Augmentation des grèves de la faim de travailleurs
Depuis le début de l’année on assiste à un nombre croissant de grèves de la faim parmi les travailleurs, en particulier dans les mines. Le recours à cette forme d’action suscite, parmi les militants syndicaux à l’Ouest mais aussi en Russie même, une réaction d’étonnement, d’incompréhension pouvant aller jusqu’à une condamnation pure et simple. En effet, la grève de la faim apparaît comme un mode de protestation où la radicalité du geste, surtout dans les conditions de malnutrition que connaissent un très grand nombre de travailleurs en Russie, met en danger la vie même de celui qui y a recours (et de fait, il y a eu morts d’hommes à l’occasion de certains grèves récentes) en cherchant à donner une visibilité maximale à l’action engagée - cf. ci-dessous l’interview d’Edouard Boutski, responsable syndical de la mine Intinskaïa (région des Komi). Il serait profondément erroné de réagir à ces initiatives uniquement du point de vue d’une « orthodoxie » concernant les formes d’action, il faut les comprendre aussi comme la réaction de travailleurs confrontés à l’extrême difficulté qu’il y a aujourd’hui en Russie de développer et maintenir une forme d’action collective, face à l’incurie et au mur de cynisme et d’indifférence de certains patrons. Et il n’est pas étonnant que cette forme d’action soit lancée en premier lieu dans des secteurs et des entreprises en grande difficulté. Ci-dessous nous évoquons certaines grèves de la faim récentes.
Usine de construction automobile de Iasnogorsk
A la fin des années 90, les travailleurs de l’usine de Iasnogorsk avaient mené une lutte exemplaire : face au détournement de la production par la direction à son seul profit, les travailleurs avaient instauré au niveau de l’usine un contrôle ouvrier sur la vente de la production. Si la direction à l’époque avait du reculer, elle n’avait pas pour autant renoncé à son projet de piller l’entreprise. Au cours des dernières années, dans une guerre d’usure sans fin, la lassitude, des doutes concernant la possibilité de poursuivre la lutte se sont emparé de la majorité des travailleurs. C’est dans un tel contexte que Andreï Guan Tin Fan, président du Comité syndical et anciennement président du comité de contrôle de la production a fait une grève de la faim pendant 28 jours. Guan Tin Fan entendait protester contre les mesures adoptées par la direction de l’entreprise à l’encontre du syndicat de l’usine : aux mesures d’intimidation et de chantage permanentes visant à inciter les travailleurs à quitter le syndicat s’était ajouté le projet d’étrangler financièrement le syndicat. Par son geste, aussi isolé et désespéré soit-il, Andreï a surtout voulu affirmer la nécessité vitale de poursuivre la lutte. Cette action de Guant Tin Fan a été l’occasion d’une large campagne de solidarité en Russie même à l’initiative de Zachtchita Truda, mais aussi à l’étranger, en France et tout particulièrement en Suisse. A la suite de la grève de la faim, la direction a reculé, renonçant aux mesures d’étranglement financier du syndicat et elle a accepté d’engager des négociations en vue de la signature d’une nouvelle convention collective.
Grève de la faim collective à la mine « Eniseïskaja »
En avril, 59 mineurs de la mine Eniseïskaja avaient entrepris une grève de la faim pour obtenir le paiement des retards de salaires et ils avaient obtenu partiellement satisfaction, la direction de la mine promettant de régler le reste de la dette salariale d’ici le 15 mai. Promesse non tenue, et le 17 mai 139 personnes dont 37 femmes ont entrepris une nouvelle grève. Cette grève a duré 12 jours, jusqu’à ce que la direction tienne effectivement sa promesse de payer tous les salaires en retard.
Grève de la faim dans la ville de Chakhta (région de Rostov)
Le 24 mai 720 employés de l’usine d’équipements miniers appartenant à la compagnie Rostovugol se sont mis en grève pour réclamer le paiement des importants retards de salaires. Face aux promesses dilatoires de la direction, le 31 mai, 9 des grévistes ont entamé une grève de la faim, exigeant que la direction tienne ses engagements d’ici le 15 juin.
