Traité international des plantes (TIRPAA)
6e session de l’Organe directeur - FAO, Rome, 5-9 octobre 2015
Le Compte Rendu des Réseaux Semences Paysannes
Rappel : En juin 2015, les Réseaux semences paysannes ont lancé un appel aux gouvernements membres du Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) pour les prévenir qu’ils étaient en train de tuer le Traité : « Tant que vous n’aurez pas interdit tous les brevets biopirates, tant que les agriculteurs n’auront pas le droit de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre les semences issues de leurs récoltes nous refuserons toute collaboration avec la recherche et les banques de gènes qui se mettent au service des multinationales semencières. » L’appel qui a été publié en quatre langues a été signé déjà par plus de 150 organisations. Il est toujours ouvert à la signature vu que les réponses aux questions qu’il pose n’ont pas été apportées. [1]
À cause de l’importance des enjeux (la mort du seul traité international qui reconnaît le droit des agriculteurs sur leurs semences !) nous avons décidé de participer physiquement, pour la première fois en tant que réseaux semences paysannes, à côté des autres mouvements sociaux et notamment de La Via Campesina.
A] Processus préparatoire
Pendant les rencontres internationales « Sème ta résistance » à Pau (France), une semaine avant la 6e session de l’Organe Directeur du Traité, un atelier avait été organisé autour de l’appel des réseaux de semences paysannes contre la biopiraterie qui a réuni 70 personnes dont plusieurs représentants de la société civile qui se sont retrouvés à Rome :
1. Antonio de Crocevia, Antonio et Maria Noëlle du Mouvement des agroécologistes d’Amérique Latine (MAELA), Marciano du mouvement des petits agriculteurs du Brésil (MPA), Maryam et Khadija de l’ONG iranienne CENESTA, Guy pour La Via Campesina, Alihou de l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (ASPSP) et Omer de Synergie paysanne (Bénin) pour le Comité ouest africain des semences paysannes (COASP) et Bob de BEDE membre du Réseau semences paysannes français (RSP).
2. À la FAO à Rome, nous avons bénéficié de l’appui logistique inestimable du CIP (Comité international participatif pour la souveraineté alimentaire) et linguistique des interprètes professionnelles volontaires de La Via Campesina (LVC). Le CIP est la plateforme auto-organisée des mouvements sociaux qui permet de construire une interface avec la FAO. Le secrétariat du CIP est confié à Crocevia qui a toute la mémoire des négociations internationales pour l’agriculture et l’alimentation, et notamment sur les ressources génétiques des plantes. Avec MAELA, MPA, LVC, nos réseaux semences paysannes font partie du Groupe de travail du CIP sur la biodiversité agricole et alimentaire. C’est ce groupe-là qui a lancé l’appel des réseaux.
3. Le samedi-dimanche (3-5 Octobre) nous nous sommes réunis d’abord au sein du CIP, puis avec les ONG qui sont assez nombreuses à suivre les réunions du Traité et participent pour certains depuis plusieurs années aux groupes de travail officiels. Parmi les plus actives : La Déclaration de Berne, Oxfam Novib, Norvegian Development Fund, ETC Group, USC Canada, Searice et Uk-food-group (malheureusement absent cette année). Ensemble nous avons essayé de définir nos positions et les déclarations que nous ferons comme observateurs en fin de négociations. Il a été décidé que les organisations paysannes d’une part et les ONG d’autre part feront à chaque fois une déclaration, l’une renforçant l’autre.
B] Organisation des négociations intergouvernementales
Les séances se sont enchaînées du lundi au vendredi soir, soit en plénière soit en groupe de travail. Parfois des évènements spéciaux parallèles (side -event) permettaient d’approfondir un sujet. Les documents préparatoires ont été mis sur le site du Traité [2], ou distribués pour certains seulement quelques heures avant qu’ils n’arrivent à l’ordre du jour. Souvent les textes n’existent qu’en anglais. Ils sont généralement très complets, complexes et doivent être lus avant les séances, car les résolutions sont alors négociées par les gouvernements.
