Quelle était la place du Parti communiste libanais (PCL) dans les années 1970-1980 ? Quelle est sa place maintenant ?
Marie Nassif-Debs - Il y a eu un tournant dans la situation du Parti communiste libanais à la suite de 1968. Il y avait eu un retrait à la suite de 1948, à la naissance d’Israël. Le parti avait, à ce moment-là, rédigé une lettre refusant le partage de la Palestine. Puis il a été obligé de se rétracter, sous la pression de l’URSS. Cela a duré à peu près vingt ans. En 1968, il y a eu un nouveau tournant : nous avons réévalué ce qui s’était passé en 1948, et nous avons fait notre autocritique. On a commencé à poser la relation entre la situation de classe d’un côté, et la lutte contre l’impérialisme et le sionisme dans notre région de l’autre. Cela s’est soldé, sur le plan de l’action, par plusieurs axes importants. D’abord, en 1969, nous avons organisé ce qu’on appelle « la garde populaire », pour défendre les villages libanais du sud contre l’agression presque quotidienne des troupes israéliennes. Puis, en 1970, nous avons créé les Forces des partisans, le premier groupe de résistance contre Israël, qui a été à l’origine, en 1982, du Front national de la résistance libanaise.
D’autre part, le parti a renforcé son profil de lutte de classe, à partir du programme qu’il avait développé en 1972, beaucoup plus clair sur les objectifs : mettre fin au régime confessionnel, qui prévaut au Liban depuis 1860, car il organise l’oppression de classe et fait appel à la tutelle étrangère. Pour un véritable changement au Liban, il est nécessaire de procéder à des changements laïcs, à la suppression du confessionnalisme politique et administratif, ainsi qu’à un changement dans la Constitution.
Nous avons noué une alliance avec le Parti socialiste progressiste (PSP) de Kamal Joumblatt, avec des démocrates qui étaient opposés au régime confessionnel et, début 1975, nous avons mis au point un programme commun fondé sur l’arabité du Liban, donc en lien avec la lutte du peuple palestinien. L’arabité ne veut pas dire l’islam. Il s’agit d’une arabité fondée sur la laïcité. Malheureusement, en 1975, la guerre civile a commencé, et elle a duré jusqu’en 1990. Les dernières élections avaient eu lieu en 1972, et on est resté jusqu’en 1992, donc vingt ans, sans scrutins. Maintenant, on fait des élections tous les quatre ans, mais à partir de la même loi électorale, avec des quotas confessionnels. Actuellement, le Parlement est partagé : sur les 128 députés, la moitié est chrétienne, l’autre est musulmane. À l’intérieur de ces deux grandes confessions, il y a les sous-confessions, qui ont chacune leur place.
Quels sont les rapports entre le PCL et le Hezbollah ?
M. Nassif-Debs - Il y a vingt ans, le Hezbollah avait commencé par une guerre sans merci contre les communistes. La tendance fondamentaliste islamique qu’il représentait, surtout le Parti de la dawa, voyait dans le PCL son opposé en tout. Il voulait supprimer toute idée différente de laïcité, d’ouverture, de philosophie. Le Hezbollah est allé jusqu’à tuer plusieurs de nos camarades. Ils ont tué un philosophe, Hassan Hamdane, qui n’était pas seulement le philosophe du parti, mais aussi un philosophe arabe ayant travaillé sur les problèmes du colonialisme, de la religion.
Après cela, les rapports ont évolué positivement. Il y avait, dans les prisons israéliennes, des communistes et des membres du Hezbollah. Et là, ils se sont connus. Cela a créé des rapports entre les cadres des deux organisations. Après leur libération, les rapports ont plus ou moins évolué. De plus, sur le plan de la pensée, le Hezbollah a évolué, surtout après l’élection de Hassan Nasrallah comme secrétaire général. Nasrallah est beaucoup plus arabe que musulman : il voit les choses avec les yeux d’un Arabe : il ne veut pas libérer Jérusalem parce que c’est un des lieux saints de l’islam, mais parce que les Palestiniens doivent retourner sur la terre de leurs ancêtres et avoir un État à eux.
Lors de la dernière agression israélienne, nous avons formé des milices qui se sont opposées à l’entrée d’Israël dans plusieurs villages, y compris à certaines tentatives d’incursion de commandos israéliens dans la Bekaa, où nous avons arrêté le commando qui voulait entrer par Jamaliyye, un village à majorité communiste - trois de nos camarades sont morts.
Nous sommes toujours un peu sceptiques concernant les relations avec le Hezbollah, parce qu’il y a certains points de litige entre nous. Concernant, par exemple, le problème confessionnel, ils n’ont pas une position très claire. Nous avons eu un différent pendant l’été 2005, après le retrait des forces syriennes. Pour les élections législatives, le Hezbollah avait cru bon, afin de se protéger de la résolution 1559, de faire une alliance avec des pro-Syriens, qui se sont transformés en pro-Américains : les Forces libanaises, Hariri, et le PSP de Joumblatt. Grâce à cette alliance, les forces du 14 mars ont eu la majorité et ils ont pu former le gouvernement. Si le Hezbollah avait fait une alliance avec les communistes et certains aounistes, cette majorité n’existerait pas.
Discutez-vous de tout cela avec le Hezbollah ?
M. Nassif-Debs - Oui, bien sûr ! Ils sont, plus ou moins, regroupés en deux grandes tendances : la tendance de la dawa qui continue, celle qui veut l’islam, etc. ; et l’autre tendance, celle qui a évolué, qui parle de partage du pouvoir, d’alternative, etc. Avec la deuxième, je pense que le Hezbollah n’a pas d’autre possibilité que d’évoluer. Nous allons poursuivre la discussion avec eux, et nous pensons que, s’ils n’évoluent pas, ils perdront le fruit de la victoire, pour la deuxième fois.