Podemos est un outil démocratique au service de la citoyenneté. C’est ce message qui a été lancé aux militants et à tout le public par ses dirigeants, ses initiateurs et ses sympathisants depuis le lancement de l’initiative.
La preuve a été donnée par les primaires ouvertes ou par le programme électoral que Podemos a présenté lors des élections européennes. Cependant, une fois l’initiative lancée et à la suite de son succès électoral, le nouveau parti est confronté au défi de construire une nouvelle forme d’organisation politique, qui ne reproduira pas les erreurs des partis traditionnels et permettra de trouver un parfait équilibre entre le rôle que doivent jouer ses dirigeants politiques, les plus de 400 cercles militants répartis dans tout l’État et les électeurs, dont le nombre a dépassé 1,2 million lors des dernières européennes et que Podemos aspire à augmenter.
C’est lors d’une telle discussion sur les idées, les modes d’organisation et les formes de la démocratie interne, que le dimanche 8 juin, comme le signale El País, un débat houleux a eu lieu entre une partie des bases militantes qui préconisaient un plus grand pouvoir des cercles dans le processus de prise de décision, d’une part, et ce qu’on appelle l’équipe de promoteurs de Podemos, qui défend un modèle avec moins d’influence des cercles et plus ouvert à la citoyenneté et aux électeurs. Le débat de fond, en définitive, c’est de définir la forme d’organisation que Podemos doit prendre et le rôle des cercles et des citoyens non inscrits dans la prise des décisions du parti.
Pour le moment, on a identifié dans ce débat deux pôles qu’on peut qualifier d’opposés. D’une part, la Gauche anticapitaliste (IA), le parti politique intégré dans l’initiative depuis sa fondation et, d’autre part, l’équipe de promoteurs avec Iñigo Errejón, Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero à sa tête. Toutefois, les deux parties conviennent que le débat est beaucoup plus transversal, qu’il touche et divise les cercles et que, plus que d’une « confrontation » ou d’une « rébellion des bases contre le sommet » il s’agit d’un « débat sain et ouvert » sur la forme d’organisation pour tenter de trouver « les équilibres » entre les deux propositions.
En essayant donc de faire la lumière sur cette discussion et au risque de simplifier de manière excessive les positions, on y trouve d’une part le point de vue adopté par l’équipe promotrice, qu’Iñigo Errejón, directeur de la campagne de Podemos, a expliqué en ces termes à cuartopoder.es : « Le débat se concentre sur la recherche d’un point qui permet de trouver l’équilibre entre les deux possibilités ouvertes en ce moment : que les décisions fondamentales soient prises par les délégués des cercles dans une sorte d’assemblée de délégués ou, à l’inverse, que les décisions les plus importantes soient ouvertes à la citoyenneté en utilisant divers outils de participation ». Errejón considère que, dans ce moment « d’exceptionnalité politique » Podemos doit plaider pour laisser aux citoyens la prise des décisions importantes, que ceux ci participent ou non aux cercles. « Nous ne pouvons ignorer le fait que tout le monde n’a pas le temps de participer de manière active à un cercle », argumente-t-il.
Face à cette position, une autre est défendue par la Gauche anticapitaliste et par une partie des bases, qui considère que les cercles Podemos devraient être traités comme les structures de base du parti et devraient avoir plus de poids dans la prise des décisions car dans le cas contraire il y a le risque de « tomber dans une démocratie plébiscitaire » dans laquelle les dirigeants prennent les décisions, qui sont ensuite soumises ensuite au vote des citoyens, et d’ignorer le rôle important que doivent jouer les cercles et « les aspirations à la participation démocratique des citoyens ».
« C’est un peu ce qui se passe maintenant sur la question de l’équipe de gestion qui doit préparer l’assemblée constituante, bien que s’il ne s’agissait que de cela ce ne serait rien de grave. L’équipe promotrice a décidé d’élire une équipe technique qui organise l’assemblée constituante à l’aide de listes closes, en a informé les autres tout en soumettant ces listes au vote », explique Jaime Pastor, qui estime qu’une telle situation doit être évitée dans l’avenir à travers la participation des cercles à la prise des décisions pour voir « ce qui est soumis au vote et en quels termes ».
« Par exemple, si Podemos pose une question aux citoyens, il ne s’agit pas de débattre si seuls les cercles ou tous les citoyens doivent la voter, mais de savoir si les cercles peuvent participer à la formulation de la question. Il s’agit d’obtenir un consensus entre les cercles et l’équipe promotrice et après soumettre la question à tous les citoyens qui veulent participer », poursuit Pastor, en précisant que si Podemos optait pour cette solution, sa direction serait plus collective.
