La coalition « Refusons l’austérité », composée des FTQ, CSN, CSQ, CSD, SFPQ, SPGQ, FAE [1], FEUQ, FECQ [2], MASSE et Collectif pour un Québec sans pauvreté [3] et rendue publique le deux novembre, appelle à refuser l’austérité « [p]our préserver le Québec de la destruction ». Nul doute qu’il est du devoir de chaque militante, de chaque syndicat local, de chaque groupe populaire, de mobiliser de sorte que cette manif se hausse au niveau des grands moments du Printemps érable. Mais il faut le faire sans naïveté, les yeux grands ouverts. Pourquoi cette nouvelle coalition annoncée à peine trois jours après le succès de mobilisation de la manif de la Coalition mains rouges [4] de quarante à cinquante mille personnes suivie une semaine plus tard de celle presque aussi nombreuse de l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) ? Malgré le choix malencontreux d’un jour de semaine lequel en plus mobilisait les parents de jeunes enfants pour autre chose, la grève de 24 heures de 80 000 étudiantes, pour la plupart membres de l’ASSÉ [5], a fait toute la différence.
On me répondra que cette coalition « Refusons l’austérité » a une capacité de mobilisation autrement supérieure à celle combinée de la Coalition mains rouges et de l’ASSÉ. Vrai. Mais qui empêche les grandes centrales et leurs suites de rallier la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics dite Coalition mains rouges ? Cette coalition compte 70 membres, surtout des groupes populaires mais aussi quelques organisations syndicales dont la FIQ, l’APTS, la FSSS-CSN, la FNEEQ-CSN [6], les conseils centraux montréalais de la FTQ et de la CSN, des syndicats locaux... et la SFPQ, la FAE, tout comme le MASSE et la Coalition pour un Québec sans pauvreté, membres de la Coalition « Refusons l’austérité ». Cette bureaucratie syndicale, toujours prompte à prêcher le ralliement dans l’action comme dans la pensée, ne pouvait-elle pas humblement devenir membre de la Coalition mains rouges à laquelle appartiennent déjà quatre (et demi) de ses membres sur onze ? Pourquoi tirer le tapis de l’initiative de dessous les pieds de la « petite coalition » et de l’ASSÉ, aussi membre de la Coalition mains rouges ?
La caste bureaucratique menacée
L’inattendu spectre Printemps érable du 31 octobre et du 9 novembre a apeuré moins le gouvernement Libéral que les grandes centrales syndicales et consorts, dont les deux associations étudiantes à la remorque de la CLASSE en 2012, qui détestent les Libéraux n’ayant que faire de la concertation mais qui tergiversent face au PQ à la fausse réputation concertationniste... pour arriver au même but. Il n’y a pas pire abomination pour la bureaucratie syndicale que la perte de contrôle de la riposte sociale au bénéfice du mouvement populaire... à moins que ce soit au profit de l’auto-organisation de sa propre base, abomination suprême. Le but bureaucratique c’est toujours le contrôle, encore le contrôle et toujours le contrôle... pour maintenir le statu-quo institutionnel. Son leitmotiv c’est l’unité, encore l’unité, toujours l’unité, moins dans l’action qu’elle veut minimum que dans la pensée qu’elle veut consensuelle autour de ses idées et plans venant du haut de la hiérarchie.
Coincée entre bourgeoisie et prolétariat, la caste bureaucratique est condamnée à satisfaire les uns et les autres pour ne pas être broyée. Pour livrer au patronat et à son gouvernement, quel qu’en soit la couleur, la soumission du monde du travail aux politiques néolibérales, cette caste doit s’imposer à sa base et à ses alliés populaires sans possibilité de leur livrer des réformes comme au temps des trente glorieuses. Elle y arrive encore en faisant le vide autour d’elle de directions alternatives à l’aide de la puissance de son appareil, des ses finances, de son accès médiatique, de ses réseaux d’influence et de sa capacité d’intimider. Elle sait très bien que l’enjeu pour elles sont les cagnottes milliardaire et multimillionnaire des pseudo Fonds de solidarité et Fond’action, ou pire encore, le flux de l’impôt syndical garanti par la formule Rand [7] gagnée de haute lutte par de dures grèves durant les trente glorieuses. Pour la bureaucratie, ses privilèges matériels et de statut politique passent bien avant les intérêts fondamentaux du prolétariat.
Une histoire de petits coups fourrés de 1990 à 2005
On m’accusera de tirer la réalité par les cheveux. Scrutons l’histoire récente de la lutte de classe au Québec. On y reconnaît le présent schème. En 1990-91, lors de la première invasion de l’Irak, une grande coalition menées par les trois grandes centrales avait damé le pion à une petite coalition regroupement surtout des étudiantes, y compris du secondaire. Une fois passé le cap de la grosse manif, la grande coalition, en plus d’entretenir des illusions sur un embargo cautionné par l’ONU même si elle défendait la revendication-clef du retrait des troupes, avait éteint la mobilisation anti-guerre avant que la seconde invasion contre l’Irak ne la ressuscite. L’ampleur de de la seconde mobilisation (150 000 personnes à Montréal en 2003), particulièrement son caractère citoyen, a empêché la bureaucratie syndicale des grandes centrales d’éteindre le mouvement qui se perpétue jusqu’à ce jour dans l’organisation-coalition Échec à la guerre même si celle-ci ne fait pas toujours la différence entre lutte anti-impérialiste et pacifisme sans que les grandes centrales ne contribuent pour autant à ses mobilisations qui restent modestes.