Grève de la faim à la mine « Intinskaïa » (région des Komi)
Fin mai, Fanil Kalimulin et Eduard Boudski, présidents des comités syndicaux des deux principaux syndicats de mineurs (Rostugleprof et NPG) ont annoncé qu’ils allaient entamer une grève de la faim. Avec les mêmes revendications qu’à la mine Eniseïskaïa : paiement des retards de salaires (les salaires ne sont pas versés depuis deux mois et demi), versement des cotisations (en retard) au fond de retraite, versement des indemnités de licenciements. A la mine d’Intinsakïa, un mineur de fond gagne 6500 roubles (soit 180 euros) et un travailleur en surface 50 euros, ce qui est deux fois inférieurs au minimum vital pour la région (la région des Komi, où se trouve Vorkhouta, est située dans le Grand Nord.
Interview d’Edouard Boudski, président du Comité syndical du Syndicat indépendant des mineurs
(propos recueillis par l’Institut des actions collectives de Moscou)
- Comment les travailleurs de la mine réagissent à votre initiative ?
- E.B. Ils la soutiennent, cela ne fait pas le moindre doute : nous nous battons pour que chacun reçoive son salaire. Le premier juin plus de 200 mineurs ont manifesté leur intention de se joindre à notre action, si les revendications n’étaient pas satisfaites. Comme la mine est le centre d’activité pour toute la ville, nous avons le soutien de toute la population, de l’association des anciens combattants, de l’association des femmes ainsi que des travailleurs des différentes entreprises de service. [...]
- Vous considérez que la grève de la faim est un bon moyen de défendre ses droits ?
- E.B. Non, bien sûr, c’est celui que l’on utilise en dernier recours. Il faut savoir que nous avons essayé de résoudre le problème par d’autres voies : nous nous sommes adressés au tribunal, à l’inspection du travail. Toutes ces démarches n’ont donné aucun résultat. Qu’est ce qu’il nous reste à faire aujourd’hui ? Le pas ultime, à coup sû , ce sera quand nous prendrons d’assaut les bâtiments de l’administration...
- Comment expliquez vous la vague de grèves de la faim qui éclatent aujourd’hui dans beaucoup de mines ?
- E.B. Cela révèle la façon dont on traite les mineurs dans ce pays. En dix ans leur nombre a été divisé par 10. L’Etat n’a strictement rien à cirer de leur sort. C’est à une solution d’ensemble pour le secteur minier qu’il faut s’attaquer. Sans attendre qu’une vague de protestations déferle sur le pays et que nous soyons forcés de recourir à des mesures extrêmes. Il faut résoudre les problèmes de toutes les mines dans le même temps et de façon efficace.
- Pensez vous qu’il y ait des chances que vous soyez entendus ?
- E.B. Je pense que oui. De toute façon, nous sommes très déterminés et prêts à aller jusqu’au bout.
Toliatti
A différentes reprises, le Messager Syndical a évoqué la situation à l’usine automobile AvtoVAZ, où le syndicat Edinstvo (« Unité ») est un syndicat alternatif particulièrement combatif, qui en dix ans de lutte a su acquérir une réelle audience auprès des travailleurs. A ce jour, il compte 2307 membres et il est présent dans 2/3 des ateliers. Différentes commissions prennent en charge l’activité du syndicat dans différents domaines : commission « femmes » (à formation égale, le salaire d’une travailleuse est de 30% inférieur à celui d’un travailleur et les conditions de travail, en raison de l’intensification des rythmes, ont des conséquences graves sur leur santé : l’année passée, trois travailleuses sont décédées suite à une trop grande tension physique et nerveuse), commission « juridique » qui relaie devant les tribunaux certains conflits, commission « formation » : pour Edinstvo, la formation de ses membres est un enjeu essentiel pour les batailles à venir : 5 - 6 séminaires sont organisés chaque année.