Dans les prises de paroles on distingue clairement différentes positions : les plus libéraux et anti-droits des paysans sont les pays industriels et notamment le Canada, l’Australie et l’Union Européenne (les Etats-Unis ne sont pas signataires du Traité, ni la Chine et la Russie…). Les plus favorables avec les positions des organisations de la société civile sont certains pays du Groupe des 77 (Honduras, Guatemala, Ethiopie). Le Brésil qui a une excellente négociatrice, l’Inde et la Norvège peuvent aussi aider à l’équilibre des positions dans le Traité. Les pays francophones africains, du Maghreb comme de l’Afrique de l’ouest et du centre, s’expriment très peu, voire pas du tout. En discutant en aparté avec les délégués, ils avouent être dépassés et manquer de capacité nationale pour affermir une stratégie propre. L’absence de participation des délégués francophones dans une telle enceinte où se prennent des décisions importantes sur le contrôle des semences, questionne les observateurs de la société civile sur la volonté des gouvernements à lutter pour leur souveraineté alimentaire.
C] Principales Résolutions de la 6e session de l’Organe Directeur
Pour chacune des résolutions préparées par le Secrétariat du Traité, Shakeel Bhatti -qui est un ancien directeur chargé des biotechnologies à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI)-, les délégués des états partis ont négocié. Les observateurs du secteur privé comme la Fédération international des semenciers (IFS), des organisations internationales comme le Forum Global pour la Recherche Agricole (GFAR) ou le Groupe consultatif international pour la recherche agricole (CGIAR), mais aussi les organisations de la société civile [3].
Pour beaucoup de choses, les jeux étaient déjà faits à l’avance et l’influence de l’industrie semencière apparaît prédominante. Ce qui se reflète dans les constats suivants :
1. Les droits des agriculteurs sont dans l’impasse, il n’y a aucun moyen financier pour soutenir leur mise en œuvre. Toute discussion sur l’influence négative d’UPOV et OMPI sur les droits des agriculteurs est étouffée. Des ONG comme la Déclaration de Berne ont cependant produit d’intéressantes études de cas pour stimuler le débat.
2. Les discussions sur l’amélioration du Système Multilatéral d’échanges des ressources génétiques entre les banques de gènes et sur le partage des bénéfices s’enlisent. L’industrie ne veut rien payer, et les cotisations volontaires des gouvernements sont hypothétiques. Là aussi il n’y a pas d’argent pour le Fonds de partage qui est censé être dédié aux activités de conservation in situ et à la ferme dans les pays en voie de développement (PVD).
3. La concentration des ressources génétiques ex situ est par contre fortement soutenue à travers le Fonds fiduciaire mondiale pour la diversité des cultures (Global Trust). Il envisage de collecter un demi-milliard de dollars dans les deux prochaines années pour son fonds de dotation qui servira d’abord à consolider les banques des centres internationaux de recherche du CGIAR et la banque de l’Apocalypse de Svalbard. Dans 3 un deuxième temps le Trust financera les banques de gènes nationales qu’il aura, lui, sélectionnées. Pour le délégué des Etats-Unis qui s’exprimait comme observateur, « 40 millions de dollars ont été donné au Trust par les Etats-Unis, les normes des banques de gènes donnent des assurances sur la transparence des ressources et donneront des garanties aux donateurs pour continuer à investir. »
4. Un des points cruciaux des débats a concerné le programme Divseek que nous avions dénoncé dans notre appel. En effet, il apparaît de plus en plus évident pour les gouvernements du Sud que la dématérialisation des ressources génétiques des banques du système Multilatéral permettra de mettre à disposition de tous et sans aucun Accord de transfert de matériel, les données numériques des séquences de gènes qui pourront être piratées et brevetées par les industriels des biotechnologies des pays du Nord.
5. Il est important de noter que le fonctionnement du multilatéralisme propre aux instances de l’ONU impose un processus de prise de décision très lent. Il est plus facile de bloquer une décision que d’en prendre une. A Oman, il y a deux ans la majorité des PVD avec les pays émergents (Brésil, Inde) a bloqué la volonté des pays semenciers d’agrandir le nombre d’espèces cultivées concernées par le système multilatéral du Traité qui permet d’échapper aux contraintes du protocole de Nagoya. À Rome, c’est une petite minorité de deux pays (Canada et Australie, qui sont au Traité le relai fidèle des Etats-Unis) qui a bloqué toute décision positive pour les droits des agriculteurs contre la majorité.
6. Pendant ce temps, le secrétariat du Traité organisait deux coups de force illégaux avec la bénédiction du président australien du bureau afin de forcer l’Organe directeur : - la collaboration avec Divseek décidée sans l’aval de l’Organe directeur et qui permettra de mettre en place un système multilatéral des brevets sous forme de clubs privés et payants avant que le Traité ne s’effondre du fait de la privatisation de ces ressources par le brevetage de leurs traits natifs, - la reconduction du secrétaire général (qui ne travaille que pour l’industrie) sans l’aval de l’Organe directeur et du nouveau bureau du Traité.