La même tactique allait servir dix ans plus tard contre Solidarité populaire Québec (SPQ) qui de 1987 à 1993 avait mené une tournée du Québec aboutissant à la « Charte d’un Québec populaire ». Cette vaste opération, sans aboutir à des mobilisations, avait quand même préparé le terrain pour la Marche des femmes de 1995 et ensuite pour la sortie des deux personnes représentant les groupes populaires au Sommet socio-économique péquiste de 1996, dont la dirigeante de la FFQ/Marche des femmes, marquant une rupture avec les directions syndicales qui ont cautionné jusqu’au bout le concertationnisme du gouvernement du PQ. Cette rupture allait encourager SPQ à mener une campagne « pour un investissement massif des gouvernements dans les programmes sociaux et les services publics » afin de contrer le tsunami des drastiques coupures dont le Sommet avait ouvert les vannes. S’en fut trop pour les trois grandes centrales qui se retirèrent du SPQ, financement compris, pour tout miser sur le Collectif pour un Québec sans pauvreté. Avalisant la disparition de l’objectif « pauvreté zéro », le Collectif finit par soutenir la super-concertationniste Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale adoptée à l’unanimité de l’Assemblée nationale en décembre 2002, laquelle loi n’a même pas accouché d’une souris.
Lors de la ronde des négociations du secteur public 2003-2005, les grandes centrales ont prévenu toute auto-organisation du mouvement populaire démoralisé par la débandade de SPQ et l’illusion crevée de la loi anti-pauvreté. Elles ont organisé un « Réseau Vigilance », une coalition nationale se déclinant régionalement qui regroupait les grandes centrales, sauf la FTQ qui cependant l’appuyait, et la plupart des organisations populaires. Sa tactique des petits rassemblements pouvait se défendre comme point de départ d’une escalade. Après la journée de perturbation du 11 décembre 2003, le prolongement de cette tactique en 2004 fut le révélateur d’un refus de procéder à l’organisation de la « grève sociale » votée à tours de bras dans les syndicats locaux. Les petites manifestations n’avaient plus pour but que d’occuper le noyau militant. Les hautes directions syndicales ont plutôt renoué avec la concertation en participant aux consultations pré-budgétaires du gouvernement des Libéraux de Jean Charest. Cette manœuvre a abouti à la capitulation à la loi spéciale de décembre 2005 imposant un décret tenant lieu de convention collective malgré quelques grandes manifestations sporadiques en 2004 et 2005, d’occasionnelles et partielles journées de grèves et surtout un rendez-vous manqué avec la plus importante grève étudiante que le Québec eut connue jusqu’alors.
La Coalition mains rouges naît, (en)dure, gagne... jusqu’à nouvel ordre
Le mouvement populaire, instruit par l’expérience négative du Réseau vigilance et misant sur la colère montante contre coupures, privatisations et tarification, mit sur pied durant l’automne 2009 la Coalition mains rouges. Conscient du danger d’une escalade de mobilisation comme au début de la ronde précédente, en 2003-2004, d’autant plus que le mouvement populaire s’autonomisait de la mainmise de son appareil, la bureaucratie syndicale ne laissa pas traîner les négociations pour le renouvellement de la convention du secteur public en 2010. Par surprise, à la fin juin 2010 à la veille des vacances estivales, les directions des grandes centrales concoctèrent avec le gouvernement une entente pourrie mais alambiquée qu’elles réussirent à faire ratifier à la va vite et en y mettant le paquet sauf pour quelques syndicats de la FSSS-CSN, dont ceux importants en nombre du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et de la santé de Gatineau, et de la FNEEQ fédérant la majorités des enseignantes des Cégeps. Ce coup fourré réussi et une fois réduite au silence la dissidence, dont à la FSSS-CSN lors de son conseil fédéral de l’automne 2010, la bureaucratie syndicale improvisa une « Alliance sociale », avec ses alliés FEUQ et FECQ, contre le budget Libéral pour planter la Coalition mains rouges. Par sa capacité supérieure de mobilisation, elle y réussit en mobilisant environ cinquante mille personnes en mars 2011, avec la participation sans sectarisme de la Coalition mains rouges, ce qui enterra les deux mille personnes mobilisées par la Coalition mains rouges en novembre 2010.
Mais ce ne fut pas la fin de la partie, loin de là. Suivant la « vague orange » du printemps 2011 [8], dès l’automne, le mouvement Occupons Montréal, animé par la mouvance libertaire, prit le relais et, en parallèle, se tint une grande manifestation étudiante de 50 000 personnes annonçant le Printemps érable de 2012. Dans cet environnement favorable la Coalition mains rouges se maintint tant en participant de plein pied au Printemps érable qu’en développant ses propres campagnes contre les hausses de tarifs d’Hydro-Québec et surtout pour augmenter la taxation des profits, des revenus élevés et de la richesse accumulée de 10 milliards $ l’an.
D’humbles manifestations de quelques centaines à celles de quelques milliers, la Coalition mains rouges, avec le concours de l’ASSÉ, vient, avec la manif du 31 octobre, de hisser sa capacité de mobilisation au niveau syndical, immédiatement suivi par les manifestations de l’AQCPE du 9 novembre quasi au même niveau. Les directions syndicales, comprenant la menace à leur hégémonie sur le mouvement social, improvise la nouvelle coalition « Refusons l’austérité », un peu plus large que l’ancienne et agonisante « Alliance sociale ». On se réjouira, d’une certaine façon, de cette compétition pacifique au bénéfice de la mobilisation, mais on s’inquiétera de cette autre tentative de mainmise sur le mouvement social par la bureaucratie syndicale.
