de préparer une expédition pour libérer le Maghreb. Il joindra ses efforts à ceux de deux autres Tunisiens : Salah Chérif et Ismaïl Sfai, lesquels en 1915 oeuvrent à partir de Berlin pour l’indépendance des pays maghrébins. Un comité sera créé à Genève pour l’indépendance de l’Algérie et de la Tunisie et l’avènement d’une « République Nord-Africaine ».
En 1916, ce comité auquel s’était joint Mohammed, le frère de Ali Hamba, crée la revue « Maghreb ». La déclaration en 14 points du Président Wilson est l’occasion pour cette revue de réclamer un référendum en Algérie et en Tunisie qui, écrit elle, « ont toujours formé un seul et même pays... Ce peuple algéro-tunisien n’a pas renoncé à son indépendance... ».
Le relais est pris dès 1920 avec la création du Destour de Abdelaâziz Thaâbi, au niveau de la référence arabo-islamique avec une veine Salafi très marquée due aux universités de la Zitouna en Tunisie et la Qaraouiyne à Fès avec le grand théologien Faqih Ben el Arabi Alaoui. Allai El Fassi, qui va bientôt jouer un rôle prépondérant dans les événements qui conduiront à l’indépendance du Maroc, est d’ailleurs un ’alem, professeur de la Qaraouiyne. Ben Badis qui, pour sa part, jouera un rôle central dans la renaissance de la langue arabe en Algérie et, plus généralement, dans la réactualisation des valeurs arabo-islamiques symbolisées par la formule « Un pays, l’Algérie ; une religion, l’Islam ; une langue, l’arabe », est lui aussi un ’alem sorti des rangs de la Zitouna. En Égypte, le parti Wafd de Saâd Zaghloul voit le jour en 1919 et mène une action pour l’indépendance du pays. L’écho des hauts faits de la résistance parvient en Afrique du Nord, attentive à ce combat pour la dignité. Biladi, biladi, ce chant de Sayed Derwiche est le cri de ralliement de tout un peuple. Repris en Algérie par les scouts musulmans, toute une jeunesse en fera le chant nationaliste par excellence. Et les mêmes paroles, les mêmes airs dédiés à la liberté et la dignité entendus au Caire, en Syrie, au Liban, en Palestine et ailleurs dans le Moyen-Orient, sont repris chez nous. A travers les distances, une communion s’établit, un même espoir habite les hommes et les femmes.
C’est dans cette même mouvance, signe précurseur de l’éveil d’une conscience en quête d’une manifestation plus affirmée, qu’avaient vu le jour les mouvements des « Jeunes Tunisiens » en 1907, des « Jeunes Algériens » en 1914 et des « Jeunes Marocains » en 1919. Ils seront relayés plus tard par le Mouvement des Étudiants Musulmans Nord-africains qui fera preuve d’une remarquable constance dans la revendication unitaire. Son histoire est indissociable du mouvement national au Maghreb auquel il fournira certains de ses dirigeants les plus lucides et les plus dynamiques. Les résolutions de son congrès de Tlemcen, tenu en 1935, témoigne de cette revendication unitaire. Sa résolution finale réclame la liberté et la préservation du culte musulman, le renforcement de l’enseignement de la langue arabe et l’étude de « l’histoire de l’Afrique du Nord dans les écoles primaires publiques... ». Ces mesures, dit-elle, « ne visent pas à créer une unité factice, non et non. Nous nous employons, par contre, à susciter une unité ancienne que l’histoire a enregistré et dont elle a témoigné ». La finalité est le développement de la « conscience de l’unité nationale de l’Afrique du Nord qui se fonde sur une mentalité unifiée, une religion unique et des sentiments communs ».
Durant cette maturation politique, deux monuments historiques vont jouer un rôle déterminant. Le premier moment se situe en 1930 avec la promulgation du dahir berbère soustrayant les berbères à la juridiction musulmane. Cette promulgation coïncide avec les fastes de la célébration à Alger du centenaire de la prise d’Alger, alors qu’en Tunisie se tient le Congrès Eucharistique de Carthage. Le colonialisme aveugle et triomphant signe ainsi sa triple agression culturelle.
