Assemblée nationale, extrait de la séance du 4 décembre 2014
Déchéance de nationalité pour les atteintes aux forces armées et de police
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police (nos 996, 2403). La parole est à M. Philippe Meunier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
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M. Philippe Meunier. Cette proposition de loi vise à sanctionner les Français qui ont fait le choix de combattre la France en prenant les armes, directement ou indirectement, contre les forces armées et de sécurité françaises ou leurs alliés, comme c’est le cas au Mali ou en Irak. Telle qu’elle est rédigée, cette proposition de loi vise donc à déchoir de la nationalité française les binationaux qui l’ont acquise, dès lors qu’ils auront été arrêtés, surpris ou identifiés pour de tels faits.
Cette mesure serait prise par décret, après avis simple du Conseil d’État, sauf si la déchéance a pour résultat de rendre l’intéressé apatride. Elle pourrait être prononcée à tout moment, car l’article unique de la proposition de loi prévoit d’écarter l’application du premier alinéa de l’article 25-1 du code civil, qui limite les cas de déchéance de nationalité à des faits accomplis avant l’acquisition de la nationalité ou à ceux qui ont été commis dans un délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Cette proposition de loi a été rejetée par la commission des lois.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dommage !
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Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.
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Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Le droit de la nationalité est un droit qui ne doit être touché que d’une main tremblante mais en gardant la tête froide. Les dispositions actuelles paraissent susceptibles de couvrir, dans le respect de notre Constitution, les cas visés dans l’exposé des motifs de la loi. Le Gouvernement est décidé à les appliquer, et notamment à déchoir de leur nationalité les personnes qui auraient été reconnues coupables d’actes de terrorisme dans les conditions prévues par le code civil. Le dispositif que vous prévoyez, notamment en raison de son imprécision, est à la fois impraticable, inutile et inconstitutionnel. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à la présente proposition de loi.
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M. Patrick Mennucci. Madame la secrétaire d’État, chère Pascale Boistard, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ne nous y trompons pas : la proposition de loi présentée par nos collègues de l’UMP n’a pas pour but d’améliorer le dispositif de lutte contre le terrorisme et de répression du terrorisme.
M. Guy Geoffroy. Il faut la lire !
M. Pascal Popelin. Cela va vite !
M. Patrick Mennucci. Elle s’inscrit simplement dans un dispositif politique inspiré par votre penseur, M. Buisson – on a les philosophes qu’on mérite…
M. Patrice Verchère. Toujours le même argument !
M. Patrick Mennucci. …qui consiste à prendre nos compatriotes qui ont des origines au Maghreb comme « têtes de Turcs », si vous m’autorisez cette vieille expression française.
Votre texte n’a pour but, comme en attestent d’ailleurs les propos approbateurs des députés du Front national en commission des lois, que de courir après le Front national.
M. Patrice Verchère. Nous n’allons tout de même pas dire qu’il fait mauvais parce qu’ils annoncent qu’il fait beau !
M. Meyer Habib. C’est tout l’inverse !
M. Patrick Mennucci. Cette initiative est fondée sur des préjugés défendus par une partie de l’UMP – un courant minoritaire, je l’espère, à l’Assemblée nationale, si j’en juge par les effectifs venus la soutenir.
Votre proposition de loi ne correspond pas à la réalité. Elle n’a d’autre but que d’envoyer des signaux au Front national…
M. Patrice Verchère. Il y a de plus en plus de Français de gauche qui votent Front national !
M. Guy Geoffroy. Vous êtes en train de gagner votre troisième place !
M. Patrick Mennucci. …de faire des clins d’œil, quasiment des œillades, au vieux chef et à ses deux héritières. (...) La vérité, c’est que vous essayez encore une fois de racler les suffrages de ceux de vos électeurs qui sont tentés de voter pour le Front national. (...) Peut-on faire perdre à Maxime Hauchard, de la vallée de l’Eure, la nationalité française, lui qui est normand et dont la famille est peut-être devenue française en 911 ou en 1315, quand les barons normands ont prêté allégeance au roi de France ? Aujourd’hui, de qui parlons-nous ? Votre initiative va-t-elle dissuader les « Hauchard », ou d’autres encore, de se livrer au terrorisme ? Non.
M. Guy Geoffroy. Que proposez-vous ?
M. Patrick Mennucci. Dans le cadre du dispositif déjà appliqué par l’État français, votre proposition de loi est inutile, stigmatisante – mais pas à l’égard des Normands, comme vous l’avez sans doute remarqué – et très probablement inconstitutionnelle.(...) Vous le savez bien : 99,99 % de ceux qui vont au djihad aujourd’hui sont des Français qui ne seraient pas concernés par votre loi.