En 1972, la bureaucratie syndicale sauve la bourgeoisie d’une menace à son pouvoir
Si les exemples du sabotage de Solidarité populaire Québec et de l’escalade des mobilisations syndicales par le « Réseau vigilance » et par l’« Alliance sociale » ne vous convainquent pas, il vaut la peine de revisiter le Front commun de 1972, l’ultime lutte de classe québécoise de par son flirt avec une situation de double pouvoir. Il y a la version officielle, cette légende urbaine qui fait des chefs syndicaux les héros emprisonnés qui ont permis des gains historiques. Par exemple, le condensé publié récemment par Presse-toi-à-gauche :
« En janvier 1972, après de longues négociations, la CSN, la CEQ et la FTQ s’entendent pour former un front commun des 200 000 syndiqués des secteurs public et parapublic. Les objectifs de cette négociation sont l’amélioration des salaires et des avantages sociaux ainsi que la sécurité d’emploi complète ; apparaîtra alors une revendication perçue par l’ensemble des médias comme éminament politique : le 100$ minimum par semaine. Les réclamations salariales seront un peu moins importantes pour les hauts salariés de l’État afin de permettre un niveau de vie décent à leur camarades du bas de l’échelle. Le gouvernement reprend quant à lui les grandes lignes du cadre budgétaire de la négociation précédente. Le 9 mars 1972, devant le refus du gouvernement de négocier, les syndiqués donnent à leurs dirigeants le mandat de déclencher une grève générale au moment jugé opportun. Le gouvernement refusant toujours de faire des compromis significatifs, une grève générale d’une durée illimitée est déclenchée le 6 avril.
« Le 21 avril, la loi 19 suspend le droit de grève et fixe les conditions de travail pour 2 ans si aucune entente n’est conclue entre les parties. Suite à cette loi spéciale, les présidents des 3 centrales syndicales seront condamnés à un an de prison pour avoir conseillé de défier la loi et de ne pas retourner au travail. En guise d’appui aux présidents des centrales syndicales, un débrayage spontané de 5 jours est déclenché. La négociation en front commun a renforcé le pouvoir des syndiqués et redéfini le rapport de force entre l’État et ses employés. » [9]
La réalité fut tout autre :
« Porté par l’air du temps induit par un climat de lutte sociale généralisée tant au Québec qu’ailleurs dans le monde impérialiste, ce qui allait culminer dans la « révolution des œillets » au Portugal en 1975, galvanisé par de multiples luttes de libération nationale qui allaient aboutir à la révolution sandiniste au Nicaragua en 1979, le peuple travailleur québécois conjugua dans la rue émancipation sociale et libération nationale comme nulle part ailleurs an nord du Rio Bravo / Grande. La revendication du salaire plancher de 100 $, mais aussi d’importantes hausses salariales, l’indexation au coût de la vie et la création d’un fonds de pension, contrait à ce point la loi de l’offre et de la demande régissant le marché du travail qu’elle en était en soi anticapitaliste. Au nom de la bourgeoisie, le gouvernement Bourassa, qui en sous-fifre du gouvernement Trudeau avait réglé manu militari la crise d’Octobre en 1970, imposa une loi spéciale de retour de travail au Front commun de 210 000 membres ce à quoi se plia illico les directions syndicales malgré un désaccord de la majorité des instances consultées.
« Comme c’est souvent le cas, cette victoire patronale initiale galvanisa l’apeurée bourgeoisie vengeresse. Elle emprisonna pour six mois une quarantaine de dirigeants syndicaux dont les trois chefs des centrales pour un an sous le prétexte qu’ils avaient invité à défier les injonctions précédant la loi spéciale. Mal lui en prit. Bientôt 300 000 syndiquées tant du public que du privé, bénéficiant d’un fort appui populaire, prirent la rue jusqu’à contrôler certaines villes moyennes sur la Côte Nord durant une journée et certains poste de radio dont à Québec et à Montréal pendant au moins quelques heures. Redécouvrant leur sens de l’État garant de la loi et de l’ordre, les chefs syndicaux se négocièrent une sortie de prison en retour de fortes concessions économiques. La loi et l’ordre restaurés, l’État les renvoya en prison sans que personne ne s’en émeuve outre mesure pendant que certaines catégories professionnelles et certains syndicats d’industries légères dans les petites villes scissionnèrent soit du Front commun soit de la CSN, la plus combative des centrales. » [10]
Se hisser au niveau du double pouvoir pour mettre à l’épreuve la bourgeoisie
Si pendant les trente glorieuses, il fut possible aux directions syndicales d’arracher des concessions économiques pour préserver un pouvoir bourgeois un tant soit peu menacé, l’austérité néolibérale ne paraît guère favorable aux compromis comme l’ont démontré une suite de grèves (quasi) générales et de manifestations monstres en Europe du sud. Il est vrai, cependant, que toutes ces grèves — on ne parle pas ici de grèves d’entreprises ou sectorielles même avec occupations — ne duraient jamais plus que 24 ou 48 heures et ne tentaient pas de prendre possession de lieux de pouvoir même brièvement, sauf à reconstituer des mini-sociétés utopiques au sein des places. Ce saut qualitatif est à réaliser. À l’heure où la bourgeoisie se divise entre partisans durs de l’austérité tout azimut et partisans mous d’une austérité avec réinvestissements en infrastructures financées par le capital financier, dont une aile, fort réduite, dite progressiste « capitalisme vert », il n’est pas dit que la bourgeoisie maintiendrait la ligne dure jusqu’au bout, ce qui mettrait à l’épreuve la résolution révolutionnaire du prolétariat qui aurait fait monter les enchères à ce niveau.