Il faut dire que depuis deux ans, la direction de l’entreprise a considérablement renforcé sa campagne contre ce syndicat beaucoup trop actif à son gré : des mesures d’intimidation visant individuellement chaque membre du syndicat au refus systématique d’associer Edinstvo aux négociations sur la convention collective. Malgré cela, le syndicat a su conserver ses positions, ce qui est décisif dans une période où l’entrée de General Motors dans le capital de l’entreprise va entraîner une réduction massive des postes de travail : il a été annoncé de façon quasi officielle que 20 000 licenciements interviendraient dans les 18 mois à venir (aujourd’hui l’usine compte 120 000 travailleurs), et, à terme, ce sont 50 000 emplois qui sont menacés. Dans les secteurs déjà pris en main par General Motors, il n’y pas de place pour les syndicats, pour Edinstvo bien sûr, mais aussi pour le syndicat plus que modéré affilié à la FNPR. Pour les travailleurs de la Volga, la « mondialisation » libérale est devenue une réalité tout à fait menaçante.
L’audience de Edinstvo s’étend au-delà des murs de l’entreprise. A. Ivanov, candidat soutenu par le syndicat lors des dernières élections à la Douma en décembre 2003, a été élu, pour un second mandat. Mais, surtout, Edinstvo, lors de sa conférence annuelle, avait décidé de présenter la candidature de Piotr Zolotarev, le secrétaire du syndicat, pour le poste de maire de Toliatti. A la suite d’une campagne très active, qui a rassemblé autour du candidat du syndicat toute une série d’associations mais aussi des organisations syndicales d’autres entreprises de la ville, Piotr Zolotarev a obtenu (au deuxième tour) 41, 69 % des voix, contre 44, 46% pour le maire sortant, réélu de justesse. Le réseau qui s’est mis en place à l’occasion des élections ce printemps a décidé de repartir au combat lors des élections à la Douma locale cet automne, en présentant un candidat dans toutes les circonscriptions.
Syndicats de l’industrie alimenataire, du tabac, de l’agriculture, de la restauration et de l’hôtellerie
L’ACTIVITE DU BUREAU DE L’UNION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS DE L’ALIMENTATION (UITA) DANS LES PAYS DE LA CEI : UN EXEMPLE DE COOPERATION SYNDICALE INTERNATIONALE REUSSIE
Les branches touchant à l’alimentation, à l’hôtellerie, à la restauration et à l’industrie du tabac connaissent des évolutions significatives ces dernières années. Elles sont notamment marquées par un important développement, la progression de la rentabilité et des bénéfices, ainsi que par des restructurations internes liées à la présence de plus en plus importante des investissements étrangers et des multinationales.
Compte tenu de la nécessité de créer des liens avec les syndicats des entreprises russes de ce secteur rachetées par les multinationales, l’UITA (IUF en anglais) a ouvert depuis quelques années une représentation à Moscou pour coordonner les activités de coopération syndicale entre les pays de la CEI et de l’Europe de l’Est avec les autres régions du monde. Le but premier est l’organisation d’une résistance syndicale unie et efficace contre les tendances à la répression syndicale des multinationales. Pour ce faire, la représentation moscovite effectue un important travail d’information (bulletins hebdomadaires, brochures...), de conseil syndical (aide juridique, diffusion des accords collectifs d’entreprises appartenant à la même multinationale), d’aide à l’établissement de contacts entre les syndicats d’une même branche ou d’une même multinationale, de soutien organisationnel à l’activité des syndicats d’entreprise (participation aux rencontres avec la direction, lettres de soutien), et de formation syndicale générale portant en particulier sur les dangers de la mondialisation et de l’adhésion à l’OMC.
