J’ai découvert hier avec stupéfaction, Monsieur le Président, vos propositions sur la déchéance de nationalité.
En 2010, le Discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy avait été le déclencheur de mon engagement politique au Centre. J’avais été particulièrement révoltée par une proposition faite dans ce discours : « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. »
Non pas que je défende -loin s’en faut- les meurtriers de policiers ou de militaires mais cette proposition introduisait l’idée que certains français étaient moins français que d’autres.
Je voyais le poison contenu dans une telle idée dont le bénéfice imaginaire serait bien évidement nul.
Hier, Monsieur le Président vous avez été un pas plus loin : vous avez proposé de déchoir de leur nationalité des Français nés français.
Vous avez jeté la suspicion sur nous. Vous avez suggéré que nous pourrions être une cinquième colonne.
N’y avait-il pas mieux à faire en ce moment où, à Paris, tout le monde a perdu, au moins, un ami d’ami ?
Comme Antoine Leiris l’a écrit de manière si bouleversante, ces assassins sont des âmes mortes. Mais ils n’auront pas ma haine non plus.
Je les assume : ils sont le fruit de nos entrailles, des enfants du pays. C’est ça la dure réalité à laquelle nous devons faire face : ils sont nos monstres, pas ceux de quelqu’un d’autre.
A l’heure de la mondialisation, à l’heure de l’Europe, les binationaux sont franco-algériens, franco-marocains, franco-espagnols, franco-russes, franco-américains, franco-anglais, franco-turcs, etc.
C’est ça qu’il veulent détruire : l’ouverture sur le monde, le brassage, le métissage, la liberté de vivre comme on veut. Nous, les binationaux, en avons toujours été naturellement les ambassadeurs.
Vous êtes tombé dans le piège. Vous nous avez mis un couteau dans le dos.
En effet, comment mesurer le poison de la suspicion jetée sur des millions de français à l’aune de 3 ou 4 déchéances de nationalité sans aucune efficacité ?
Dans ces conditions, comment réussir l’inclusion des français binationaux à la communauté nationale ?
Comment ne pas susciter un sentiment d’exclusion et de défiance chez nous, les « pas tout à fait Français » ?
Vous nous avez sacrifié pour rien, alors que vous deviez être notre Président. Vous avez fait de nous des français de seconde zone.
Pensez vous réellement qu’un kamikaze se soucie de la déchéance de sa nationalité ? Pensez vous que le 2e pays de nationalité d’un criminel accepterait de l’accueillir alors qu’il a été élevé en France ?
Nous aurons des criminels déchus de leur nationalité dans des prisons françaises ? A quoi bon ?
Nous ferons une course à l’échalote avec l’autre pays qui essayera de déchoir les criminels de leur nationalité avant nous ? A quoi bon ?
Nous pourrons empêcher quelques français partis en Syrie de revenir en France ? Et même, puisqu’ils reviennent avec de faux passeports. Et que feront nous des autres ? De ceux, nombreux (un tiers, il paraît), qui ne sont que Français, voire « bien Français », comme on dit ? C’est-à-dire pas d’origine arabe et pas de famille musulmane.
Tout ça pour ça ? pour rien ?
Ces criminels sont « notre » problème, c’est ça qu’il faut intégrer. Il faut l’intégrer profondément, dans notre tête, dans notre corps. Ne cherchez pas à rejeter la faute sur d’autres.
Alors au lieu de remettre en cause l’égalité de tous les français devant la loi :
– Allez en Syrie aider à détruire Daech
– Et retournez aussi dans les quartiers où les forces de l’ordre et les enseignants ne veulent plus aller
– Remettez les enfants sur le chemin de l’école pour tous et l’ascenseur social en marche
– Faites baisser le chômage pour que les jeunes recommencent à croire qu’ils ont un avenir
– Réformez, déverrouillez le travail pour qu’il y ait de la place pour tous
Mais, Monsieur le Président, ne faites pas de nous vos boucs émissaires.
J’en profite aussi pour vous rappeler la phrase de Benjamin Franklin :
« They who can give up essential liberty to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty or safety » - Ceux qui sont prêts à sacrifier une liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté, ni la sécurité.
Anne Lebreton