Pour casser la détermination des Libéraux, soutenus à fond de caisse par la CAQ (et par les Conservateurs fédéraux) et sotto voce par le PQ, il faudra vraisemblablement se hausser à ce niveau, tout au moins s’en rapprocher. De toute évidence, les centrales syndicales ont perçu ce danger qui menace les institutions assurant leurs privilèges de caste et dont elles sont les garants au sein du prolétariat. La Coalition « Refusons l’austérité » est la forme organisationnelle de cette tentative de reprise de contrôle laquelle, déjà, s’avère plus difficile qu’en 2000, 2005 ou 2010. Reste qu’il faudra aux anticapitalistes et antilibéraux, conscients du danger bureaucratique, un art consommé de la dialectique et une volonté de fer pour damer le pion aux directions syndicales sans nuire aux mobilisations qu’elles suscitent dans l’intérêt de leur propre crédibilité tout en réprimant à l’interne toute dissidence, parfois à la dure. Mais il n’y a pas de raccourci. Il faut passer par là pour regrouper les forces prolétariennes sur des objectifs clairs leur permettant de vaincre cette bourgeoisie qui veut ramener les peuples à l’âge de Dickens et de Zola, qui veut imposer la norme chinoise du marché global rejeté de plus en plus fortement par le prolétariat chinois.
Le marché global : chape de plomb ou épouvantail à moineaux
Beaucoup prétendent que ce marché global devient un obstacle infranchissable à toute lutte anti-austérité conséquente du fait de la soumission obligatoire de tout marché national à celui global sous peine de stagnation (ex. le Québec) si ce n’est d’effondrement (ex. l’Europe du sud). C’est oublié que cette prophétie est auto-réalisante de par l’intégration tout à fait de nature politique du Québec dans l’économie canadienne elle-même intégrée à la zone ALÉNA et à l’OMC sans compter les accords de libre-échange trans-atlantique et trans-pacifique qui lui pendent au bout du nez. S’ensuit une tendance lourde de libre circulation des capitaux, sous forme d’argent et de marchandises, et son revers de répression de la circulation des personnes et des idées potentiellement lucratives (et subversives) menant inexorablement à la dictature du capital financier capable de faire chanter les gouvernement, même les plus puissants.
Dans ce contexte, les peuples qui voudraient conserver ou se doter de politiques plus sociales et plus écologiques n’ont qu’à bien tenir leur tuque. Il faut tout simplement en conclure que toute lutte anti-austérité doit être entreprise avec la perspective ou en synergie avec la lutte pour l’indépendance nationale, étant donné l’histoire d’oppression nationale du Québec, pour exproprier les banques et pour se libérer du libre-échange, ce qui ne signifie en rien un régime d’autarcie mais une politique commerciale soumise à l’intérêt populaire tout en tenant compte des rapports de forces mondiaux. La féroce compétition des transnationales (et des pays les soutenant), leurs besoins de marchés et de sources de matière première, les rend toujours malléables à la négociation même dans les pire conditions pour un peuple en processus de libération (ex. la NEP dans la très jeune Union soviétique). Ainsi un peuple peut-il commencer à se libérer et à s’émanciper et devenir un phare de sorte à contribuer à créer un mouvement mondial rendant possible le socialisme.
La énième tentative d’opposition syndicale s’opposera-t-elle à la bureaucratie ?
Afin de renverser les grands vents d’automne de l’austérité manque la construction d’une opposition syndicale anti-bureaucratique guidée par un parti politique qui trace une perspective stratégique ouverte sur une prise de pouvoir anticapitaliste. À cet égard, le peuple québécois ne part pas de zéro. Existe, comme on l’a vu, la Coalition mains rouges qui prend du gallon et qui commence à se poser comme pôle organisationnel aux directions syndicales. Mais cette coalition n’équivaut pas pour autant à l’auto-organisation des bases syndicales et populaires bien que les petites bureaucraties populaires qui la dirigent, toujours frileuses de subventions gouvernementales à défaut de formule Rand, aient des sinécures plutôt modestes et fragiles, et qu’elles soient connectées à une base dont les besoins sont particulièrement criants et urgents. Est en train de (re)-naître, laborieusement, cette opposition à la base, une énième tentative depuis une génération et autant d’échecs suite à un refus d’affronter publiquement et systématiquement la bureaucratie syndicale comme obstacle majeure à surmonter pour pouvoir vaincre le patronat et ses partis.
Fondée il y a moins d’un an à Montréal, Offensive syndicale a essaimé à Québec et dans les Laurentides et s’apprête peut-être, après quelques assemblées générales faites de conférences et de certaines décisions sans suite et pas toujours en phase avec la conjoncture syndicale, à plonger dans la mêlée, ce qui devrait la forcer à se mesurer un jour ou l’autre à l’adversaire bureaucratique. À sa prochaine réunion montréalaise, l’ordre du jour préliminaire appelle à s’organiser pour passer à l’action. La coordination du groupe invitera les membres à se prononcer « en faveur de la tenue d’une journée de perturbation économique, tel qu’adopté par le SECHUM-CSN, le conseil fédéral de la FSSS et du CCMM [...] à écrire une lettre ouverte sur la question et à la diffuser le plus largement possible, [à concevoir] un tract, une affiche et une bannière pour promouvoir cette journée de perturbation [à créer] un comité de mobilisation ayant pour mandat d’être présent lors des manifestations syndicales ou de conflits de travail pour promouvoir la journée de perturbation. » Ces décisions ou des semblables, si elles sont suivies d’effets, signaleraient un saut qualitatif bien qu’elles ne signifieraient pas le grand test de la pérennité du groupe, soit l’affrontement avec la bureaucratie syndicale.