Le Rif (terre de conquête chrétienne) est sillonné par des missionnaires ;
Des enfants habillés en croisés défilent dans les rues de Tunis ;
A Alger, un peuple fier assiste aux fastes d’un événement qui insulte à sa dignité.
Tout le monde musulman se dresse contre l’infamie du dahir. Ce dahir qui, en Algérie, évoque dans les mémoires la vaine tentative de christianisation poursuivie par le cardinal Lavigerie et les pères blancs. La vague de protestations orchestrée par l’Étoile Nord Africaine, le Destour et les milieux nationalistes marocains, entraînera une rectification au dahir en 1934. La triple agression culturelle et la réaction qu’elle provoque dans les trois pays nord africains aboutira à une restructuration du mouvement national. En Tunisie, un fort courant né au sein du Destour aboutira, après le congrès de Ksar Helal en 1934, à la création du Néo-Destour animé par Habib Bourguiba. Au Maroc, l’Action Marocaine voit le jour en 1934 qui groupe Allal El Fassi, Hassan El Ouazzani, Ahmed Balafrej et Omar Abdeljalil. En Algérie, l’Association des Oulémas est créée en 1931 et l’Étoile Nord Africaine, engendrera, avec sa section algérienne, le Parti du Peuple Algérien en 1937, présidé par Messali Hadj.
Le second moment historique est constitué par la deuxième guerre mondiale dont les conséquences détermineront le mouvement de libération nationale.
C’est après la défaite de la France en 1940 par les forces allemandes que les trois pays d’Afrique du Nord prendront le relais dans la poursuite de la guerre aux côtés des alliés. Le rôle des soldats nord africains dans les combats d’Afrique du Nord, d’Italie et de France-soldats nord-africains qui fourniront de nombreux cadres expérimentés dans les luttes de libération futures-provoquera un saut important dans la conscience nationale. En 1943, se constitue au Maroc le Parti de l’Istiqlal présidé par Allal El Fassi. En 1946, le Néo-Destour tunisien se restructure. En Algérie, le mouvement des Amis du Manifeste voit le jour en 1944. L’idée de l’indépendance est alors reprise par toutes les familles politiques, à l’exception du Parti Communiste. Les Amis du Manifeste regroupent les partis sans de Ferhat Abbas, anciens partisans de l’assimilation, l’Association des Oulémas qui jouera un rôle important dans la réactualisation de l’arabo-islamisme bien que ses positions politiques furent timorées, et le Parti du Peuple Algériens qui impulsera l’action des Amis du Manifeste.
Les événements de mai 1945 et les massacres qui firent 45 000 victimes sous la répression sauvage de l’action conjuguée de l’armée française et des colons français, produisirent une fracture définitive. La question du recours à la violence pour réaliser l’objectif ultime de l’indépendance fut, en partie, tranché à ce moment au sein du P.P.A., mouvement national le plus radical et qui sera à l’origine du 1er novembre 1954.
En 1947, le P.P.A. se transforme en Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques en même temps que se créée l’Organisation Spéciale, organisme paramilitaire secret. C’est cette Organisation Spéciale, qui fera le geste historique scellant le sort du colonialisme en Algérie le 1er novembre 1954.
Entre temps, certaines dates doivent retenir l’attention. Elles marquent les étapes d’une ascension, d’un déterminisme qui conduira à l’indépendance des trois pays d’Afrique du Nord.
En cette même année 1945 marquée par les massacres du Constantinois en Algérie, la Ligue Arabe voit le jour. 1947 voit la création de l’État d’Israël alors que 1948 enregistre la défaite des armées arabes. C’est un autre défi qui se pose aux Arabes. Il va peser lourd dans l’avenir de la région qui ne connaîtra plus la paix. Les développements de cette confrontation s’étendront de plus en plus, affectant même le Maghreb. Ce que symbolisera le dernier bombardement de la Tunisie par l’aviation libyen détourné par Israël et d’autres développement où les USA seront directement impliqués comme lors de l’affaire de l’avion égyptien détourné sur une base italienne de l’OTAN à la suite du détournement du bateau Achille Lauro.
Cependant 1947 est aussi l’année de la création de l’État Islamique du Pakistan.
