Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras fin janvier, les armateurs sont confrontés à une exigence incontournable de leurs financiers : ne pas garder leur argent en Grèce. George Xiradakis en sait quelque chose : basé à Athènes, il fait lui-même du financement pour la marine marchande, à la tête de sa propre entreprise, XRTC Business Consultants. « L’ordre des banques est clair, tout l’argent doit être conservé à l’étranger, en dollars. »
Ce phénomène contribue à vider les caisses des banques grecques et remplit celles des grands établissements internationaux, en particulier à la City. « Londres est le deuxième centre pour les armateurs grecs, après le port du Pirée », rappelle M. Xiradakis.
Pas d’impôts payés en Grèce
La plupart des entreprises maritimes grecques ont des bureaux dans la capitale britannique, même si leurs sièges n’y sont que rarement enregistrés. C’est à Londres qu’est basé le Baltic Exchange, la seule Bourse maritime au monde, où est déterminé le prix pour transporter des cargaisons. A deux pas de là se trouve le Lloyd’s, où la majorité des armateurs viennent acheter leurs assurances. Quant aux avocats spécialisés dans les paradis fiscaux où enregistrer les pavillons des vaisseaux, et les banquiers d’affaires pour s’occuper de leurs financements, ils s’en trouve des milliers.
Contrairement au tourisme, l’autre grande industrie grecque, le transport maritime ne dépend pas de l’économie intérieure du pays. Il s’agit d’une activité internationale, sur laquelle le ralentissement de la croissance chinoise fait sentir ses effets. « Les armateurs ne sont pas particulièrement inquiets de la crise grecque, reconnait Ilias Bissias, qui publie le magazine spécialisé Naftika Chronika. Leur flotte de vaisseaux est à l’étranger, et il n’est pas difficile pour eux de déménager à Monaco, Londres ou Dubaï. En revanche, une sortie de la zone euro serait une catastrophe pour toute l’industrie secondaire qui dépend d’eux, que ce soit la réparation des bateaux ou le travail administratif. »
Bien à l’abri à Londres, avec des comptes en dollars et un commerce tourné vers l’international, les armateurs ne veulent pas entendre parler de payer des impôts en Grèce. Les créditeurs européens l’ont pourtant demandé. « C’est de bon sens et en faveur de la justice fiscale », estime Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.
Tiraillements
« S’ils font ça, les armateurs partiront dans le mois », réplique George Alexandridis, professeur à Henley Business School, lui-même fils d’armateur. « Dans le monde maritime, la concurrence internationale est très forte, et l’imposition est partout très faible », ajoute M. Bissias. Dubaï, en particulier, fait un gros lobbying. L’émir est passé voir les armateurs en Grèce en leur offrant un impôt nul. Il a aussi ouvert un centre d’excellence maritime pour tenter d’y faire venir les spécialistes. Singapour, Monaco, l’île de Man, le Luxembourg, les Bermudes sont autant d’alternatives possibles.
Même les plus petits armateurs sont tiraillés entre l’envie de rester en Grèce et celle de s’expatrier. « Je serai le tout dernier à partir, s’écrie George Alexandratos, le patron d’Apollonia Lines, une entreprise familiale qui possède actuellement un seul vaisseau. Mais il est vrai que déménager est facile. Et il faut résoudre la crise rapidement, sinon il va devenir impossible pour moi de payer mes employés. »
Paradoxalement, une sortie de la zone euro pourrait être positive pour l’industrie maritime grecque. Les recettes seraient en dollars, et les coûts – les salaires des employés, les locaux…– seraient en drachmes, à un prix cassé. « Mais la situation est telle que ce n’est plus une question d’argent. En cas de “Grexit”, les armateurs partiront à cause de la tourmente politique qui va embraser le pays », conclut, alarmiste, M. Xirakadis.
Eric Albert (Londres, correspondance)
Journaliste au Monde