Monsieur le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra),
Dans un de vos récents posts, publié sur votre page Facebook sous l’emblème de la République, vous évoquez avec violence – presque avec haine – ce que vous qualifiez « d’offensive antirépublicaine menée par Tariq Ramadan, le Parti des Indigènes et un certain nombre de collectifs antidémocratiques, racistes et antisémites ». Vous saisissez l’occasion d’un meeting public, tenu à Saint-Denis, avec, précisez-vous, « le concours ou la bienveillance de certaines organisations d’extrême gauche et syndicats professionnels… ».
Vous n’êtes pas sans savoir que la Ligue des droits de l’Homme, avec d’autres, a participé à ce rassemblement qu’elle n’organisait pas, mais auquel elle était invitée ; ce qui nous amène à vous poser plusieurs questions.
Tout d’abord, rangez-vous notre association parmi les « collectifs antidémocratiques, racistes et antisémites » auxquels vous faites référence ? Ensuite, estimez-vous que la Ligue des droits de l’Homme est au nombre de ces organisations que vous accusez, au mieux, d’être confuses sur « les périls qui menacent notre société, qu’il s’agisse, depuis bien longtemps, des questions de sécurité, de laïcité, de respect des lois de la République […] » ? Si c’est le cas, votre propos procède d’une ignorance à ce point scandaleuse de la réalité de nos positions, de nos propos, de notre activité et de l’histoire de France... qu’il nous est difficile d’y croire. Nous souhaiterions vivement, par conséquent, savoir si cette vision relève d’une sensibilité toute personnelle, voire privée, ou si elle engage le Dilcra.
Ce dernier point nous touche d’autant plus que vous affirmez, non sans véhémence, que la critique de l’état d’urgence, ou de la politique étrangère de la France, ne vise qu’à « légitimer l’islamisme, à défendre des prédicateurs fondamentalistes et à piéger la jeunesse des quartiers dans une radicalité sans issue ».
Faut-il conclure de vos propos que lorsque la LDH s’élève contre la prorogation de l’état d’urgence et engage les recours nécessaires, elle légitime cette « radicalité » dont on peut déduire tout naturellement qu’elle conduit au terrorisme ? Vous rendez-vous simplement compte de ce que vous écrivez ?
La France a, de fait, un fort besoin de rassemblement contre le racisme et tous ses avatars, au rang desquels nous comptons l’antisémitisme, l’islamophobie, la négrophobie, les discours et pratiques anti-Roms et autres qui dénaturent la devise républicaine au nom d’une égalité devenue relative… Il revient évidemment à chacun de s’exprimer sur la pertinence de ces sujets, de leur sémantique et du jeu des acteurs en présence ; il ne vous appartenait pas, en revanche, de dicter une doxa antiraciste et pas plus d’exclure tel ou tel. Vous êtes-vous seulement rendu compte que votre propos ne peut qu’être ressenti que comme un mépris institutionnel ? Au risque de ruiner l’impact de la mission que le gouvernement vous a confiée.
Même si nous sommes très critiques à l’égard de certaines positions qui remettent en cause l’universalisme de l’antiracisme, nous les entendons aussi pour ce qu’elles sont : le résultat d’une réalité qu’aucun gouvernement n’a su ou voulu réduire. Combattre ces dérives, ce n’est pas lancer des anathèmes et adopter un langage d’exclusion. Nous avons, comme association de défense des droits et des libertés, le souci de faire vivre le dialogue, fût-il difficile, entre associations antiracistes. C’est ainsi que nous sommes cosignataires de la campagne contre le racisme qui proclame « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute ». Il est tout à fait incongru de voir le Dilcra, supposé favoriser dialogue et convergences, s’acharner à rajouter son « mais... » à la belle phrase de Lamartine.
Puisque votre post est public, vous comprendrez que nous faisions de même.
Je vous prie de croire, monsieur, en l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Françoise Dumont
Présidente de la LDH