La décision est inédite. Le tribunal de grande instance (TGI) de Tours a ordonné, le 20 août, la rectification de l’état civil d’une personne née avec une « ambiguïté sexuelle » et la substitution de la mention de « sexe masculin » par la mention « sexe neutre ». « C’est la première fois qu’on reconnaît en Europe l’appartenance d’un adulte à un sexe autre que masculin ou féminin », insiste Benjamin Moron-Puech, auteur d’un mémoire Les Intersexuels et le droit (université Panthéon-Assas).
Cela n’a pas échappé au parquet, qui a fait appel d’une décision qu’il estime relever d’un « débat de société générant la reconnaissance d’un troisième genre ». « Nous ne sommes pas dans le rôle du législateur pour créer la loi », a observé le vice-procureur de la République de Tours, Joël Patard. « C’est une décision importante, analyse M. Moron-Puech. Et le parquet estime souhaitable que d’autres juridictions, et sans doute à terme la Cour de cassation, se prononcent sur cette question afin de dégager une solution claire et faisant autorité. »
D’ores et déjà, Vincent Guillot est « heureux ». Celui qui a cofondé, en 2004, l’Organisation internationale des intersexués (OII), voit dans cette remise en cause de la binarité sexuelle la « suppression du principal prétexte aux mutilations des enfants en bas âge ».
« Des traitements irréversibles »
Car c’est avant tout cette revendication que portent les personnes intersexuées, qui représenteraient 1,7 % de la population ou encore environ 200 nouveau-nés par an en France. L’intersexualité renvoie à une variation de l’aspect des organes génitaux externes et internes souvent corrigée par un traitement hormonal ou une chirurgie génitale à la naissance, dans le but d’assigner à l’enfant un sexe féminin ou masculin.
« Dès les années 1940, les traitements précoces tels que la réduction clitoridienne ou la vaginoplastie ont commencé à se systématiser, rappelle Cynthia Kraus, philosophe à l’université de Lausanne, en Suisse. Certains cliniciens continuent de justifier ces traitements irréversibles pour assurer le prétendu bon développement psychologique et sexuel de l’enfant. En réalité, ils privilégient l’apparence des organes génitaux au détriment de l’intégrité corporelle et du droit à l’autodétermination, alors même qu’on ne sait pas comment la morphologie de l’enfant va évoluer ni à quel sexe il va s’identifier. »
En mai 2015, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, a présenté un rapport sur le sujet dans lequel il évoque ces « conséquences tout au long de la vie, incluant : la stérilisation, des lésions graves, des infections de l’appareil urinaire, une réduction ou la perte complète des sensations sexuelles, la suppression des hormones naturelles, la dépendance aux médicaments et un sentiment profond de la violation de leur personne ».
D’après Vincent Guillot, seules deux procédures au pénal contre des médecins seraient en cours en France. « Le combat des intersexes est récent, rappelle Joëlle Wiels, généticienne au CNRS et coauteurs de Mon corps a-t-il un sexe ? (Editions La Découverte, 2015). L’intersexuation a longtemps été taboue, considérée comme une maladie. »
Le cas des transsexuels
Les malentendus ne sont pas tous dissipés. Sur Twitter, La Manif pour tous a vu dans la décision du TGI de Tours l’œuvre de « l’idéologie du gender » (du genre). Le directeur de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, Yves de Kerdrel, parle, lui, du « début d’un effondrement des piliers de notre civilisation ».
Cette décision a-t-elle ouvert une boîte de Pandore ? De l’avis de Benjamin Moron-Puech, « les juges qui seront prochainement saisis de cette affaire s’attacheront sans doute à circonscrire très nettement leur décision aux seules personnes intersexuées ». Peut-on imaginer, par exemple, que les personnes transsexuelles puissent à l’avenir se revendiquer elles aussi d’un sexe neutre ? Aujourd’hui, elles peuvent seulement modifier le sexe mentionné à l’état civil si elles attestent d’une transition « irréversible », c’est-à-dire d’une stérilisation. Bien que l’ablation génitale ne soit pas obligatoire, les demandeurs doivent souvent se soumettre à des expertises attestant d’une opération chirurgicale de réassignation sexuelle.
« Biologiquement, les transsexuels n’ont rien à voir avec les personnes intersexuelles, tranche Joëlle Wiels. Mais, du point de vue de la reconnaissance des droits, il y a cet objectif commun de faire tomber la bicatégorisation mâle/femelle ». A l’inter-LGBT (Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans), Clémence Zamora-Cruz, chargée des questions trans, précise : « Des personnes peuvent réclamer un troisième genre, mais ce n’est pas une revendication globale des associations trans. A l’inter-LGBT, on pense que la personne doit pouvoir s’autodéterminer selon sa conviction intime. »
Julia Pascual
Journaliste au Monde