L’excellent exemple étasunien à qui il manque une dimension politique
Offensive syndicale semble s’inspirer du modèle étasunien de regroupement de l’opposition syndicale. Existe depuis 1979, l’organisation Labor Notes qui lors de sa conférence annuelle de 2014 a réuni deux mille personnes qui ont participé à une centaine d’ateliers visant à former des « troublemakers ». La grève des enseignantes de Chicago en septembre 2012 visant le maire de la ville et ancien proche conseiller d’Obama y fut célébrée comme exemple récent le plus probant du succès de ces « troublemakers ». Dans un contexte d’anti-syndicalisme dur et sans le soutien de leur fédération nationale, ce syndicat de 30 000 membres a partiellement bloqué la contre-offensive réactionnaire par une grève militante contrôlée par un conseil syndical avec des équipes dans chaque école, en symbiose avec les parents, surtout afro-américains, et les organisations de quartier. La spécificité de cette lutte demeure l’organisation, à l’intérieur du syndicat, d’une opposition syndicale, le CORE, qui par un travail d’éducation et d’organisation sur plusieurs années, a fait élire (et ré-élire depuis la fin de la grève) une équipe à la direction [11].
Tout n’est pas rose pour autant car la réaction a, par après, réussi à fermer un cinquantaine d’écoles. Pire encore, en vue des prochaines élections municipales, le syndicat appuie à un poste important un candidat démocrate soi-disant ami des travailleurs. Comme quoi la combativité syndicale seule, sans un contexte où un parti anticapitaliste crédible donne un sens politique à la lutte, contribue à la construction d’un front d’appui et avance une alternative comme perspective, donne des résultats mitigés et même ne peut éviter la désorientation politique. Si Offensive syndicale, toujours dans son cocon, ne peut nullement se comparer à Labor Notes ou à des oppositions dans sa mouvance qu’elles soient locales comme le CORE ou sectorielles comme Teamsters for a Democratic Union (TDU), existe ici Québec solidaire comme parti de gauche crédible avec ses près de 8% du vote populaire et ses trois députés lequel parti ne trouve aucun équivalent aux ÉU. Question : Québec solidaire est-il à la hauteur, en tout ou en partie, des attentes de la militance syndicale anti-bureaucratique en voie de formation ?
Québec solidaire croit en la « bonne foi » des Libéraux et craint la « grève sociale »
À court terme, au-delà de la grande manifestation prévue le 29 novembre à laquelle les Solidaires appellent et où ils seront présents en cortège, on espérerait que les porte-parole et députées solidaires soutiennent publiquement et rapidement la journée de perturbation, au calendrier et contenu indéterminés, déjà votée par des instances syndicales importantes. La direction du parti préfère plutôt rechercher un ridicule consensus avec le Parti libéral au point que celui-ci, soutenu par le PQ et la CAQ, a appuyé une motion solidaire de « bonne foi » dans les négociations du secteur public [12]. Cette croyance au « fair-play » bourgeois, que l’on retrouve aussi dans la stratégie de l’Assemblée constituante, rappelle le même aveuglement de la part du chef patriote et seigneur Louis-Joseph Papineau qui a conduit à l’écrasement de la rébellion de 1837-1838 [13].
En 2010, il s’en eut fallu de peu que Québec solidaire doive choisir entre des directions syndicales capitulardes lors des négociations du secteur public et une non négligeable portion de la base syndicale en révolte contre celles-ci dont le très important syndicat du CHUM et celui de la santé de Gatineau. Mais la révolte fut trop peu nombreuse et trop dispersée pour percer les médias, dont ceux de la gauche du PQ et de la gauche de Québec solidaire qui, tous deux, voulaient éviter à leur mentors l’angoisse d’un choix public déchirant entre base syndicale et les directions syndicales. Lors du Printemps érable de 2012, le vacillement de la CLASSE sur la question de la « grève sociale », appelée trop tard, l’incapacité des militants syndicaux de la CSN à en faire un débat à la base, et la pusillanimité du regroupement syndical au sein de Québec solidaire lequel regroupement a refusé la lutte interne pour obtenir un débat, a délivré la direction solidaire de toute pression afin de poser l’enjeu de la « grève sociale » dans l’arène du débat public.
La « grève sociale », une grève politique qui pose la question du pouvoir
En cette mi-novembre 2014, on peut deviner qu’au delà de la probable journée de perturbation qui devrait avoir lieu au plus tard au tout début 2015 pour ne pas briser le momentum de l’escalade et dont les modalités à définir se devront d’être carrément perturbantes et qui le seront au prorata du succès du 29 novembre, s’esquisse le déploiement de la « grève sociale » dès le printemps. Qu’est-ce à dire par « grève sociale » ? À la lumière des expériences récentes proprement québécoises de mobilisation de masse depuis 2000, on parle d’une grève générale avec occupation-autogestion à la mode ALCAN-Arvida du début 2004, seule façon de contrer politiquement la loi anti-syndicale mais populaire des services essentiels. Cette grève devrait être appuyée par des manifestations géantes, à la mode du Jour de le terre 2012 et, espérons-le, du 29 novembre 2014. Cette grève-occupation et ces manifestations monstres devront être jumelées à des actions de perturbation du système de transport à la mode du 11 octobre 2003 et, espérons-le aussi, de cette autre journée semblable qui suivra le 29 novembre. Et pour casser l’austérité gouvernementale, il faudra bien pendre en compte que l’expérience sud-européenne et française nous apprend que que des grèves de 24 ou 48 heures ne suffisent pas... mais elles peuvent toujours être renouvelées par des assemblées générales quotidiennement convoquées, ce qui suppose une démocratisation radicale de la « grève sociale ».
