L’INDÉPENDANCE DU QUÉBEC : AU-DELÀ DU NATIONALISME, TERRAIN DES SOLIDARITÉS POUR PENSER LA TRANSFORMATION SOCIALE
Il s’agira de réfléchir, dans un contexte de débats et de repositionnements autour de la question nationale au Québec ainsi que de recherche de solidarités avec la gauche canadienne, à la nécessité de l’indépendance du Québec à l’heure de la mondialisation néolibérale. Comment lier question sociale et question nationale et penser l’indépendance loin de tout nationalisme frileux et identitaire ?
Ce texte a été présenté au Forum Social des peuples dans l’atelier intitulé : L’indépendance du Québec : au-delà du nationalisme, terrain des solidarités pour penser la transformation sociale, vendredi le 22 août dernier. (PTAG)
Intro
Merci d’être là, d’avoir choisi de participer à une discussion sur un sujet difficile, controversé, sujet à de multiples incompréhensions, surtout lorsque l’on tente de trouver un cheminement commun pour faire face aux politiques néolibérales et conservatrices du gouvernement Harper. Plutôt que de passer sous silence cette question, nous préférons quant à nous l’aborder de front : ce n’est qu’en échangeant, qu’en dialoguant, débattant, qu’on pourra ensemble tenter d’y voir plus clair.
Aussi pensons-nous utile d’aborder la question de plein fouet sous cette double forme : la question nationale québécoise, les luttes pour l’indépendance du Québec, peuvent-elles aider à la lutte contre les politiques de Harper ; le projet de Québec solidaire (celui de la souveraineté/indépendance du Québec par le biais d’une constituante) reste-t-il valable, peut-il faire partie ?
Et la thèse que nous essayerons de défendre ici est la suivante : Loin d’être dépassée, vestige d’une autre époque, la lutte pour l’indépendance du Québec peut- être, à condition qu’elle soit actualisée, un des combats contemporains à mener pour faire progresser la transformation sociale au sein de l’actuelle confédération canadienne et par conséquent pour venir à bout (affaiblir) des politiques néolibérales et conservatrices du gouvernement Harper.
Pour tenter de justifier et asseoir cette position nous procéderons en trois moments :
a) Dans un premier temps, je m’attacherai à montrer ce qui a changé depuis les années 60/70 et qui fait qu’on ne peut plus penser la question nationale québécoise de la même manière (la prise en compte de ce qui a changé) ;
b) Dans un deuxième temps, je m’arrêterai au contraire sur les facteurs et éléments qui font que malgré les changements évoqués plus haut, les désirs d’affirmation nationale persistent envers et contre tout mais selon de nouvelles modalités ;
c) D’où dans un troisième temps, la nécessité d’en organiser la lutte à travers de nouvelles formes et nouvelles préoccupations dont déjà QS a commencé à explorer quelques-uns des tenants et aboutissants.
1 .Ce qui a changé
Il y a d’indéniables changements dont il faut prendre acte et qui font qu’on n’est plus dans les années 60/ 70 et qu’on ne peut par conséquent plus la penser dans les termes du passé (expression de la décolonisation ambiante ; les nègres blancs d’Amérique ; l’oppression nationale comme oppression économique, sociale et politique nécessitant une décolonisation, etc.)
A) Ce qui saute tout d’abord aux yeux, c’est après deux échecs notoires (80 et 95) l’affaissement du projet péquiste, sa transformation progressive (glissement), passant d’un projet politique nationaliste populaire keynésien en un projet identitaire néolibéral (du déficit zéro en 95 à la charte des valeurs de 2013)
B) Mais c’est aussi les transformations qu’entre temps a connues le Québec dans le sillage de la révolution tranquille et qui font qu’il a pu pendant cette période et durant un temps non négligeable s’ouvrir des espaces d’affirmation nationale indéniable, notamment en termes économiques, sociaux et culturels : à l’ombre de la révolution tranquille et du développement d’un État provincial providence et entrepreneur : nationalisation d’Hydro, constitution de la caisse des dépots (etc.), il faut rappeler la loi 101, les systèmes d’éducation et de santé laïcisés, l’affirmation dans les faits d’une culture québécoise propre, le renforcement/développement d’une bourgeoisie nationale (de fractions), la modification de son tissu démographique (acquisition d’un caractère beaucoup plus multi-éthnique). Le Québec n’est plus le même, comme jamais ouvert, globalisé, branché sur le monde (voir la vie quotidienne : fromages, cafés, accent atténué, etc.)