Dès 1946 et la création de la Ligue Arabe, des dirigeants nationalistes tunisiens vont commencer à s’établir au Caire, initiant une démarche qu’emprunteront les uns après les autres, tous les dirigeants nationalistes du Maghreb. Habib Thameur, Youssef Rouisi, Rachid Driss seront bientôt suivis pas Bourguiba, Allai El Fassi, Abdelkhalek Torres du Rif et Chadli Mekki du PPA algérien.
L’arrivée au Caire de l’émir Abdelkrim en 1947 va donner une impulsion importante au regroupement des Maghrébins pour la revendication de l’indépendance. Il forme, avec les autres dirigeants nationalistes, un Comité de Libération du Maghreb. La charte adoptée réaffirme l’appartenance du Maghreb à l’Islam et au monde arabe.
La création d’Israël en 1947 et la défaite des armées arabes en 1948 sera douloureusement ressentie dans les consciences des peuples arabes. Deux événements vont jouer un rôle considérable dans la lutte de libération Le premier est l’indépendance de la Libye en 1964, le second est la Révolution de juillet en 1952 en Égypte. L’Africa Corps avait abandonné en Libye un armement important et c’est dans cet immense lot d’armes hétéroclites que l’Organisation Spéciale du P.P.A. (Parti du Peuple Algérien) va, après mille difficultés d’acheminement prélever quelques 300 malheureux mousquetons italiens « Statti ». Ils seront le détonateur du 1er novembre 1954 qui fera voler en éclat l’édifice colonialiste construit en 133 ans. Nasser et la Révolution de juillet 1952 tout d’abord, puis d’autres ensuite, pourvoiront au reste et permettront à la lutte de se poursuivre et de se terminer par une victoire.
Pendant ce temps, l’Afrique du Nord est entrée en ébullition. La dissolution du ministère Chenik, les arrestations massives de dirigeants tunisiens donnent le signal à une agitation populaire qui débouchera sur de violents affrontements puis sur une lutte de libération nationale et finalement sur l’autonomie puis l’indépendance du pays en 1956.
La déposition de Mohammed V va déterminer un processus semblable, débouchant également en 1956 sur l’indépendance.
La crise du mouvement national en Algérie, accentuée par le fait de la lutte de libération au Maroc et en Tunisie, alors que l’Algérie semblait en léthargie, déterminera le déclenchement de la révolution armée du 1er novembre 1954. La lutte sera synchronisée, avec plus ou moins de bonheur, avec celle des peuples frères tunisiens et marocain.
Dans la proclamation, le F.L.N. dans l’article premier de son programme, pose la revendication de l’indépendance nationale par « la restauration de l’État souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ».
Cette lutte impitoyable, épuisante, le peuple algérien la mènera en s’arc-boutant sur ses ancrages arabo-islamiques. Chaque fait, chaque circonstance est interprétée par référence à ce patrimoine. Le soldat pour la liberté s’appelle moudjahid c’est d’ailleurs le nom donné à l’organe de presse officiel de la Révolution algérienne : El Moudjahid qui se perpétue de nos jours encore-le mort pour la patrie s’appelle chadid et les combats s’engagent au cri de Allah Akbar fusant tel un trait de feu lancé à la face de la barbarie et de la tyrannie. L’actualité est ainsi soumise à une lecture coranique permanente. Aussi permanente que la référence à l’émir Abdelkader, à Mokrani, à Bouamama et à Boumaza, parallèlement à l’autre lecture axiale en référence à notre Prophète Mohammed, aux califes Abou Bakr, Omar, Othman, Ali et aux grandes figures du Djihad tels Abdel-Mounem ou Tarik Ibn Ziad.
Des tréfonds de nos âmes, resurgissent intacts les souvenirs, les hauts faits insérés aussitôt dans la trame de la vie de tous les jours, au fond des dechras comme sur les chemins de crête lumineux.
Égrenés comme un chapelet de perles, les noms de l’émir Abdelkader, Mokrani, Boumaza, Bouamama, Bouziane et tant et tant d’autres noms, Lalla Khadidija la Kabyle, l’émir Khaled... engrangés les moissons de nos certitudes à travers l’Étoile Nord Africaine, le Parti du Peuple Algérien, le MTLD, l’Organisation Spéciale, le CRUA et le FLN ; un langage s’est conservé, un message s’est transmis, une invariance s’est perpétuée.