Comme la « grève sociale » implique la mise en échec du noyau dur de la politique néolibérale gouvernementale, elle se pose immédiatement, indépendamment des visions subjectives des unes et des autres, comme une grève politique. À un certain niveau de son développement, elle débouche sur la question du pouvoir. Inversement, affirmer dès maintenant la nature politique de la « grève sociale », donc de son potentiel anticapitaliste, doterait cette grève de l’horizon nécessaire pour lui fournir le supplément d’âme qu’il faut aux peuples pour renverser les montagnes du capital. Si la mobilisation atteint ce point d’inflexion, elle renouera avec les moments forts du Front commun de 1972, soit les occupations de villes moyennes et de certains moyens de communication lesquelles occupations ouvraient la porte d’une situation de double pouvoir.
En 1972, ce danger alarmant, du point de vue de la bourgeoisie, avait donné l’occasion à la bureaucratie syndicale de se pourvoir d’un imposant capital politique, qui n’est pas encore épuisé, en le troquant contre un prix de consolation économique valant cependant davantage qu’un prix coco. Toutefois, tant que la majorité prolétarienne ne se libérera pas de l’idéal consumériste, pendant de pacotille de l’idéal bourgeois de l’accumulation de capital qui lui sert de modèle, au profit de l’idéal prolétarien de la créativité individuelle tout azimut incrustée dans de solidaires et denses relations sociales, le prolétariat hésitera à faire le risqué grand saut de la rupture pour plutôt se laisser embobiner par les chants de sirènes des bureaucrates... ou pire encore, tel ce chant lugubre de l’identitarisme, s’il se laisse miner par le désespoir d’un malheur sans issue.
La clef de la rupture, c’est la « grève sociale » et non l’Assemblée constituante
Quel est cet horizon menant à la rupture ? L’histoire de la construction du Canada comme prison des peuples a imposé la conquête de l’indépendance nationale du peuple québécois comme porte d’entrée de la rupture anticapitaliste [14]. Cette rupture passe par celle de l’État canadien au bénéfice de tous les peuples de cet État lesquels peuples, dans la mesure où ils rejetteront le Quebec bashing, briseront le carcan du nationalisme canadien les liant à la bourgeoisie. Cette conjugaison de l’émancipation sociale et de la libération nationale ne saurait s’en remettre à une Assemblée constituante, comme le propose Québec solidaire, si ce n’est la formaliser moyennant certaines conditions de radicalité démocratique.
La rupture viendra de la « grève sociale » seule en mesure de briser les colonnes du temple canadien. L’indépendance nationale conquise par la rue assoira solidement la tâche-clef de l’expropriation du capital financier, tout en garantissant épargne populaire et retraites, et la répudiation de la dette étrangère, socle matériel de la dépendance nationale. Ce renversement de la dictature bourgeoise, cachée dans le gant argenté de la démocratie formelle, permettra d’embrigader l’ensemble des moyens de production nationaux pour réaliser le plein emploi écologique, de sauver langue et patrimoine, de se doter d’institutions radicalement démocratiques et de contribuer à la libération des peuples du monde pour avancer tous ensemble vers le socialisme.
Québec solidaire : respectueux des institutions et prisonnier du capital financier
Québec solidaire connaît-il une dynamique qui va dans cette direction ? En d’autres mots, la position actuelle d’appui tacite aux directions syndicales, qui ne veulent pas de « grève sociale », et la stratégie purement institutionnelle de l’Assemblée constituante suivi d’un référendum suite à une victoire électorale du parti, laquelle stratégie réduit à l’accessoire le rôle de la rue, peut-elle muer en son contraire ? La direction du parti se contente d’une facile politique au jour le jour de dénonciation qui laisse entrevoir non pas une politique alternative mais un adoucissement social-libéral. Un exemple non choisi au hasard. La politique d’austérité tant québécoise que fédérale invoque la nécessité impérieuse d’un immédiat équilibre budgétaire malgré, selon l’avis de maints économistes patentés, un endettement public raisonnable et maîtrisé. Réponse de Québec solidaire : On reporte l’équilibre budgétaire à une date indéterminée, donc on fait financer le déficit par le capital financier en plus de lui demander à raison de cinq milliards $ l’an de financer le plan « Sortie du pétrole ». Croit-on vraiment que le capital financier s’exécutera sans exiger de la part d’un gouvernement de gauche conséquent une forte « prime de risque » doublée d’une rigoureuse discipline budgétaire proche parente de l’austérité ? Une réponse alternative, en rupture avec le social-libéralisme, serait une réforme fiscale drastique et un système de banques publiques, gérant une monnaie nationale, finançant transitoirement les immobilisations nécessaires au tournant écologique et sociale... ce qui requiert l’indépendance nationale.