M. Patrice Verchère. Mais si !
M. Patrick Mennucci. Par votre proposition de déchéance, vous ne poursuivez qu’un but : stigmatiser une partie de la population. La vérité est que vous nous faites perdre du temps dans le travail, dans la réflexion que nous devons conduire sur ce sujet.(Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. Monsieur Verchère, s’il vous plaît !
M. Patrick Mennucci. Vous cherchez simplement à hystériser l’opinion. Vous avez l’habitude : une fois, c’est le voile, la fois suivante, c’est la cantine, une troisième fois, c’est le piteux débat que vous avez fini par remballer sur l’identité nationale.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est tragique !
M. Patrick Mennucci. Mes chers collègues, ce texte ne constitue qu’une tentative assez faible, il faut le dire, de reprendre un peu la main dans le domaine de la sécurité. (...) La vérité, messieurs, est que votre texte est inutile : le Gouvernement français combat le terrorisme et le djihadisme avec une détermination absolue mais, à la différence de vous, il le fait dans le respect de la Constitution et des principes de la République.(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est beau comme de l’antique !
M. Pascal Popelin. Ce qui nous est proposé est en effet de constitutionnalité douteuse, de facture juridique éminemment fragile, de portée extraordinairement limitée et d’une utilité dont il vous est peu aisé de convaincre. Le tout est néanmoins, comme d’habitude, habilement paré d’un appel au fameux bon sens que vous aimez à qualifier de populaire. Mais, dans le cas d’espèce, associer cet adjectif au concept de bon sens me semble plutôt relever d’une volonté de faire prendre à nos concitoyens des vessies pour des lanternes.
(...)
Pour vous dire l’opposition du groupe socialiste, républicain et citoyen à cette proposition de loi, j’ai voulu m’en tenir à ces éléments factuels. On aurait pu dire bien d’autres choses. Mais finalement, sur l’intention comme sur le contexte, ce sont nos collègues d’extrême droite membres de la commission des lois qui ont tout dit, en qualifiant les auteurs de « pickpockets législatifs ». Je ne suis pas certain d’avoir compris si, dans leur bouche, il s’agissait d’un compliment…mais l’oratrice qui va me succéder à la tribune nous éclairera sans doute sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, la nation, ça s’hérite ou se mérite.
Mme Anne-Yvonne Le Dain et Mme Marie-Anne Chapdelaine. Oh !
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il est bon de rappeler certaines choses, chers collègues. Cette idée de bon sens permet d’unir les Français par une communauté d’histoire, de culture, de valeurs et d’intérêts qui forme comme l’écrivait Bainville « la richesse intellectuelle et morale de la France, son équilibre, son génie. »
Cet équilibre, quarante ans de laxisme d’État, d’immigration incontrôlée – que vous le vouliez ou non –, de mépris de l’idée nationale l’ont rompu. Les causes qui incitent aujourd’hui le législateur à revoir le processus d’exclusion de la communauté nationale doivent être regardées en face, libérées des œillères du politiquement correct.
Ce sont vos usines de production intensive de Français de papier et votre fascination pour le modèle communautariste anglo-saxon qui ont rendu notre tradition assimilationniste inopérante. Sous couvert de tolérance et de bons sentiments, vous avez privé ces Français d’une identité fière à laquelle se rattacher.
(...)
L’UMP retrouve dans l’opposition le courage qui lui manquait hier aux affaires : aucune déchéance ne fut prononcée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, pendant lequel la France découvrit avec horreur Mohamed Merah premier « loup solitaire » d’une meute qui ne cessera de s’agrandir. À gauche, Manuel Valls fit des promesses musclées, comme à son habitude, suite à l’affaire Nemmouche. Le voilà Premier ministre, mais aucun projet ne fut jusqu’ici inscrit à l’ordre du jour.
Après la charte de la laïcité dans les écoles, sûrement la gauche va-t-elle proposer d’accrocher au mur des prisons une charte de la nationalité. Soyons sérieux, le rôle des hommes et des femmes politiques n’est pas de réciter les valeurs de la République ou de les exposer dans de jolis cadres, mais de les défendre.
Ce sont vos renoncements qui font aujourd’hui de la France anciennement fille aînée de l’Église, la fille aînée du djihadisme. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
(...) Si modification législative il doit y avoir, ce doit être pour remplacer cette possibilité par une application systématique de la déchéance aux djihadistes binationaux qui, doublée de la restauration de la double peine, supprimée par l’UMP, permettrait d’évacuer du territoire ces menaces pour notre société. (...) Le rapporteur de la présente proposition a osé quelques initiatives significatives que je salue.
M. Patrick Mennucci. Voilà !
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Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je voterai ce texte, pour le symbole, (« On avait compris ! » sur les bancs du groupe SRC) car l’arsenal du droit est déjà en grande partie à notre disposition. Il ne manque en réalité que le diagnostic des erreurs passées, le courage et la volonté. Malheureusement, ces qualités ne se votent pas dans l’hémicycle.
Mme la présidente. La discussion générale est close. (...)