Alors que la réélection du gouverneur de droite du Wisconsin Scott Walker a largement attiré l’attention de médias locaux et nationaux lors des élections du 4 novembre, peu nombreux sont ceux qui ont relevé la lueur d’espoir pour la gauche qui s’est manifestée au Wisconsin. Angela Walker, une chauffeuse de bus afro-américaine et syndicaliste candidate socialiste et indépendante pour le poste du shérif du comté de Milwaukee, a engrangé plus de 67 000 voix, soit 20,3% des suffrages exprimés.
Ce résultat est vraiment remarquable compte-tenu de l’hostilité des medias qui ont largement ignoré sa campagne, son budget limité, l’absence d’un parti politique organisé derrière sa campagne, et la difficulté de partis en dehors du bipartisme et des candidats indépendants à briser la mainmise des démocrates et des républicains.
Bien que les données ne soient pas encore disponibles pour permettre une analyse détaillée de la répartition géographique et démographique du soutien à sa candidature, des preuves recueillies par son petit groupe de partisans mal organisé mais très engagé, suggère que le message de justice sociale porté par Angela Walker a été bien entendu par les ouvriers Afro-Américains au nord de la ville ainsi que par les électeurs blancs, progressistes, des banlieues de l’est . Interviewée par un journaliste de la station de radio WNOV sur « la réaction des gens quand vous leur dites que vous êtes un socialiste indépendante ? » Walker a répondu : « Vous seriez très surpris de voir combien de gens ont été favorables."
Son score représente non seulement un défi pour les politiques réactionnaires, racistes, et anti-ouvrières du shérif sortant David Clarke mais aussi une réfutation des politiques des deux partis, les Républicains et les Démocrates, les représentants du 1%.
Clarke, qui aime porter des chapeaux de cow-boy et se présenter à cheval à des événements publics, est très apprécié par les conservateurs et les Républicains et il est soutenu par le « Tea party ». Il a publiquement invité les citoyens qui se sentent menacés physiquement à s’armer et à utiliser leurs armes plutôt que d’appeler le 911. Clarke, qui est afro-américain, participe aux élections cyniquement comme un démocrate – principalement afin de bénéficier du soutien que les noirs apportent au Parti démocrate. Angela Walker a dénoncé cela comme une forme de « politique de la plantation."
Défier le racisme et l’inégalité à Milwaukee
Tout au long de sa campagne, elle a dénoncé l’incarcération de masse et la brutalité policière et plaidé en faveur d’un programme de justice sociale qui s’attaque à la racine des problèmes sociaux auxquels sont confrontés les minorités et la classe ouvrière. Milwaukee est une ville où la ségrégation raciale, la brutalité policière, le chômage et des profondes inégalités sociales sont particulièrement flagrantes. 87% des élèves des écoles de la ville de Milwaukee reçoivent des repas gratuits à l’école. Ces enfants ont le droit à ces repas parce qu’ils viennent de ménages ayant un revenu inférieur à 185% du seuil de pauvreté (qui en dit beaucoup sur le caractère artificiel du seuil de pauvreté fédéral). C’est une ville où le chômage des noirs monte à 50% et plus de la moitié des hommes noirs sont ou ont été en prison.
Selon un rapport de 2005 du conseil, Metropolitan Fair Housing , moins de 1% de la croissance récente de l’emploi a eu lieu dans les quartiers noirs. Ce même rapport a montré que seuls 20 à 30% des ménages des banlieues pauvres au nord de la ville, ont une voiture.
Compte tenu du système de la pauvreté du système de transports dans le comté, ceci contribue lourdement au chômage et à la pauvreté afro-américaine. Alors que l’assassinat, commis de sang-froid, de Michael Brown à Ferguson, Missouri a dominé le débat national sur la brutalité policière, Milwaukee a également connu de nombreux incidents, dont très récemment l’assassinat par la police de Dontre Hamilton, un jeune homme noir non armé, qui se fait tirer dessus plusieurs fois par un policier, Christopher Manning, dans un parc du centre-ville. Manning n’a toujours pas été inculpé.
C’est dans ce contexte que Walker a appelé à se mobiliser pour un salaire minimum viable, la fin de la brutalité policière et des attaques contre la communauté d’immigrants de la ville, pour un système d’éducation entièrement financé par l’Etat, un système de transport adapté aux besoins des personnes qui travaillent, la légalisation de la marijuana, et pour une administration de la justice alternative à l’incarcération de masse.
Les règles électorales locales permettent aux candidats de placer des phrases de cinq mots à côté de leur nom sur les bulletins de vote. Celle de Walker était « Voter Bernie Sanders pour président" en référence au sénateur du Vermont qui s’est proclamé « socialiste » (bien qu’il vote habituellement avec les démocrates).
Cet aspect de la campagne n’a pas été mentionné dans la presse. Ce n’est qu’une fois que les électeurs étaient dans la cabine de vote qu’ils ont vu la référence à Sanders. Fait intéressant, un commentaire sur la page Facebook de la campagne le jour suivant l’élection disait : « Je n’avais aucune idée de qui vous étiez jusqu’à ce que je vote aujourd’hui. J’ai voté pour vous grâce à la référence à Bernie Sanders ».
