La grève de l’école a réussi. Elle a été la plus grande et importante mobilisation du « monde de l’éducation » depuis les mobilisations contre l’ex-ministre de l’éducation Gelmini et le gouvernement Berlusconi en 2008 [1]. Nombreuses écoles étaient fermées et l’adhésion des salarié·e·s à la grève convoquée par tous les syndicats du secteur a été massive. Ce fait a été constaté par tous ceux qui avaient un enfant en âge scolaire ou simplement par ceux et celles qui ne se sont pas retrouvés bloqués dans le trafic le matin en se rendant au travail.
Ce matin, en voyageant en bus, à Rome, il était rassurant de voir qu’en raison des écoles fermées les parents ramenaient à la maison leurs enfants alors que lesdits « briseurs de grèves » n’ont pas trouvé le personnel scolaire disponible pour travailler. La participation aux différentes manifestations organisées dans les principales villes du pays a dépassé les prévisions syndicales. Nombreux sont celles et ceux qui sont descendus dans la rue lors des défilés nationaux organisés à Rome, Milan, Bari, Cagliari, Catane et Palerme. Plusieurs cortèges et manifestations se sont tenus aussi dans d’autres villes comme Turin, Bologne, Gênes, Aoste et Naples. On estime qu’au mois 300’000 personnes se sont mobilisées contre le projet de loi du gouvernement Renzi qui sera discuté dans les prochains jours aux Chambres.
La rhétorique gouvernementale autour de la « bonne école » s’est pulvérisée face aux mobilisations. En dépit des moyens de communication utilisés au maximum par Renzi et la ministre de l’éducation, Stefania Giannini (PD), dans le but d’étourdir les Italiens et Italiennes, les salarié·e·s ont compris que derrière les déclarations du président du Conseil (Renzi) se cache un projet de classe visant à détruire un droit social fondamental, celui de l’éducation publique, gratuite, libre et de qualité. Le signal d’un changement d’attitude dans « l’opinion publique » est évident. Par exemple, j’ai assisté à un échange entre un policier de la ville de Rome – faisant partie de la catégorie des travailleurs qui ont fait grève le premier janvier 2015 pour dénoncer la péjoration de leurs conditions de travail [2]- et un motocycliste irrité suite à la fermeture d’une des routes traversés par le défilé. Le policier a répondu aux plaintes du motocycliste – qui avait pris du retard pour se rendre au travail – en lui disant que ceux et celles qui étaient descendus dans la rue l’ont fait aussi dans son intérêt afin qu’un jour les gens ne soient pas contraints de payer des taxes scolaires salées pour envoyer leurs enfants à l’école.
La ministre de l’éducation Giannini – celle qui s’est distinguée dans les derniers jours pour avoir nommé « squadristi » [les « chemises noires » de Mussolini] les enseignant·e·s et les étudiant·e·s qui l’ont contesté lors des fêtes de l’Unira [3] – a réagi de manière incontrôlée en déclarant que cette grève était une grève politique. Dès lors, les syndicats ont demandé sa démission depuis le podium installé sur la Place du Peuple à Rome. Certes, cette grève avait, de fait, un contenu politique. En effet, le gouvernement du Parti démocrate (PD) n’est pas du tout un gouvernement qui sympathise avec les salarié·e·s. Au contraire, ceux et celles qui continuent à soutenir cette idée ont été fortement contestés dans la rue, comme l’a appris à ses propres dépens l’économiste du PD, Stefano Fassina [4]. Il y eut beaucoup des chants et des slogans demandant la démission de l’ensemble du gouvernement qui, par le Jobs Act et aujourd’hui avec le projet de « bonne école », a révélé son caractère anti-populaire et de classe.
Renzi a répondu qu’il continuera « avec une tête dure ». Il est toutefois disponible au dialogue et à modifier certains aspects du projet de loi. Mais de quelles modifications parle-t-on ? Celles proposées par son parti à travers des amendements en discussion au sein de la commission culturelles de la Chambre des députés ne changent rien à la logique de fond de ce projet. Ils tentent seulement de la maquiller ?