Québec solidaire propose un processus d’accès à l’indépendance pleinement respectueux des institutions fédérales. Une fois élu, le parti, tout en promouvant l’indépendance, convierait fédéralistes comme indépendantistes à une assemblée constituante laquelle proposerait au peuple une option constitutionnelle soit indépendantiste soit fédéraliste (à moins d’imaginer comme certains le font, dans un esprit CAQ de gauche, une solution nationalement ambivalente mais avec un contenu social identique comme s’il y avait une muraille de Chine entre libération nationale et émancipation sociale, ce à quoi ouvre la porte la formule passe-partout « souveraineté populaire » adulée par la direction du parti). La stratégie solidaire fait fi de l’histoire réellement existante. Cette histoire d’oppression nationale révèle un grossier interventionnisme fédéraliste allant du coup de la Brink’s à la menace partitionniste en passant par l’application de la loi des mesures de guerre en 1970 et la loi dite de la clarté de 2000 niant le droit du peuple québécois à l’autodétermination. En parlant, dans les années 1990, de « trou noir » et de « turbulences », les ex premiers ministres Jean Charest et Pauline Marois faisaient preuve de plus de sens politique que Françoise David, porte-parole députée de Québec solidaire, pour qui tout rapport social, aussi antagonique soit-il, n’a comme solution que le consensus. Une stratégie indépendantiste respectant la continuité institutionnelle est une contradiction inhérente parce qu’elle veut se servir des institutions pour les briser.
Partis de type nouveau : partis à l’ancienne servis à la moderne ?
Est-ce à dire qu’il n’y a plus rien à attendre de Québec solidaire tout comme il n’y a plus rien à attendre du NPD ou des partis équivalents dans l’Union européenne ? On sait à quoi s’en tenir avec ces partis qui ont fait leurs preuves néolibérales quand ils ont été élus dans une province ou nationalement. Québec solidaire se range-t-il plutôt dans la catégorie des partis de type nouveaux au radical discours antilibéral, c’est-à-dire qui rejette le capitalisme et ses conséquences mais sans vouloir l’abattre, sans exproprier le grand capital, tels le Syriza grec, les Partis de gauche allemand et français, le Podemos espagnol ? Malgré leurs différences notables, ces partis sont issus d’un rejet des ex partis sociaux-démocrates ou soi-disant communistes qui se sont social-libéralisés.
On note toutefois une rapide dé-radicalisation du discours dans la mesure où ils se rapprochent de la majorité électorale, ce qui est fort évident de la part du Parti de gauche allemand et plus récemment de celle de Syriza. Somme toute, ces partis restent ancrés dans les institutions ce qui les amènent à des oxymorons révélateurs telle « la révolution par les urnes » du Parti de gauche français, d’où ses stériles compromissions avec le Parti communiste lui-même allié du très néolibéral Parti socialiste. Tous, avant tout électoralistes, tendent vers une organisation verticaliste méfiante de la dissidence, même le jeune Podemos, pourtant issu du mouvement horizontaliste des Indignés, qui, cautionné par la démocratie Internet, vient de consacrer « secrétaire général » aux vastes pouvoirs son leader charismatique.
La valse à deux temps du PQ et de Québec solidaire
Québec solidaire se démarque, quant à lui, du PQ, un parti nationaliste-populiste encroûté dans une stratégie étapiste totalement épuisée. Le PQ a (eu) comme projet le grand rassemblement des nationalistes toutes tendances, dont la grande majorité populaire aspire à l’émancipation sociale, dans le but de doter l’inachevée (petite-)bourgeoisie québécoise, liée organiquement à la bourgeoisie canadienne, d’un maximum d’autonomie étatique tendant vers l’indépendance. Québec solidaire a comme projet le grand rassemblement de la gauche toutes tendances, dont la grande majorité aspire à la libération nationale, dans le but de doter l’inachevé peuple québécois, lié organiquement au peuple canadien, d’un maximum d’émancipation sociale tendant vers le « dépassement du capitalisme ». Tous les deux étant électoralistes et les élections se gagnant au centre, il leur faut recouper question nationale et question sociale... ou vice-versa. Pour le premier, la justice sociale est le boulet qu’il lui faut traîner, pour le deuxième, c’est l’indépendance nationale.
Le PQ, coincé dans sa contradiction entre d’une part la construction d’un État national, plus ou moins achevé, compétitif sur le marché global et d’autre part la justice sociale, tente de s’en sortir en rassemblant la majorité populaire sur la base purement idéologique de l’identité nationale au lieu de faire de l’émancipation sociale le fondement de la libération nationale. Québec solidaire, coincé dans sa contradiction entre d’une part l’achèvement de la justice sociale et environnementale et d’autre part un fédéralisme néolibéral qui carbure à l’austérité et aux guerres, tente de s’en sortir en proposant un consensus national sur la base de la « bonne foi » des uns et des autres au lieu de faire de la libération nationale le fondement de l’émancipation sociale.
L’un comme l’autre excluent toute stratégie de lutte de classe dont la « grève sociale » est l’actuel point névralgique. Le PQ, issu du Parti libéral afin de couper court à la vague libératrice qui va devenir brièvement pré-révolutionnaire au printemps 1972, reste irrémédiablement (petit-)bourgeois. Québec solidaire, issu de la petite bureaucratie populaire, soutenue par l’aile gauche de la bureaucratie syndicale, afin de résister au rejet par la bureaucratie syndicale des conclusions anti libre-échange du Sommet des peuples de 2001 mais aussi constatant l’échec de la rue lors de la Marche des femmes 2000, du mouvement anti-guerre 2003 et de la ronde 2003-2005 des négociations du secteur public, en a conclu à la nécessité d’occuper le terrain politique mais sur un mode électoraliste.