Risques inhérents
Ce débat n’est pas simple et à de nombreuses occasions il est articulé en termes théoriques. Ainsi, Errejón considère que la position qu’il défend « ne vise pas à éliminer les cercles » du processus de prise des décisions et que ces derniers continuent à être très importants, par exemple « dans l’articulation de Podemos dans les territoires », mais que le parti devrait garder à l’esprit qu’il doit répondre aux espoirs de très nombreux citoyens qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles ne peuvent participer quotidiennement ou hebdomadairement à des assemblées ou bien qui ne sont pas intéressés dans la participation active à la politique.
Par conséquent, Errejón argumente qu’un processus de prise de décisions plus centré sur le consensus entre les délégués des cercles pourrait faire courir le risque de « reproduire le fonctionnement traditionnel des partis politiques qui finissent par se tourner plus vers leur propre intérieur que vers les électeurs qui votent pour eux ». « Nous devons être conscients que l’idée d’un citoyen activiste qui participe activement dans la politique quotidienne existe seulement dans les rêves de nombreux militants », signale-t-il.
Face à cet argument, Pastor soutient que le modèle préconisé par l’équipe promotrice – et soutenu par beaucoup de militants de base – court un risque opposé. Autrement dit, si c’est un modèle plus ouvert de prise des décisions qui est adopté afin de continuer à attirer, Podemos peut dégénérer en un « parti électoraliste » qui ignore les demandes et les pétitions de ses militants et est complètement coupé de ses bases.
Une troisième voie
Les deux protagonistes considèrent que les propositions qu’ils défendent ne « s’excluent pas mutuellement », mais qu’au contraire, il est nécessaire de les confronter, les discuter, analyser les risques de chacune d’entre elles et d’essayer de trouver les meilleurs outils politiques permettant d’articuler l’hétérogénéité de Podemos dans une majorité sociale. Ainsi, Errejón assume qu’on peut courir le risque d’écarter les bases de la prise des décisions et c’est pourquoi il plaide pour « articuler les mécanismes pour que les décisions fondamentales puissent être votées » tout en « continuant à fortifier une structure interne de prise des décisions ».
Pour sa part, Pastor considère également qu’un nouveau parti qui donnerait une importance excessive aux cercles, au détriment d’autres formules de participation, finirait par exclure de Podemos les citoyens qui ne disposent pas de beaucoup de temps libre. Mais il signale aussi qu’on ne peut prendre le risque de donner « une excessive capacité de décision aux dirigeants ». « Nous sommes dans une nouvelle étape, dans laquelle il faut chercher un espace hybride, qui mixe les formes internes avec des formes de participation à travers les réseaux sociaux, les listes de courriels, etc. », signale Pastor, affirmant que « ce qui est clair » c’est que Podemos doit être « quelque chose de nouveau » qui ne rassemble ni au PSOE, ni à la Gauche unie (IU), ni à la Gauche anticapitaliste (IA).
« Ce sont les problèmes inhérents à la création d’un parti de manière complétement démocratique, ils sont donc bienvenus. Nous devons chercher des mécanismes qui permettent d’éviter que nous prenions le risque de finir en nous occupant plus de nous-mêmes que de ce qui se dit en dehors et en laissant la majorité sociale en dehors. D’un autre côté, il faut chercher des contrepoids qui permettent la participation citoyenne de façon à ce que n’apparaisse pas la sensation que Podemos appelle seulement à la participation pour faire voter des propositions qu’il a déjà adoptées », conclut Errejón.
Rencontre citoyenne
Ce samedi 14 juin Podemos organise une rencontre qui doit préparer l’Assemblée citoyenne « Oui, c’est possible » qui aura lieu en automne. Lors de cette rencontre l’équipe de gestion élue au moyen des élections ouvertes pour conduire le parti à cette Assemblée, sera annoncée. En ce sens, Errejón considère que « ce qui est essentiel », c’est que cette rencontre serve pour « diriger [le parti] vers cet événement politique qu’est l’Assemblée citoyenne “Oui, c’est possible” de l’automne, que ce ne soit pas une reproduction des congrès clos, mais un événement ouvert, qui aide à construire des outils pour la construction d’une majorité politique nouvelle dans ce pays ».
Alejandro Torrús