C’est dans cette logique qui s’inscrit l’amendement concernant les « tableaux des répartitions régionales des enseignant·e·s ». D’un côté, il devrait leur éviter d’être déplacés dans toutes les Régions d’Italie afin de pouvoir travailler. De l’autre, cet amendement laisse en place le mécanisme impliquant que les nouveaux embauchés (et ceux et celles qui demandent une procédure de transfert dans un autre site scolaire) seront soumis aux choix des responsables des instituts scolaires. Ces derniers peuvent choisir les enseignant·e·s sur la base de leur curriculum et ils ne seront plus obligés de tenir compte des classifications objectives établies selon les critères d’ancienneté de service et des qualifications accumulées pendant les années de travail.
L’amendement qui sauvegarde le rôle du conseil d’institution dans l’élaboration du plan de l’offre de formation dans les écoles va dans le même sens. En effet, il maintient la possibilité de différencier la fonction de formation de chaque école en engageant les enseignants choisis à partir la cohérence de leur propre formation et de l’offre de formation de l’école en question. C’est exactement ainsi qui fonctionnent aujourd’hui les écoles confessionnelles et celles privées.
Selon les modifications avancées portant sur l’évaluation du mérite des enseignants, le directeur ne décidera plus à qui distribuer les primes, mais il devrait se faire conseiller par un noyau restreint des collaborateurs, une sorte d’équipe d’évaluation. Sur le fond, les mécanismes de division des enseignants ainsi que les pratiques de chantage sur le poste de travail restent en place.
La seule note positive est celle qui concerne le recul de Renzi concernant la réforme des organes collégiaux. Initialement, le projet voulait effacer totalement les éléments de démocratie dans les écoles. Toutefois, étant donné le pouvoir accordé aux directeurs, les organes collégiaux sont vidés de leur fonction et les membres feront l’objet d’un chantage permanent par le directeur et par ses collaborateurs.
Enfin, Renzi a aussi déclaré qu’il ne va pas utiliser des décrets d’urgence afin de faire passer cette réforme. Mais, il nous faut des décrets d’urgence afin de garantir les embauches des enseignants précaires à partir de la prochaine année scolaire, comme l’imposé une sentence de la Cour de Justice européenne [5]. Les fonctionnaires du ministère de l’Education ont déjà souligné le problème concernant les temps de la discussion parlementaire de cette loi qui empêchera la mise en place de toutes les procédures nécessaires pour procéder à l’embauche du personnel nécessaire. Renzi pourra ainsi accuser les opposants au sein du Parlement et dans les rues comme étant les responsables de ce problème…
Ceux et celles qui ont fait grève [le 5 mai 2015] ont exigé le retrait de la loi n° 2994 (le projet de « bonne école ») qui sera discutée dans les prochains jours au Parlement, car elle ne contient aucune mesure d’amélioration. Au contraire, elle vise, à moyen terme, la privatisation de l’école publique. Les embauches doivent être faites par décret alors qu’une discussion démocratique doit s’ouvrir sur le futur de l’instruction publique sur la base d’un projet de loi différent de celui présenté par la ministre Giannini. Un point de départ pourrait être l’initiative populaire nationale « Une Bonne école pour la République » [6] qui a récolté les signatures nécessaires [50’000 pour une initiative nationale selon le système politique italien] et a été déposée au Parlement.
La mobilisation [du 5 mai] donne confiance quant à un possible recul du gouvernement sur ce projet de loi. Cela remet en cause plus généralement les politiques d’austérité que ce gouvernement poursuit. Bien sûr, le mouvement de l’école reste fragile et les directions syndicales qui ont été poussées à la mobilisation peuvent reculer face aux propositions de maquillage du gouvernement. A ce propos, il faut rester vigilants et continuer la mobilisation dans chaque école jusqu’au retrait de ce projet gouvernemental.
Francesco Locantore