Le rapport de l’Islam avec la Révolution algérienne est là, en contrepoint, irréfragable. Il est dans cette mouvance ininterrompue entre le Maghreb et le Machreq. Il est dans les yeux rivés sur la Kaâba et un tombeau à Médine. Il est-cela doit être souligné-dans l’attitude magnanime du peuple algérien vis-à-vis des Français, au lendemain même de sa victoire. Il est encore, telle une estampille indélébile sur toutes les chartes, toutes les constitutions, tous les textes fondamentaux de l’après indépendance. Et même lorsque nous paraissons nous en éloigner le plus, lorsque par exemple, le développement se confond avec son contraire et que l’agression culturelle, sous couvert de modernité, se fait triomphante, c’est justement à ce moment là que se produit la récurrence. A ce moment là, notre jeunesse dans une vague irrésistible atteignant toute la terre d’Islam, construit et emplit les mosquées. Alors. à nouveau, notre passé, intensément, resurgit et revit en nous, emplissant notre espace et fondant notre imaginaire redevenu créatif et s’élève, fuse dans l’arc en ciel de ce mot magique : Allah Akbar.
Bien sûr, il nous faut réactualiser, raccorder aux nécessités pluridimensionnelles de notre temps ; bien sûr, il nous faut faire preuve d’imagination par un Ijtihad renouvelé et vivant et pour élaborer un projet de civilisation convaincant ; bien sûr, il nous faut développer ce qui a fait les grands moments de l’Islam : la tolérance ; oui, tout cela est vrai et il nous faudra œuvrer longtemps encore pour trouver des réponses satisfaisantes aux graves questions qui nous interpellent. Mais, au fond de nous-mêmes, quelque chose d’important s’est remis en marche. La récurrence se produit parfois même là où on l’attendait le moins.
En effet, qui peut dire l’influence qu’a pu produire sur Messali le fait qu’il ait appartenu dans sa jeunesse à la confrérie des Derkaouas ? Sur Aït Ahmed, qui lui-même a vécu dans la maison de ses parents, la vie d’une confrérie kabyle ? Ou sur moi-même, le fait que mon père ait été Mokkadem de la confrérie des Mouqahliya (fusiliers) ? Le fait que durant toute ma jeunesse, j’ai vécu dans une atmosphère imprégnée du Dikr de Khalti Mama, la femme de mon oncle qui s’est éteinte il y a quelques années seulement à l’âge de cent quarante ans et qui, faisant partie de la confrérie de Sidi El Habri, se levait chaque jour vers 3 heures du matin pour ses prières et jeûna un jour sur trois tout au long de sa vie. Toute mon enfance a été imprégnée de cette atmosphère, si bien qu’aujourd’hui encore, il me suffit de faire le silence en moi et de prêter l’oreille pour que la douce musique du Dikr de Kahlti Marna s’élève, émouvante, au fond de moi.
Oui, le message de l’Islam doit être un message de tolérance et de paix.
Oui, il nous faut répéter sans désemparer ce cri lancé au général Gérard par l’émir Abdelkader « Qu’on apprenne enfin à connaître ma religion ».