L’UITA a été créée en 1889, comme une organisation essentiellement basée en Europe. Aujourd’hui l’UITA compte 10 millions de membres venant de 345 syndicats présents dans 125 pays. Les membres de l’UITA sont des travailleurs des secteurs suivants : agriculture, alimentation, hôtellerie, restauration, traiteurs et autres secteurs du même ordre. En Russie, les syndicats affiliés à l’UITA sont en premier lieu des syndicats appartenant à la FNPR, les plus présents dans le secteur. Il s’agit, entre autres, du syndicat « Unité commerce » (Torgovoe Edinstvo) - un syndicat des travailleurs du commerce, de l’alimentation collective et des coopératives de consommateurs, du syndicat des travailleurs de la pêche, de divers syndicatsà l’échelon local. Mais il est prêt à apporter son soutien à tous les syndicats, y compris alternatifs, qui en expriment le souhait.
Après l’évocation de quelques exemples de lutte syndicale dans des entreprises, le Messager syndical propose à l’attention de ses lecteurs une interview avec Kirill Bouketov, coordinateur régional de l’UITA pour la CEI.
La lutte des « Coca-Cola »
Viktor Gratchev, président du syndicat des salariés moscovites de Coca-Cola a été licencié en août 2001, juste après avoir annoncé à la direction de la compagnie la fondation du syndicat. Il a mené une longue bataille pour être réintégré, dénonçant le caractère arbitraire de son licenciement. Le tribunal de première instance a donné raison à la direction, arguant du fait que le CDD de V.Gratchev expirait justement à la date de son licenciement. Selon le leader syndical, son contrat avait expiré depuis déjà trois mois à l’époque de son licenciement, et il travaillait toujours, ce qui faisait automatiquement de lui, selon la législation russe, un salarié en CDI. Son appel a été satisfait par le tribunal de seconde instance le 4 mars 2003. Grâce à des actions collectives fortes lors de la création du syndicat, à une intense campagne de presse et de solidarité, fortement soutenue par l’IUTA, à une bataille juridique et d’influence qui a duré près de deux ans, le syndicat Coca-Cola de Moscou est désormais reconnu, Viktor Gratchev a été réintégré, et un accord collectif d’entreprise a été signé entre la direction et le syndicat.
Le même type de conflit se reproduit aujourd’hui dans l’usine Coca-Cola de Volzhki, dans la région de Volgograd. Une organisation syndicale vient de s’y créer en septembre 2003. L’un des adjoints au président du syndicat a déjà été licencié, un autre est parti de lui-même. La direction refuse de conclure un accord d’entreprise avec le syndicat, arguant qu’il ne représente pas la majorité des salariés. Or les infractions sont nombreuses : absence de contrats de travail, absence de commission chargée du contrôle de la sécurité, heures supplémentaires non payées (journées de 12 à 14 heures), flexibilité du temps de travail... Le président du syndicat, Alexandre Jmoidiak, victime de la discrimination antisyndicale, a vu son salaire réduit de trois fois depuis la création du syndicat. Signe concret d’une solidarité grandissante, le syndicat de l’usine de tabac Reemtsma de la ville voisine de Volgograd leur a apporté son soutien, et le président du syndicat Coca-Cola de Moscou a assisté à la réunion syndicale de l’usine de Volzhski le 7 février 2004, à la suite de laquelle décision a été prise de coordonner les actions entre les syndicats Coca-Cola de Russie. La direction de l’IUTA entend soulever la question de la situation dans l’entreprise Volzhski lors de sa prochaine entrevue avec la direction centrale de la multinationale.
La lutte des Cargill
Au début de l’année 2003 les salariés d’une entreprise appartenant à la multinationale américaine de l’agroalimentaire Cargill dans la ville d’Efremov (région de Toula) s’activent pour défendre le « droit au travail ». A l’initiative du syndicat du combinat, un meeting a été organisé pour obliger la direction à entamer des négociations et à respecter le droit des salariés à conserver leur emploi lors des restructurations, qui ont déjà entraîné le licenciement de tous les salariés (47 personnes) du service de sécurité et gardiennage de l’entreprise, cédé à une firme privée de Moscou. Face à l’attitude intransigeante de la direction à l’égard des revendications des salariés, le syndicat (traditionnel, affilié à la FNPR) bouge et est prêt à recourir à des actions collectives pour obtenir la conclusion d’un accord collectif d’entreprise à des conditions acceptables pour les salariés.