C) En sachant cependant que n’a pas pu être réglée l’oppression proprement politique (la désappropriation politique, la non-reconnaissance du droit à l’auto-détermination politique) se caractérisant par l’existence d’un État provincial croupion : politiques étrangères, politiques militaires décidées ailleurs).
Et depuis le début des années 80 et plus spécialement à partir du milieu des années 90 a fini par s’imposer au Québec un nouveau mode de régulation économique qui tend à saper ou à remodeler une grande partie de ces transformations précédentes, ou tout au moins à les réorganiser selon d’autres logiques ou dynamiques (privatisation, dérèglementation et libéralisation des échanges (Alena/Zlea, accords de libre échange avec l’Europe et internationalisation de l’économie canadienne et québécoise (le caractère apatride de la bourgeoisie).
Mais aussi plus récemment dans le sillage de la crise de 2008, une tendance à la reprimarisation de l’économie canadienne et à son recentrement autour des lobbies miniers, pétroliers et financiers de l’ouest impliquant une nouvelle mise au pas du Québec à partir de l’État fédéral se traduisant par une marginalisation et un décentrement du Québec dans l’espace canadien (non seulement en termes politiques (la loi sur la clarté), mais aussi en termes économiques).
2. Ce qui perdure
A) C’est à la fois l’impossibilité d’avoir pu obtenir son indépendance politique, sa propre gouverne politique (caractérisée par l’échec du projet péquiste), la nostalgie d’un certain âge d’or de la Révolution tranquille ainsi que les effets agressant de la globalisation néolibérale (accentuant la dépendance vis-à-vis de l’extérieur) qui font que le sentiment national québécois (la volonté de s’émanciper) continue à perdurer envers et contre tout.
B) La nation québécoise –est une construction historique et elle pourrait très bien ne plus exister. Mais ce qui est important ici c’est de voir que –malgré le déclin du projet péquiste et ses effets démobilisants— les conditions (économiques, sociales et politiques) alimentant les volontés d’affirmation nationale continuent à exister, même si elles prennent aujourd’hui des formes différentes à celles du passé.
Au-delà de la prégnance (la force) des acquis passés (de l’élan qui demeure), ce sont dans le sillage de la globalisation néolibérale, les politiques harpériennes qui en fait ne cessent de raviver la fibre nationale, en s’attaquant (au-delà des discours de circonstances sur la nation) aux acquis (avancées) historiques précédents, à ce qui avait fini par être le propre du Québec (faire partie de sa spécificité, ce qui en faisait une société distincte), notamment en termes sociales, économiques et écologiques.
Qu’on pense à titre d’exemples emblématiques, aux lois sur la jeunesse ou à la loi sur le contrôle des armes à feu, ou encore à ses politiques vis-à-vis du pont Champlain ou du chantier maritime de Lévis, ou encore vis-à-vis de l’Afghanisan, ou d’Israël, sans parler bien sûr de son tournant pétrolier (oléoducs vers l’ouest et l’est) et de son soutien actif aux lobbies financiers et miniers de l’Ouest.
L’État fédéral n’a jamais paru autant comme un empêcheur de tourner en rond pour le Québec (s’emploie à miner tout ce qu’avait constitué le Québec Inc).