Oui, il nous faut toujours nous inspirer de la valeur et du sens des mots du message de l’Émir au roi des Français :
« Grand roi des Français ! Dieu nous a désignés l ’un et l’autre... Il nous a imposé l’obligation de rendre nos sujets heureux. .. on me dit : signe ou ne signe pas, mais ton refus sera la guerre. Eh bien ! moi, je ne signe pas et je veux la paix rien que la paix . . Si la guerre éclate à nouveau, plus de commerce... plus de sécurité pour tes colons. Je n’ai pas l’orgueil de croire que je pourrai tenir tête ouvertement à tes troupes, mais je les harcèlerai sans cesse. . . J’aurai pour moi la connaissance du pays, la frugalité et le dur tempérament des Arabes... Si au contraire tu veux la paix, nos deux pays n’en feront plus qu’un, le moindre de tes sujets jouira de la sécurité la plus absolue, le commerce deviendra réellement libre, nos deux peuples se mêleront chaque jour davantage... »
Oui, certes il nous faudrait constamment méditer ce message de paix. Mais, est-il incompatible avec cette quête sacrée de rester nous-mêmes, et ceci n’épouse-t-il pas cela pour donner son véritable sens à la paix ? Pardelà le temps, l’espace, les conflits momentanés et, bien que les modes et les emplois doivent être interprétés différemment pour une adéquation véritable, les paroles de notre regretté Moufdi Zakaria, auteur de notre hymne national, prononcées lors du 4e Congrès de l’Association des Étudiants Nord-Africains à Tlemcen en 1935, ne demeurent-elles pas encore vivantes en nous. Et ne sommes-nous pas tous un peu ces étudiants de 1935 quand il dit :
« J’ai foi en Allah comme divinité, dans l’Islam comme religion, dans le Coran comme Imam, dans la Kaâba comme mausolée, dans notre Seigneur Mohammed - bénédiction et salut d’Allah sur lui- comme Prophète et dans l’Afrique du Nord comme patrie une et indivisible. »Je jure sur l’Unicité de Dieu que j’ai foi dans l’unicité de l’Afrique du Nord pour laquelle j’agirai tant qu’il y aura en moi un cur qui bat, un sang qui coule et un souffle chevillé au corps. « L’Islam est notre religion, l’Afrique du Nord notre patrie et l’arabe notre langue. »Je ne suis ni musulman, ni croyant, ni Arabe si je ne sacrifie pas mon être, mes biens et mon sang pour libérer ma chère patrie (l’Afrique du Nord) des chaînes de l’esclavage et la sortir des ténèbres de l’ignorance et de la misère vers la lumière du savoir, de la prospérité et d’une vie heureuse.
« Tout musulman en Afrique du Nord, croyant en l’unicité de celle-ci, croyant en Dieu et en son Prophète est mon frère et partage mon âme. Je ne fais aucune distinction entre un Tunisien, un Algérien, un Marocain ; ni entre un Malékite, un Hanéfite, un Chaféite, un Ibadite et un Hanbalite : ni entre un Arabe et un Kabyle, un citadin et un villageois, un sédentaire et un nomade. Tous sont mes frères, je les respecte et les défend tant qu’ils oeuvrent pour la cause de Dieu et de la patrie. Si je contreviens à ce principe, je me considérerai comme le plus grand traître à sa religion et à sa patrie. »Je considère quiconque agit pour la division entre les différentes composantes de ma patrie (l’Afrique du Nord) comme le plus grand ennemi de ma patrie et le mien propre. Je le combattrai par tous les moyens, même s’il s’agit du père qui m’a engendré ou de mon frère de père et de mère.
« Ma patrie est l’Afrique du Nord, patrie glorieuse qui a une identité sacrée, une histoire somptueuse, une langue généreuse, une noble nationalité, arabe. Je considère comme exclus de l’unité de ma patrie et exclu de la communauté des musulmans quiconque serait tenté de renier cette nationalité et de rejeter cette identité. Il n’aura qu’à rejoindre la nationalité des autres, en apatride qu’on recueille. Il encourra la colère de Dieu et celle du peuple. »La distinction s’est opérée entre la lucidité et l’erreur. Ni politique d’assimilation, ni politique de défi . Nous revendiquons un droit usurpé et un patrimoine confisqué. Qu’il nous suffise de les recouvrer. Il ne peut y avoir d’autre alternative : être patriote ou un traître impie.
« Nous ne haïssons pas les races. Tous les hommes sont créatures de Dieu. Nous respectons les étrangers établis chez nous, tant qu’ils nous respectent. Nous ne leur ferons aucun mal s’ils ne portent pas atteinte à nos libertés, à notre dignité et aux richesses de notre pays. S’ils respectent les droits des peuples de céans, nous respecterons leurs droits d’invités. Ils ont les mêmes droits que nous, mais leur incombent aussi les mêmes devoirs. C’est ce qu’ordonne notre sainte religion et nos consciences pures. »Notre patrie est l ’Afrique du Nord, patrie indissociable de l ’Orient arabe dont nous partageons les joies et les peines, les ardeurs et la quiétude. Nous unissent à lui, pour l’éternité, les liens de la langue, de l’arabisme et de l’Islam".
Mais tout le monde aura compris que pour Moufdi Zakaria et ces étudiants musulmans nord-africains de 1935, comme pour nous-mêmes et ceux qui viendront après nous, qu’il n’y a eu, qu’il n’y a et qu’il n’y aura pour l’éternité qu’une seule et véritable patrie : l’Islam.