La lutte chez Reemtsma Imperial Tobacco
Dans l’usine de tabac Reemtsla-Volga de Volgograd, une filiale de la multinationale allemande du tabac, le syndicat s’est créé il y a plus de trois ans. Très minoritaire au départ (7 à 8 membres), il a fait l’objet d’importantes pressions de la part de la direction. Mais, sous l’impulsion d’un jeune responsable dynamique, Serguei Golovnia, il a tenu bon et son audience s’est considérablement renforcée. L’IUTA a également joué un rôle important dans la bataille pour la reconnaissance du syndicat. Son représentant à Moscou, Kirill Bouketov, a participé aux négociations avec la direction. Une campagne internationale a été menée pour condamner les mesures antisyndicales prises par la direction de l’usine de Volgograd (notamment un ordre signé du directeur prévoyant la non-allocation aux membres du syndicat d’un certain nombre d’aides sociales). Le comité régional du syndicat des travailleurs de l’alimentaire a également relayé la campagne dans la presse locale. Craignant une détérioration de son image de marque, la direction de Reemtsma Volgograd a reculé, à condition que le syndicat suspende sa campagne dans la presse.
Celui-ci compte aujourd’hui près de 180 syndiqués, sur un total de 600 salariés, et s’impose comme un interlocuteur incontournable pour la direction. Après une longue bataille, le syndicat a obtenu de la direction la mise à sa disposition d’un local équipé. L’accord d’entreprise est négocié en ce moment, le syndicat ayant acquis des positions solides.
La lutte des Nestlé à l’usine de Timashevsk
La direction de la multinationale Nestlé, dans ses Principes de conduite des affaires prétend « offrir un milieu de travail sûr et sains pour tous ses employés ». Ce qui se passe aujourd’hui à l’usine Nestlé de Timashevsk (région de Krasnodar) montre qu’on est encore loin du compte.
L’entreprise compte 770 travailleurs, mais seuls 170 ont un CDI. Les autres, dont beaucoup ont plusieurs années d’ancienneté dans l’entreprise, n’ont que des CDD, ce qui permet à la direction de multiplier les pressions. Cela s’est manifesté avec particulièrement de netteté au début de cette année.
Anatoli Chulga, conducteur de chariot électrique, est président du syndicat et responsable de la commission santé / sécurité des travailleurs. A différentes reprises, il avait attiré, en vain, l’attention de la direction sur le non respect des règles de sécurité, notamment en ce qui concerne les opérations de chargement et de déchargement. Le 1er février un accident de travail s’est produit lors d’un transbordement auquel participait Chulga. Malgré les déclarations de la victime, la direction a décidé de faire porter la responsabilité de l’accident sur Chulga, qui a été licencié. Occasion rêvée de se débarrasser d’un « gêneur », alors même que des négociations sont en cours pour le renouvellement de la convention collective - un des points mis en avant par le syndicat portait précisément sur la participation effective du syndicat concernant les problèmes de sécurité et de santé au travail. Suite à ce licenciement illégal (un responsable syndical ne peut pas être licencié sans l’accord du syndicat), 269 travailleurs ont signé un texte demandant la réintégration d’Anatoly Chulga ; en plus, 20 conducteurs de chariots ont signé une pétition demandant le respect des conditions de sécurité. La réponse de la direction a été immédiate et brutale : les travailleurs de plusieurs chaînes ont été convoqués chez le responsable du personnel qui leur a déclaré que les travailleurs temporaires qui ne retireraient pas leur signature de la pétition n’obtiendraient jamais de contrat permanent et qu’ils prenaient le risque de ne pas voir renouveler leur contrat à durée déterminée.
