Peux-tu expliquer l’origine de votre lutte ?
Odile Malora - La lutte des Malora a commencé il y a un an et demi, suite à la déclaration de cessation d’activité des frères Hilaire et une reprise de l’entreprise par Montgolfier. Très vite, on a compris que, derrière cette reprise, se profilait une opération immobilière honteuse sur le dos des salariés, au profit de la mairie de Saulxures. On a donc mené la lutte, et ce qu’on soupçonnait dès 2005 s’est avéré exact, puisqu’on est allé vers un dépôt de bilan le 25 avril 2006, puis une cessation d’activité déclarée très rapidement par le tribunal de commerce. Les salariés, face à la fermeture de l’entreprise, ont décidé de ne pas se laisser faire : une mobilisation et une résistance extraordinaires font entrevoir aujourd’hui une autre alternative que la cessation d’activité.
Quelles ont été les formes de cette résistance ?
O. Malora - Pendant le conflit, on a compris qu’il fallait médiatiser l’opération immobilière honteuse, faite aux dépens de 69 familles, qui visait deux sites : Saulxures-les-Nancy et à Fraize (Vosges). Très vite, on a dû mettre les preuves sur la table. Chaque jour, il a fallu alimenter les médias pour maintenir la pression et dénoncer cette opération scandaleuse. Apparemment, cela a fonctionné, puisque le conflit dure depuis 78 jours et, s’il n’a pas abouti sur une victoire, a permis une avancée : aujourd’hui, si opération immobilière il y a, il faudra qu’elle profite aux salariés de Malora et non au seul repreneur de l’usine. Mais on a mené la lutte sur tous les fronts : pour la dénonciation de l’opération immobilière - rapidement mise sur la place publique -, on a fouillé et on a joué les Maigret ou les Colombo pour prouver cette opération. On s’est battu contre les pouvoirs publics qui disaient : « C’est trop tard, il y a cessation. » On a mené le combat en direction des politiques et de la justice. On a déposé plusieurs plaintes et, aujourd’hui, la mairie UMP de Saulxures, qui n’a rien fait durant la lutte, attaque les salariés - ceux qui défendent l’emploi -, avec une plainte contre la déléguée syndicale pour diffamation et outrage.
Avez-vous rencontré d’autres difficultés ?
O. Malora - Déjà, celles d’une occupation illégale ! Il a fallu pousser fort et on a réussi ce tour de force : maintenir l’occupation, jour et nuit, pendant 78 jours. On a eu des difficultés avec les politiques, qu’il a fallu bousculer, parce qu’ils n’étaient pas très présents au départ, et qui, aujourd’hui, commencent à répondre. Il a fallu quand même intervenir au conseil général, devant tous les élus, en présence du préfet. Finalement, on a été entendu : ce coup de gueule a obligé le préfet à intervenir, à stopper l’opération immobilière tant que tout ne serait pas clair. Il n’était pas très à l’aise, puisqu’en 2005 on l’avait interpellé pour surveiller les conditions de reprise de notre entreprise, sachant que le repreneur avait un passé chargé : 140 emplois liquidés avec la Compagnie d’électricité nancéienne, et des terrains repris par Batigère sur le dos des salariés. Le scénario se reproduisait, le préfet est intervenu mais, sans la lutte des salariés, on n’en serait pas là.
Quels sont vos soutiens durant cette occupation ?
O. Malora - On a le soutien de l’interpro CGT et d’autres syndicats : Solidaires, certains syndicats de la CFDT, de FO, du Snes... Mais, au-delà, ce qu’on retient, c’est le soutien de la population, qui a apporté son aide au quotidien : ce sont des fruits, des légumes du jardin, des barquettes pour le barbecue, un soutien financier, des pétitions, des interventions indignées auprès de la mairie... C’est donc un soutien magnifique de la population, sans lequel les Malora n’auraient pas tenu. On a aussi des soutiens politiques : dès le départ, on a eu les militants de la LCR et de LO, des militants communistes ou socialistes. Tous ces soutiens nous font chaud au cœur. Nous, c’est le « tous ensemble » qu’on a appliqué, sans aucun état d’âme. On a accepté l’aide de tous : quand on parle de la visite d’Olivier Besancenot, c’est sans retenue qu’on a accepté qu’il vienne nous soutenir. On a pu entendre qu’il menait campagne pour nous : 25 ouvriers en lutte, je pense qu’on n’a pas apporté grand-chose à Olivier, mais, lui, il nous a apporté énormément.
Et maintenant, quelles sont vos perspectives ?
O. Malora - Aujourd’hui, on parle de reprise d’activité : on demande aux élus et au préfet qui ont laissé faire hier de mettre sous haute surveillance cette opération. Nous, on a des exigences : on veut sauver un maximum d’emplois sur le site, avec des clauses de pérennité. Les aides apportées à la reprise doivent être mises sous surveillance. On se battra pour que les salariés, dont certains ont 30 ans d’expérience, conservent leurs acquis. Enfin, l’opération foncière doit servir à tous les Malora, qu’ils restent en activité ou non. Malheureusement, on ne peut pas parler de victoire, tant que certains restent au bord du chemin, comme sur le site de Fraize. Mais c’est une belle avancée, une belle expérience, et un bel exemple du refus de la fatalité. Il n’est jamais trop tard : les batailles qu’on perd sont celles qu’on ne mène pas.
Sur un plan politique, on imagine ce qui aurait été possible si tous s’étaient mobilisés dès le départ. On va arriver dans une période électorale : il y aurait nécessité qu’on trouve un accord et, enfin, qu’on ait une gauche mobilisée. Une gauche pour changer les choses, pas simplement pour battre la droite, parce que si c’est pour battre la droite et faire la même politique, on voit les effets sur Malora et sur les autres, Seb, Reynolds, Moulinex, Daewoo... Il faudrait que chacun puisse trouver sa place pour changer les choses : si tout le monde poussait dans le même sens, ce serait extraordinaire. On a pu dire, hier, que la reprise de Malora était utopique, qu’on était des rêveurs. Eh bien, j’ai le droit de rêver pour que, demain, on ait enfin une force d’opposition et de progrès pour un réel changement. Pas un changement libéral, où on ferait en sorte de mieux gérer la crise, mais un changement pour les travailleurs, parce que ce sont eux qui trinquent tous les jours.