La « grève sociale » peut retourner Québec solidaire si existe un relais anticapitaliste
En dernière analyse, le PQ repose sur sa base nationaliste dont les militants ne renonceront jamais à l’indépendance. En dernière analyse, Québec solidaire repose sur sa base de gauche dont les militants antilibéraux / anticapitalistes ne renonceront jamais à dépasser / renverser le capitalisme. Pour cette raison, le PQ est condamné au grand écart, qui paraît insoluble dans l’actuelle conjoncture, entre indépendance et capitalisme. Pour cette raison, Québec solidaire peut, moyennant deux conditions nécessaires et suffisantes prises ensemble, se muer en parti anticapitaliste, peut-être en passant par une phase antilibérale dans la quelle il a déjà un pied. La première est le développement de la lutte de classe jusqu’au niveau de la « grève sociale ». Toutefois, cette condition nécessaire n’est pas suffisante sans la seconde soit un relais anticapitaliste oppositionnel au sein du parti.
C’est là que le bât blesse. Les « collectifs » anticapitalistes du parti, qui n’ont aucun droit sauf celui d’avoir des tables de littérature aux assemblées générales, soit s’intègrent dans la machine électorale sans critique systématique, du moins publique, de l’électoralisme social-libéral de la direction nationale, sauf l’occasionnel coup de gueule, soit se contentent d’une propagande générale sans enracinement dans le parti, ce qui n’empêche pas certains de contribuer à construire, en-dehors du parti, des groupes comme Offensive syndicale ou les Étudiants pour le socialisme. Au bout du compte, c’est l’escalade de la lutte de classe, parvenue au niveau de la « grève sociale », qui testera le parti, ce qui en fera soit un copier-coller nationaliste québécois du NPD fédéral, soit un parti antilibéral de la rue à dynamique anticapitaliste. Avouons qu’en ce moment la probabilité de la première option pèse lourd.
Si Québec solidaire allait vers l’anticapitalisme, il pourrait avoir le discours suivant
À quel discours pourrait-on s’attendre de Québec solidaire dans la prochaine période, particulièrement au prochain conseil national de la fin novembre, si le parti prenait une direction anticapitaliste ? D’entrée de jeu, le parti ferait connaître son accord avec les revendications syndicales, particulièrement avec la mobilisation syndicale et populaire contre l’austérité et la révision à la baisse des pensions (loi 3). Il expliquerait qu’il ne faut pas compter sur la « bonne foi » gouvernementale et qu’en conséquence l’affrontement est nécessaire et doit être préparé. Non seulement participerait-il à la grande manifestation du 29 novembre mais il ferait connaître son appui et son éventuelle participation à la « journée de perturbation » proposée par le Syndicat du CHUM et appuyée par la FSSS et le Conseil centrale CSN de Montréal, journée dont il souhaiterait qu’elle se tienne le plus rapidement possible. Au-delà, il expliquerait la nécessité, dès ce printemps, d’une « grève sociale » impliquant des manifestations géantes, des blocages de moyens de transport et de communication et, last but not least, des grèves de 24 ou 48 heures défiant la loi des services essentielles si ce n’est des grèves-occupations prolongées virant sur sa tête cette hypocrite loi.
Comme politique alternative, le parti ferait d’abord connaître son soutien à la réforme fiscale des dix milliards $ de la Coalition mains rouges, comparable à celle de son cadre financier lors de la dernière élection. Il noterait que l’apport de ces fonds, à moins de retour de la crise économique, permettrait de commencer à réinvestir dans la santé, l’éducation, les logements sociaux, les garderies et dans un revenu minimum garanti et aussi dans le transport collectif. Pourrait s’y ajouter l’augmentation du salaire minimum prévu dans la plate-forme 2014.
Il signalerait que certains aspects de son programme « Sortir du pétrole », et non des moindres comme la bonification de l’enveloppe thermique des bâtiments, l’amélioration de l’efficacité énergétique industrielle et la (semi-)électrification des flottes commerciales, grâce aux « négawatts », s’autofinancent à coût nul, et même à bénéfice, pour les usagers et socialement sont intenses en main-d’œuvre par dollar investi... en autant qu’il y ait un fond de financement, une politique de fabrication nationale mettant en cause l’ALÉNA et consorts et surtout un programme gouvernemental d’application obligatoire.
Mais ce programme de type keynésien de gauche, sans rupture avec le capitalisme, suppose une croissance économique continue et pas toujours écologique, la bienveillance du capital financier pour financer des immobilisations à bon compte, non une grève des investissements doublée d’une fuite de capitaux dans les paradis fiscaux, le tout dans un monde sans crises écologique et géo-politique majeures. Grosse commande, à terme irréaliste, qui en plus permettrait peut-être d’atteindre l’objectif gouvernemental de réduction de 20% des gaz à effet de serre (GES) en 2020 par rapport à 1990 en s’y mettant dès maintenant mais non l’indispensable objectif du GIEC de 40% pour les pays anciennement industrialisés, qui est aussi le nôtre.
C’est pour cette raison que notre politique à court terme, que l’on pourrait appeler une politique d’urgence, se profile sur un horizon indépendantiste de dépassement si ce n’est de rupture avec le capitalisme. Pour nous, de Québec solidaire, la « grève sociale », pleinement déployée, va immanquablement poser la question du pouvoir politique par la rue quitte à la confirmer par une élection dans le cadre d’institutions nouvelles fortement démocratisées. Faut-il ajouter que nous sommes disponibles à jouer notre rôle en diapason avec la démocratie de la rue, que nous sommes enthousiastes à expérimenter un maximum de démocratie directe et d’encadrement par le bas de la démocratie représentative.
Nous pensons qu’alors les conditions seront réunies pour une rupture indépendantiste qui permettra d’exproprier le capital financier, brisant les reins de la domination capitaliste, ce qui nous donnera les moyens du plein emploi écologique tout en évitant le chaos climatique et social qui s’annonce en autant que les ruptures anticapitalistes s’internationalisent.
Marc Bonhomme, 16 novembre 2014
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