Il apparaît que les Etats signataires sont en train de violer le Traité. Malheureusement, le temps du multilatéralisme est plus lent que le temps de la corruption des institutions par l’industrie. L’Organe Directeur a préféré valider les deux coups de force du secrétariat et renvoyer la discussion sur Divseek à un futur groupe de travail plutôt que d’aller vers une crise ouverte et une paralysie au moins provisoire du Traité. Peut-on espérer que la présidence indonésienne du prochain Organe directeur facilite une meilleure évolution ?
• Quelles conclusions en tirer ?
Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation est depuis le départ un traité voulu avant tout pour l’industrie des semences, et non pas pour les organisations paysannes. C’est cependant un Traité international contraignant pour les gouvernements qui se sont impliqués pendant des décennies à définir un équilibre régulateur. On peut même dire cependant aujourd’hui que le TIRPAA a échappé aux pays contractants et qu’il est devenu l’outil des industriels.
Il y a trente ans exactement, il a été possible d’insérer dans ces négociations de sélectionneurs et d’industriels la notion de droit des agriculteurs. Ils ont tout fait pour réduire la place des agriculteurs au plus strict minimum. Il est en effet ironique de se retrouver « observateur » sans droits de contribution directe aux négociations, quand il s’agit de résolutions sur les droits des agriculteurs ! Peut-on imaginer que les droits des femmes soient négociés sans une femme ? On se retrouve deux siècles en arrière lorsque que les pays impérialistes décidaient des droits pour leurs sujets sans même les consulter…
En ce moment où les industries semencières et pharmaceutiques s’acharnent sur l’Afrique, les pays africains -surtout francophones- ont brillé à Rome par leurs absences (absences physiques et absences dans les débats.) Alors, la question est de savoir sur quoi ces 4 pays vont se baser pour demander à leur peuple d’alimenter le Système Multilatéral ou d’accepter l’entée des OGM ? Ils sont mal placés, ils n’ont pas d’argument. Les Organisations paysannes, les ONGs, les consommateurs, bref le peuple a le droit et le devoir de se défendre luimême de la biopiraterie et de la « mal bouffe ».
Le groupe des représentants des réseaux semences paysannes préconise les actions collectives suivantes :
– Nous devons continuer à être présents aux négociations internationales du Traité tout en préparant mieux nos interventions avec des capacités juridiques propres plus appuyées. Nous devons aussi être plus actifs entre deux sessions dans le Groupe de travail sur la biodiversité agricole et alimentaire de notre plateforme du CIP. Ces rendez-vous biennaux des sessions de l’Organe directeur du Traité restent un cadre politique intéressant car il permet de mieux comprendre les rouages des conventions internationales, les jeux d’acteurs, les manques flagrants de l’exercice de la démocratie dans la « communauté internationale ». C’est un espace qui rend aussi possible la construction des alliances, non seulement au sein de la société civile, mais aussi avec des représentants d’institutions ou de gouvernements.
– L’essentiel du travail doit cependant continuer à se faire au niveau national pour réaliser les droits des agriculteurs. Notre prise de décision ferme de ne plus collaborer avec la recherche sans la reconnaissance concrète de ces droits est le seul moyen de se préserver un peu de la biopiraterie. Notre position doit créer une prise de conscience auprès de la recherche publique que les collections ex situ ne sont plus sous souveraineté nationale, et qu’il faut qu’elle soutienne notre travail de gestion dynamique de la biodiversité agricole dans nos champs si elle souhaite que les ressources génétiques servent vraiment aux paysans.
Réseaux semences paysannes
• Contacts des représentants des réseaux semences paysannes à la 6e session de l’organe directeur du Traité
• Comité ouest africain des semences paysannes - Alihou Ndiaye (Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes, Sénégal)
mail : nalihou yahoo.fr - Omer Agoligan (Synergie paysanne, Bénin)
mail : agoligano yahoo.fr
• Réseau semences paysannes - Bob Brac de la Perrière (Biodiversité échanges et diffusion d’expériences)
Mail : brac bede-asso.org
– Avec la contribution de Guy Kastler qui a participé comme représentant de La Via Campesina
Mail : guy.kastler wanadoo.fr