L’UITA de Moscou a lancé une campagne de soutien et de solidarité avec les travailleurs de Nestlé Timachevsk, demandant à ce que la direction revienne sur sa décision de licenciement et ne s’obstine pas à s’immiscer grossièrement dans les affaires du syndicat. Pour s’associer à cette campagne, lettre de protestation à :
– Peter Brabeck Lemathe, CEO Nestlé Fax 00 41 21 924 4549
- Eduardo Agilera, Directeur Général, Nestlé Timachevsk E-mail : <Khladoprodukt.Timashevsk ru.nestle.com
Ou par le site internet de l’IUFA : http://www.iuf.ru/?cat=9&nid=562
Interview de Kirill Buketov, coordinateur régional de l’UITA pour l’Europe Orientale et l’Asie Centrale
M.S. Quels sont les moyens que l’UITA utilise pour aider les syndicats de son secteur à mener leur activité dans les entreprises de Russie ?
K.B. La première chose à dire est que l’UITA propose à tous les syndicats démocratiques du secteur de devenir partie prenante du mouvement international des travailleurs. Cela signifie en premier lieu une solidarité internationale et des contacts avec des organisations sœurs à travers le monde entier. Ces contacts peuvent jouer un rôle vital lors d’un conflit ou à l’occasion de négociations difficiles. L’UITA apporte une aide lors des négociations portant sur la reconnaissance du syndicat et la conclusion d’un accord collectif d’entreprise. Pour ce faire, nous fournissons l’exemple d’un bon accord collectif conclu dans d’autres entreprises de la même multinationale dans d’autres pays. Cela constitue un argument de poids en faveur du nouveau syndicat : la direction de l’entreprise se rend compte que les représentants syndicaux qui s’adressent à elle sont informés et elle ne peut plus invoquer l’argument traditionnel selon lequel toutes les entreprises de la multinationale connaîtraient les mêmes conditions que l’usine russe. Nous préférons agir en premier lieu par les négociations. Parfois, il faut faire une démonstration de force, en lançant des actions collectives pour obliger la direction à négocier. Pour cela il faut que les nouveaux syndicalistes soient capables de résister à cette épreuve de force et que le syndicat en sorte renforcé. Mais il faut agir avec discernement, en tenant compte des conditions particulières pour chaque cas.
Nous nous efforçons d’utiliser les possibilités qu’offrent les comités d’entreprise européens. Ce sont parfois des structures vides, mais ils permettent néanmoins un échange d’information et le poids des syndicats qui en font partie est nettement renforcé. Le problème, La Russie n’étant pas membre de l’Union européenne, les syndicats russes ne peuvent pas participer officiellement à ces structures. De plus, la Russie ne connaît pas la notion de comité d’entreprise. Cependant, nous soulevons régulièrement le problème, et les comités d’entreprise européens sont de plus en plus conscients de la nécessité d’intégrer d’une manière ou d’une autre les syndicats russes. Et il y a une déjà une exception : les syndicats russe de Danone sont représentés dans le comité d’entreprise européen depuis une dizaine d’années. Certains syndicats d’autres multinationales prennent le même chemin.
Enfin, nous cherchons à favoriser l’établissement de liens, surtout horizontaux, entre les syndicats d’une même multinationale, en organisant des rencontres, des séminaires. Le plus souvent, malheureusement, les rencontres ne débouchent pas sur une véritable collaboration horizontale, sans passer par notre intermédiaire. Mais, là encore, il y a des exceptions. Les syndicats du groupe Nestlé ont créé un comité de coordination régional sur toute l’Europe de l’Est et la CEI. La clé de la réussite, c’est quand nous arrivons à agir dans le même sens tous ensemble, l’UITA et les organisations syndicales des entreprises, c.à.d. quand tout ne repose pas sur nous mais qu’il y a un véritable partenariat à égalité. De plus, être membre de l’UITA signifie qu’à tout moment ton organisation peut être sollicitée par une organisation sœur d’un autre pays pour une action de soutien (informations, expertise, solidarité).
M.S. Il y a un fort taux de présence des multinationales dans votre secteur, comment caractérises-tu les conditions de travail et de militantisme syndical dans les multinationales en Russie ?