Alliance électorale Rouge-Verte, Alliance politique Noire et Brune
La campagne d’Angela Walker a forgé une alliance solide avec la campagne du parti des Verts et leur candidat Ron Hardy, pour le poste du trésorier de l’Etat. En plus de l’accord politique général, tous les deux soutenaient un salaire minimum de $ 15 et la légalisation de la marijuana.
Les deux campagnes ont produit une déclaration de campagne conjointe et planifié un rassemblement commun, mais cet événement a été annulé à cause de ressources limitées. Les partisans de Walker ont distribué des tracts pour Hardy dans tous leurs lieux d’intervention. Le jour des élections, Hardy a obtenu un score plus-que-respectable de 3%.
La campagne a également tendu la main à ce qu’Angela Walker considère comme un allié naturel, les immigrés et la communauté latino de Milwaukee. Le 26 septembre, Angela a parlé lors d’un rassemblement « Noir et Brun » après une conférence de l’avocat et activiste Michelle Alexander dans un collège communautaire. Alexander est l’auteur de « The New Jim Crow », une analyse et une mise en accusation de la canalisation de l’école à la prison et de l’incarcération de masse des hommes afro-américains. Toute la littérature de la campagne de Walker promettait d’invoquer l’ICE, une disposition qui permet au bureau du shérif de refuser de participer à des rafles contre les travailleurs immigrants et les sans-papiers. Quand on lui a demandé, lors de sa seule interview, à la station radio « Noire » WNOV radio (qui a eu lieu à 17 heures le jour du scrutin) quel serait son premier acte en tant que shérif, si elle était élue, elle a immédiatement cité sa position sur l’ICE.
Une candidate inspirée et inspirante
Angela Walker respire la justice sociale au point de se faire tatouer « union » et le numéro de sa section syndicale, « ATU 998 » en grosses lettres sur son bras. Bien que certains aient critiqué son manque d’expérience en matière de justice pénale, son histoire dans la justice sociale, le féminisme et le militantisme syndical en tant que dirigeante, sa participation au mouvement local « Occupy Wall Street », couplés avec sa remarquable capacité à articuler les liens entre l’inégalité sociale et raciale et le capitalisme dans un langage simple, ont fait d’elle une superbe candidate.
Walker, qui a étudié l’histoire pendant plusieurs semestres dans une université en Floride, mais n’a pas de diplôme officiel, est une intellectuelle organique dans la tradition gramscienne. Elle n’a jamais été membre d’une organisation socialiste. Elle est devenue une socialiste en autodidacte grâce à l’étude, à la réflexion sur les conditions de sa propre vie comme une ouvrière noire dans l’Amérique de la suprématie blanche.
Elle cite le radicalisme et l’activisme politique de sa grand-mère comme une influence majeure sur sa vie et parle avec fierté de son grand-père, un travailleur de la grande usine Allis Chalmers dans la banlieue industrielle de Milwaukee, West Allis. Lorsqu’on lui a demandé, pendant une interview pour le journal du Parti socialiste, ce qu’elle lisait dernièrement elle a cité When and where I Enter (quand et où j’entre) : l’impact des femmes noires sur la race et le sexe en Amérique de Paula Giddings, et le We have not been moved (Nous ne avons pas été déplacé : Résister au racisme et au militarisme à l’ Amérique du 21e siècle), édité par Elizabeth ’Betita’ Martinez, Matt Meyer, et Mandy Carter.
Quand je l’ai rencontrée au « Le Café Te Rend Noir », un café du centre-ville et un restaurant dont les murs sont ornés de figures politiques et culturelles afro-américaines, elle a parlé de ses intérêts littéraires aussi bien que politiques citant la romancière noire du sud Zora Neale Hurston comme l’une de ses héroïnes.
L’activité d’Angela pendant la campagne reflète le – peu enviable – lot de candidats travailleurs qui n’ont pas les ressources des entreprises et des donateurs bien nantis dont jouissent les démocrates et les candidats républicains. Travailler en tant que chauffeuse de bus conduit souvent à l’épuisement surtout si on est obligé d’aller d’un événement à l’autre. Par conséquent, elle a été obligée parfois d’annuler certains événements.
C’est dire que, quand elle a assisté à des événements comme les rassemblements, organisés par la famille Hamilton pour exiger la justice pour Dontre et à des manifestations en faveur des travailleurs à bas salaires ou contre la hausse des taux par la société locale de l’énergie, et d’autres, elle l’a fait par vraie conviction personnelle et politique, plutôt que d’un opportunisme cynique des hommes politiques des partis du 1%.
Une vraie campagne de la classe ouvrière
La campagne a été faite avec un budget minuscule par un petit groupe de militants engagés. Il nous manquait souvent du matériel pour la campagne à tel point que nous n’avons jamais pu faire des pancartes.