Ce qui fait que la question nationale reste toujours à fleur de peau de la conscience de tout un chacun ici au Québec (ce 40% qui perdure), à tel point d’ailleurs qu’elle pourrait facilement renforcer le tour identitaire qu’elle a pour certains commencé à prendre (se muer en nationalisme éthnique).
3) Esquisser de nouvelles pratiques, de nouveaux discours d’affirmation nationale (et sociale)
Ces changements laissent bien voir la nécessité d’un re-problématisation de la question nationale (discours et pratique) : non pas pour la mettre sous le boisseau, mais pour l’actualiser, la mettre en synthonie avec les réalités contemporaines.
A) En termes de nouvelles stratégies : tirer les leçons des échecs passés : qu’est-ce qui n’a pas marché dans la stratégie référendaire ? Comment pourrait-on améliorer les stratégies d’accession à la souveraineté ? Voir l’idée de la constituante de QS, comme manière de lutter contre le monopole médiatique, de bâtir, reconstituer un pouvoir contre-hégémonique en impliquant sur le mode participatif de larges pans de la population.
B) En termes de nouveau contexte : les conditions n’étant plus les mêmes, montrer qu’à sa manière elles ouvrent la voie à une nouvelle manière de penser la question nationale permettant d’unir beaucoup plus étroitement question sociale et question nationale et partant de lui conférer un caractère beaucoup plus démocratique.
a) Le caractère multi-éthnique du Québec : appelle résolument à la constitution/reconstitution d’un projet essentiellement sociopolitique de la nation : la nation c’est le vivre-ensemble, la collectivité de ceux et celles qui vivent et travaillent sur le territoire du Québec. La patrie c’est d’abord cela : on est du même projet sociopolitique fondé certes sur la langue mais aussi sur les valeurs de l’égalité et la convivalité. D’où l’importance du projet social accompagnant le projet politique (faire l’indépendance, ce n’est pas que disposer d’un passeport et d’un drapeau). D’où aussi l’importance de nos rapports politiques avec les Autochtones (les Premières Nations) et de la nécessité de leur reconnaître hic et nunc, le droit à l’auto-détermination. Seule manière pour lutter réellement contre les dérives identitaires et racistes [1].
b) Les logiques néolibérales favorisant, via le « tout au marché », la réduction de la sphère publique et partant du pouvoir politique de la collectivité (le pouvoir de quelques-uns se faisant passer pour le pouvoir de tous), la question du déficit démocratique, de la réduction de l’espace démocratique devient une préoccupation (un besoin) centrale.
D’où la nécessité de penser l’accession à l’indépendance du Québec comme à un moyen qui permet de se ré-approprier des pouvoirs (des parcelles de souveraineté) sur sa vie, qui permet d’élargir et renforcer la sphère publique et gouvernementale à l’encontre de tous les diktats néolibéraux privatisants et favorisant la marchandisation du monde et des gens.
Lutter pour l’indépendance, c’est donc chercher à constituer une communauté sur le mode politique pour faire face aux agressions sociales, environnementales, culturelles du néolibéralisme. L’État nation reste à l’heure actuelle le seul rempart –disposant d’un minimum de rapport de force— permettant d’y parvenir ; c’est aussi en son sein qu’il reste le plus facile de reconstituer un contre pouvoir hégémonique.
c) Ce projet sociopolitique d’indépendance ne devrait cependant pas être vu comme un projet séparatiste, mais au contraire comme un projet socio-politique aspirant à s’émanciper de la machine étatique fédérale (dont l’essence est celle de rester une prison des peuples et de la faire rimer avec néolibéralisme conservateur), en proposant au passage à toutes les collectivités qui le désireraient de s’associer au travers de nouvelles possibilités de se confédérer ensemble au sein d’un projet sociopolitique émancipateur (socialement et écologiquement).
Conclusion : un vaste chantier qui s’ouvre. De toute urgence, on cherche des volontaires pour approfondir, développer, pousser plus loin la question..
Québec, le 19 août 2014
Pierre Mouterde