K.B. Oui, les multinationales sont très présentes. Dans le tabac, par exemple, elles ont racheté presque toutes les entreprises, à l’exception de l’entreprise Donskoï Tabak. Même si toute entreprise cherche à priori à empêcher l’activité syndicale en son sein, il ne faut pas généraliser : les politiques des multinationales varient, et beaucoup d’entre elles ont été forcées de reconnaître les droits syndicaux. Cela dépend pour beaucoup des directions et des syndicats au niveau de l’entreprise. Les pressions exercées sur les syndicats d’entreprise peuvent aller jusqu’au démantèlement du syndicat ; une telle opération a été tentée (mais sans succès) à l’usine Philip Morris en Lituanie et le syndicat a effectivement été démantelé à l’usine Mac Donald de Moscou, ains ique dans les hôtels Varsovie à Moscou et Kempinsky à Saint Petersbourg. D’autres méthodes sont également utilisées : des pratiques discriminatoires envers les syndiqués pour les forcer à quitter le syndicat aux tentatives de jeter le discrédit sur le président du comité syndical et de le remplacer par quelqu’un de moins dérangeant...
Mais, de manière générale, pour ce qui concerne la Russie, le niveau de salaire est plutôt plus élevé dans les multinationales, celles-ci n’achètent que des entreprises rentables, qu’il s’agit de faire tourner (alors que certains entrepreneurs russes n’achètent des usines déficitaires que les démanteler). Quant aux conditions de travail, elles ne sont sans doute pas meilleures qu’ailleurs, mais pas forcément pires non plus.
Paradoxalement, un autre aspect paraît plutôt positif sur le long terme. Face à la politique antisyndicale de la direction mise en place par les multinationales, certains syndicats d’entreprise, traditionnellement inertes, évoluent et se transforment. Parfois la direction du syndicat est renouvelée, comme cela s’est produit dans l’usine de tabac Reemtsla-Volga de Volgograd, avec un leader plus jeune, conscient que l’activité syndicale passe avant tout par la défense des intérêts des salariés, qu’il s’agisse des conditions de travail ou des salaires. L’implantation des multinationales en Russie participe donc également à la transformation des relations de travail. Une série d’enquêtes de la Fédération syndicale moscovite (FNPR) montrent clairement le décalage entre ce que es salariés attendent du syndicat (sécurité de l’emploi, niveau de salaire et conditions de travail en priorité) et les préoccupations premières des responsables syndicaux qui en sont restés à l’ancien système (organisation des loisirs, des vacances et des soins médicaux). On assiste à un processus de prise de conscience, qui conduira forcément à la transformation des syndicats hérités de la période soviétique : soit ils disparaîtront, soit ils seront obligés de changer.
M.S : Quel est ton opinion sur l’incidence du nouveau code du travail, plus de deux ans après son adoption ?
K.B. : Il n’est pas possible de porter un jugement tranché sur le nouveau code. D’un côté, c’est sûr, les droits des salariés et des syndicats ont été réduits. Mais, d’un autre côté, ce code reflète davantage à la réalité des rapports de travail capitaliste. Il faut être clair : c’est un code du travail capitaliste mais qui peut, paradoxalement, entraîner un renouveau syndical, avec le développement de syndicats capables d’affronter le capitalisme.. Les syndicats ne peuvent plus entièrement se reposer sur une législation qui, sur le papier, garantit tout aux travailleurs. Désormais, pour obtenir un accord collectif d’entreprise solide, comportant le maximum de garanties pour le syndicat et les salariés nous devons nous battre. En d’autres termes, le nouveau code du travail force les syndicats à être des syndicats combatifs. Et, comme je l’ai déjà évoqué à propos des multinationales, on observe déjà une certaine évolution des syndicats dans ce sens.
Contact : iufmoscow iuf.ru (Kirill Buketov)
Site Web : www.iuf.ru en russe, www.iuf.org en anglais, allemand, espagnol, français, japonais, suédois.