C’est émue aux larmes que la vice-première ministre suédoise, Asa Romson (Les Verts), a annoncé mardi 24 novembre un durcissement historique de la politique d’accueil des demandeurs d’asile dans le pays. « Ce sont des décisions terribles que le gouvernement a été forcé de prendre », a-t-elle lâché, aux côtés du premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, en affirmant que le pays était arrivé à ses limites.
Un mois seulement après une première série de mesures destinées à mieux gérer le nombre exceptionnel de réfugiés arrivés ces derniers mois et moins de deux semaines après le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières, les deux dirigeants ont annoncé un plan destiné à réduire drastiquement leur nombre. « La Suède a besoin de répit. La législation va être adaptée au niveau minimal de l’Union européenne, a expliqué M. Löfven, mettant fin à l’ouverture et à la générosité suédoise, qui ont fait depuis le début de l’année de la Suède un des principaux pays d’accueil, avec l’Allemagne. Il faut soulager la pression pour que plus de personnes demandent l’asile dans d’autres pays européens. »
La plupart des demandeurs d’asile ne pourront plus obtenir un permis de séjour permanent, mais seulement de trois ans, éventuellement renouvelables. Stockholm va limiter le regroupement familial et exiger en cas de réunification que les personnes soient capables de subvenir à leurs besoins. La Suède va également renforcer les moyens pour déterminer l’âge des mineurs non accompagnés, très nombreux. « Des décisions encore plus terribles auraient été prises si nous n’avions pas eu un gouvernement comme celui que nous avons, constitué des sociaux-démocrates et des Verts, au milieu de cette crise des réfugiés », a justifié Mme Romson. « Nous devons nous en tenir à la réalité, a dit de son côté le premier ministre. Quand les administrations et les communes disent que ce n’est plus durable, nous devons agir. »
Record historique
Depuis le rétablissement du contrôle aux frontières le 12 novembre – qui vient d’être prolongé jusqu’au 11 décembre –, les demandes commencent à baisser. Mais la pression demeure très importante dans ce pays de 9,8 millions d’habitants. Le 24 novembre, l’Agence des migrations a annoncé que 8 015 personnes avaient demandé l’asile au cours des sept jours précédents, la majorité en provenance d’Afghanistan, de Syrie et d’Irak. Le 9 novembre, un record historique de 10 201 demandeurs d’asile au cours des sept jours précédents avait été atteint. En deux mois, 80 000 personnes se sont présentées aux frontières de la Suède pour demander l’asile. Pour faire face à l’énorme pression qui pèse sur le système d’accueil, l’Agence vient de lancer un appel d’offres pour loger les arrivants sur des ferries ou des hôtels flottants.
Si de nombreux éditorialistes saluent le pragmatisme tardif du gouvernement, les critiques ne manquent pas. Certains Verts réclament que le parti quitte le gouvernement, trouvant inacceptable que le mouvement ait accepté de n’offrir que des permis de séjour temporaires aux mineurs et aux familles, qui avaient été protégés lors de l’annonce du premier plan le mois dernier. Le parti conservateur, principal parti d’opposition, a bien accueilli les nouvelles mesures tout en déclarant aussitôt qu’elles ne suffiraient pas. Même écho des Démocrates de Suède (SD), le parti d’extrême droite. « C’est la politique de SD et c’est positif, se réjouit Markus Wiechel, leur porte-parole pour ces questions. Mais cela vient trop tard et ce n’est pas suffisant. »
Basculement de l’opinion
Les critiques sont plus dures à gauche. « La Suède a été un phare d’espoir pour les demandeurs d’asile, ce phare s’est éteint », a résumé le président du Parti de gauche, Jonas Sjöstedt. « Il n’y a pas de quoi être fier de ce qui se passe en ce moment, critique Aftonbladet, quotidien d’obédience sociale-démocrate. Le droit d’asile est un droit de l’homme, et son principe est qu’il doit être de mise quelle que soit la situation. Renoncer aux droits de l’homme en période de crise est catastrophique. » De même tendance, Arbetarbladet écrit : « La Suède est donc depuis mardi un pays qui se sert de la vie des gens afin de faire pression sur les autres pays de l’UE pour qu’ils prennent leurs responsabilités dans l’accueil des réfugiés. »
Si l’opinion a basculé ces dernières semaines, beaucoup de Suédois ont longtemps été fiers de la politique généreuse que conduisait leur pays alors que les Etats voisins durcissaient la leur. La commune de Södertälje par exemple, au sud de Stockholm, est connue dans le monde arabe comme un sanctuaire pour les chrétiens du Moyen-Orient, au point que l’ancien maire Anders Lago s’était rendu aux Etats-Unis pendant la campagne présidentielle de 2008 protester contre le fait que sa commune seule recevait plus de réfugiés irakiens que l’ensemble des Etats-Unis.
Olivier Truc (Stockholm, correspondance)
Journaliste au Monde