Ils sont bien sérieux au milieu de leurs livres, de leurs exercices de mathématiques et de théorie informatique. La plupart de leurs copains sont à la mer en attendant une reprise de la fac qui se fait attendre, mais Lefteris et Nikos ont choisi, eux, de se plonger dès à présent dans le programme de leur année d’université à venir. Et c’est ensemble, entre deux pauses-café et guitare, qu’ils révisent, enfermés dans l’appartement familial du quartier résidentiel de Metamorfosi, au nord d’Athènes.
« Je suis étudiant en systèmes électroniques à la fac d’ingénieurs de l’université du Pirée, explique ainsi Lefteris Papageorgiou, 19 ans. Ma famille a fourni un effort considérable pour me permettre d’accéder à cette école et je me dois de réussir. » Ces deux frères veulent y croire, même s’ils savent que trouver un emploi s’annonce difficile en Grèce. « Il y a toujours plus de 50 % de chômage chez les jeunes. J’espère que d’ici à ce que j’aie terminé la fac, les choses iront mieux. Mais à ce rythme-là, on n’est pas près de s’en sortir ! », ironise Nikos.
Les élections, une préoccupation secondaire
Les élections législatives de dimanche ? Une préoccupation secondaire pour ces jeunes hommes si résolument occupés à se construire un avenir. Aux élections de janvier, Lefteris avait pourtant voté avec enthousiasme pour le parti de la gauche radicale Syriza. « Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir été trahi, d’avoir été trompé par quelqu’un à qui j’avais donné toute ma confiance », reconnaît-il, une lueur de colère dans les yeux. Lefteris n’ira peut-être pas voter dimanche. Il ne sait pas encore.
Nikos, lui, n’avait déjà pas voté en janvier. « Personne pour me représenter, dit-il. La plupart de mes copains ont voté pour Syriza, mais moi, je pensais qu’il n’arriverait à rien parce qu’il promettait trop. Pour autant, je ne voulais pas voter non plus pour ceux qui nous ont menés à la catastrophe. Alors je me suis abstenu. Et je vais certainement faire pareil cette fois-ci. »
En promettant d’en finir avec l’austérité, de bouter hors de Grèce la très détestée « troïka », mais aussi de préserver un système public d’éducation gratuit, un dernier point qui parle beaucoup aux jeunes en Grèce, le premier ministre, Alexis Tsipras, avait réussi à fédérer le vote de plus de 30 % des 18-34 ans. Selon un sondage paru il y a quelques jours dans le quotidien grec Ethnos, ils ne seraient plus que 18,6 % à le suivre.
Le plus étonnant chez ces jeunes est la tristesse et la résignation qui traversent leurs regards. Comme si l’échec de Syriza à changer le système, en Grèce comme en Europe, avait éteint leurs rêves. « C’est exactement ce que je ressens, avoue Lefteris. Après ces cinq années très angoissantes, Syriza, c’était un espoir fort, qui s’est fracassé en moins de six mois. Que nous reste-t-il ? Vers qui nous tourner ? »
« Génération Grigoropoulos »
Cette question, Andonis Papangelopoulos, 25 ans, étudiant en architecture, se l’est aussi posée le 13 juillet au petit matin, lorsque Alexis Tsipras a annoncé, après une très longue nuit de négociations à Bruxelles avec les créanciers, avoir signé un nouveau plan d’austérité. « J’ai ressenti une grande angoisse pour le jour d’après, explique ce jeune homme. Si Syriza ne peut pas donner une réponse claire et perd la bataille, qui va remplir le vide laissé par Syriza contre les politiques d’austérité ? Les nazis de l’Aube dorée ? Pourquoi la gauche a-t-elle gâché cette opportunité historique que l’on ne retrouvera peut-être jamais ? »
Andonis était alors très actif dans le mouvement de jeunesse de Syriza. Il appartient à cette génération que l’on appelle la « génération Grigoropoulos », du nom de cet adolescent de 15 ans assassiné le 6 décembre 2008 par un policier. « J’avais 17 ans à l’époque et, comme presque tous les gens de mon âge, la mort d’Alexis nous a jetés dans la rue et a marqué le début de mon engagement en politique. » A l’époque, Syriza est dans l’opposition et se place aux côtés de cette jeunesse en colère. « M’engager pour Syriza était naturel et j’ai vraiment beaucoup donné. Je suis terriblement déçu par ce revirement. »
Un temps, Andonis a pensé rentrer chez lui, se concentrer sur ses études et laisser tomber la politique. Et puis, fin août, Panagiotis Lafazanis, un dissident de Syriza, a créé un nouveau parti, l’Union populaire, qui reprend le flambeau de la lutte antiaustérité. « J’ai alors rejoint Lafazanis, non pas tant pour lui, mais parce que je crois qu’une véritable politique de gauche ne peut pas s’exprimer dans le cadre d’un mémorandum et de l’austérité. Je crois qu’on n’a pas le droit de se détourner de la politique. Parce que les autres, ceux qui sont à l’opposé de ce que je crois, eh bien eux, ils continuent. »
« La gauche doit s’accrocher »
Zoé Makrigianni, elle, a longuement hésité à prendre ses distances, comme nombre de jeunes militants de Syriza : « Finalement, je suis restée, parce que je pense que la gauche doit s’accrocher dans les situations difficiles et qu’il faut lutter de l’intérieur, même si on n’aime pas ce qui se passe. » Zoé se souvient du référendum du 5 juillet, sur les propositions des créanciers de la Grèce, comme d’un jour de fête.
« Ce soir-là, nous avons été 62 % à dire non à l’austérité, non à l’humiliation, non au chantage, non aux forces conservatrices du pays qui voulaient nous imposer quoi penser. » Et pourtant, quelques jours plus tard, Alexis Tsipras cédait et signait un nouveau mémorandum. « Evidemment que ce moment a été très douloureux, mais avions-nous le choix ? J’ai beaucoup pleuré ce jour-là, mais j’ai aussi trouvé Alexis courageux et responsable. »
Ces derniers jours, Alexis Tsipras en campagne s’est démené pour convaincre cette jeunesse désenchantée, tentée par l’abstention, de lui donner une seconde chance. « Ils n’ont rien compris une nouvelle fois, lance, fiévreux, Konstantinos, un tout jeune homme venu se renseigner au kiosque de campagne du groupuscule d’extrême gauche Antarsya. « En refusant de voter, on leur dit à tous : foutez le camp et laissez-nous le champ libre ! »
Adéa Guillot (Athènes, correspondance)
Journaliste au Monde