« La France est en guerre. » Maintes fois employés depuis les attentats du 13 novembre, les premiers mots prononcés par François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, lundi 16 novembre, n’auront surpris personne. Signe des temps, ils ont seulement fait sursauter quelques constitutionnalistes. « Selon l’article 35 [de la Constitution], il appartient au Parlement seul d’autoriser la déclaration de guerre, note Dominique Rousseau, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne-Paris-I. Le président a-t-il l’intention de demander au Parlement l’autorisation de déclarer la guerre à l’Etat islamique ? S’il ne le fait pas, la France ne peut dire, d’un point de vue constitutionnel, qu’elle est en guerre. »
Faut-il être bien sourcilleux pour faire cette observation, se dira-t-on, la mémoire à vif des corps de toutes ces personnes abattues froidement dans la capitale. Mais ces juristes sont là pour enseigner et rappeler, y compris et surtout dans les périodes de très vive émotion, les principes qui régissent notre Loi fondamentale. Cette « charte commune qui unit les citoyens d’un même pays », ce « pacte collectif indispensable pour vivre ensemble », selon les termes du président de la République.
Au demeurant, ce ne sont pas tant ses premiers mots que la suite de son discours qui a intrigué. Le propos présidentiel n’était pour le moins pas limpide d’un point de vue juridique. Que fallait-il en retenir ? Une réforme constitutionnelle serait engagée. Mais avec quel contenu, de quelle portée ? Il était bien difficile d’en juger après avoir écouté le président.
Etat d’urgence et état de crise
Le chef de l’Etat n’a formulé de manière explicite qu’une seule modification de la Constitution : son souhait d’y faire figurer l’état d’urgence – qui relève actuellement d’une loi, promulguée en 1955 –, aux côtés de l’état de siège, mentionné à l’article 36. Cette proposition, comme l’a rappelé M. Hollande, avait été formulée en 2007 par le comité Balladur, qui avait été chargé par Nicolas Sarkozy de réfléchir à une modernisation de nos institutions. Il s’agissait – parmi 77 propositions – d’une simple mesure de cohérence juridique, qui n’avait guère éveillé l’attention à l’époque. Et l’on voyait mal, lundi après-midi, comment cette seule modification pouvait générer ce que M. Hollande appelait « un régime constitutionnel permettant de gérer l’état de crise ».
« Cette révision de la Constitution doit s’accompagner d’autres mesures », a poursuivi le chef de l’Etat. On a déduit de cette phrase que la suite de son propos ne justifiait pas d’autre modification de notre « charte commune ». Or, c’est à une réforme constitutionnelle de plus grande ampleur que s’attelle l’exécutif. Lundi soir, on apprenait de source gouvernementale que la révision constitutionnelle porterait sur trois volets.
Le premier consisterait à créer un « régime civil d’état de crise » : il s’agit de la proposition du comité Balladur, étant entendu que les modalités de ce nouvel état d’urgence susceptible de figurer à l’article 36 de la Constitution seraient « adaptées aux caractéristiques particulières de la menace terroriste ». M. Hollande a notamment indiqué que « l’assignation à résidence » et les « perquisitions administratives » seraient à « consolider ». La durée d’exercice de ce régime – actuellement douze jours, sauf prorogation votée par le Parlement – devrait être réévaluée. Le Parlement sera saisi dès mercredi d’un projet de loi « prolongeant l’état d’urgence pour trois mois et adaptant son contenu à l’évolution des technologies et des menaces », a par ailleurs indiqué le président.
Déchéance de nationalité et « visa de retour »
De source gouvernementale, on indique que la révision constitutionnelle concernera deux autres sujets abordés par le chef de l’Etat : la déchéance de nationalité pour les personnes ayant été condamnées pour terrorisme, et l’instauration d’un « visa de retour » pour les Français « impliqués dans des activités terroristes à l’étranger ». S’agissant de la déchéance de nationalité, il s’agit d’élargir cette possibilité en la rendant applicable à « une personne née française, disposant de la double nationalité et condamnée pour des faits de terrorisme ou pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Actuellement, ne peuvent être visées par cette mesure que les personnes ayant acquis la nationalité française.
Selon Matignon, la question du visa de retour suppose également, « en partie » tout au moins, une révision de la Constitution. Il s’agira d’instaurer « une interdiction de retour sans permis d’entrer » pour les Français ou résidents en France « impliqués dans des activités terroristes à l’étranger ». Dans un courrier adressé à M. Sarkozy le 17 janvier, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, avait souligné qu’une telle mesure était contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, laquelle stipule que « nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant ». « Sauf à prendre le risque de se trouver sanctionné par la Cour européenne des droits de l’homme, cet article s’oppose donc à ce que le retour en France de ressortissants français soit interdit, qu’ils aient ou non une autre nationalité », avait conclu sur ce point M. Cazeneuve.
Après avoir pris connaissance des précisions apportées par Matignon, lundi soir, l’universitaire et conseiller régional EELV en Ile-de-France Bastien François dénonce une réforme qui vise à « définir un régime dérogatoire aux droits fondamentaux pour lutter contre le terrorisme ». « C’est de l’amorce constitutionnelle d’un Patriot Act à la française qu’il s’agit », estime-t-il, en soulignant que « cela, François Hollande s’est bien gardé de l’annoncer ». Dominique Rousseau a le plus grand mal à envisager que des dispositions concernant la déchéance de nationalité puissent figurer dans un article de notre Constitution. Si tel était le cas, prévient-il, « on glisserait vers un régime qui ne serait plus tout à fait républicain ».
Jean-Baptiste de Montvalon
Journaliste au Monde