Néanmoins un de ses plus grands atouts était le vétéran socialiste Rick Kissell, ancien secrétaire national du Parti socialiste de 1978 à 1983, et aujourd’hui un socialiste indépendant qui a dirigé des dizaines de campagnes électorales indépendantes essentiellement depuis sa table à manger pendant des années. Familier avec le parcours d’Angela comme activiste, il s’approcha d’elle, l’été passé pour lui proposer de se présenter aux élections. Peu de gens ont la vaste connaissance de Kissell sur le fonctionnement du système électoral local. Il a utilisé cette connaissance en tant que trésorier de la campagne et coprésident de la campagne.
En dehors du soutien de son syndicat, le Syndicat uni du transport (SUT) local 998, de celui du syndicat des étudiants diplômés de l’Université de Milwaukee, d’un membre du conseil scolaire local, et d’un militant de la justice sociale bien connu, l’avocat Art Heitzer, Walker avait peu de soutiens politiques et organisationnels.
Le Parti socialiste de Milwaukee a soutenu sa campagne et lui a offert une tribune lors de son pique-nique annuel l’été dernier. Il a aussi publié un article qui lui était favorable dans son journal local. Dès le début, Solidarity a saisi le potentiel de cette campagne pour faire avancer la cause de la justice sociale et l’action politique de la classe ouvrière.
En juillet, la section de Milwaukee de Solidarity a sauté dans la campagne aidant à recueillir suffisamment de signatures pour qu’elle puisse se présenter à l’élection et en participant à de nombreux événements de la campagne et l’a aidée financièrement grâce à des collectes de fonds.
Je suis devenu un co-président de sa campagne aux côtés de Kissell. En août, Solidarity a organisé un débat sur l’action politique indépendante pendant notre Ecole d’Eté à Chicago. Walker a parlé aux côtés de Tim Meegan, un candidat progressiste indépendant, Jorge Mujica, un candidat socialiste, et Howie Hawkins, un candidat du Parti Vert qui a réussie à recueillir plus de 5% des voix à aux élections pour le poste de gouverneur de New York.
Nous avons également contribué à faire la campagne Walker en contact avec la campagne du parti des Verts de Ron Hardy pour le poste du trésorier de l’Etat du Wisconsin, en organisant une réunion entre les deux candidats. Une forte synergie a été développée entre les deux campagnes.
Le passé et l’avenir
Le bon résultat de Walker renoue avec la tradition socialiste à Milwaukee : Victor Berger, chef du Parti socialiste avant la première Guerre Mondiale a été élu au 62e Congrès en 1910, où il a siègé de 1911 à 1913. Plus tard, les socialistes de Milwaukee ont élus trois maires, dont le dernier, Frank Zeidler, a quitté ses fonctions en 1960. Si elle avait été élue, Angela aurait été cinquième shérif socialiste du comté et la première femme à occuper le poste. Néanmoins, les socialistes élus indépendamment de leur tendance ont été une rareté dans l’histoire politique des États-Unis et certaines réformes de cette époque comme les programmes des crèches à partir de quatre ans, plutôt que cinq, ce qui est généralement le cas dans l’éducation des États-Unis, continuent de faire partie de leur héritage.
La question est maintenant une des classiques de la politique : « que faisons-nous maintenant ? Où allons-nous à partir d’ici ? « Pour Angela et ses supporters dans cette campagne c’est plus un début qu’une fin. Comme elle écrit dans un « post » sur Facebook le 26 octobre, »Si nous perdons cette élection, nous allons nous organiser encore et nous battre. Si nous gagnons, nous aurons une puissance supplémentaire pour notre organisation et les combats. Mais le travail se poursuivra malgré tout."
La campagne et les résultats impressionnants d’Angela peuvent être considérés comme faisant partie d’une tendance vers une action politique indépendante de gauche. Les ouvertures pour les socialistes ont commencé plus tôt cette année avec l’élection du membre de la « Alternative Socialiste » Kshama Savant au conseil de ville de Seattle et la bonne performance de Howie Hawkins à New York lors de ces élections.
En même temps, les résultats des législatives et des élections pour le poste du gouverneur du Wisconsin du 4 novembre représentent de graves dangers pour le mouvement syndical. Non seulement le gouverneur soutenu par le « Tea party », Scott Walker, architecte de la loi 10 de 2011 qui a abrogé des conventions collectives pour les employés du secteur public, a été réélu. Ce républicain qui hait les travailleurs a dominé le Senat en augmentant sa majorité. Bien que Scott Walker a déclaré publiquement qu’il ne poursuivra pas une politique contre les droits des travailleurs, rien n’empêchera que lui ou ses acolytes au Sénat introduisent une telle législation.
Mais si cela devait se produire, Scott Walker et ses partisans devront s’attendre à une même résistance que celle qu’il avait rencontrée lors du Wisconsin Uprising, le soulèvement du Winsconsin de 2011. Et ils auront aussi Angela Walker en face d’eux.
Keith Mann, membre de Milwaukee Solidarity et co-président de la Campagne pour Angela Walker shérif.