Chacun des deux candidats à l’élection présidentielle indonésienne s’est déjà proclamé élu... alors que l’annonce des résultats est prévue le 22 juillet seulement. Pour des instituts de sondage, le gagnant est Jokowi, alors que pour d’autres, c’est Prabowo. Les écarts sont serrés alors que 186 millions d’électeurs sont répartis sur plus de 13 000 îles. Des accusations de fraude électorale ont été déclarées avant même que les comptages soient terminés. Aussi l’attente des résultats est tendue.
C’est la quatrième fois qu’ont lieu des élections depuis la fin de la dictature de Suharto en 1998. De gros changements sont intervenus et un processus de réformes démocratiques est toujours en cours. Mais la vie économique et les élections restent entachées de corruption à tous les niveaux. Ainsi, actuellement, le ministre des Affaires religieuses est accusé d’avoir détourné les fonds des pèlerins de la Mecque, tandis que l’ex-président de la cour constitutionnelle est en prison pour des pots de vin lors des dernières élections législatives. Les médias sont contrôlés par des candidats ou des proches des principaux partis. Et si les militaires ne sont plus au premier plan à diriger les entreprises d’État et à influencer directement la vie politique, ils sont représentés au sein des deux coalitions en présence.
La campagne électorale a été marquée par des coups bas, relayés par les réseaux sociaux, la télévision ou par meetings électoraux interposés. Deux tickets se sont donc affrontés, formés d’un président et d’un vice-président : Jokowi-Kalla et Prabowo-Hatta. Chacun est soutenu par une coalition électorale. Actuel gouverneur de Jakarta, Joko Widowo (dit Jokowi) est soutenu par le PDI-P, Nasdem, PKB, Hunara et PD. Son partenaire a déjà été vice-président, et c’est un ancien chef du Golkar, le parti de Suharto. Prabowo Subianto est, lui, soutenu par une coalition qui a fait 52 % des voix aux législatives : Gerindra, PAN, Golkar, PKS, PPP, PBB. Il a donc le soutien des principaux partis musulmans. Son second était encore récemment ministre de l’Économie et chef du PAN.
De la dictature à aujourd’hui...
Prabowo a été chef des forces armées spéciales indonésiennes pendant l’occupation du Timor Leste jusqu’en 2002. Lors des manifestations de 1998 qui ont mis fin à la dictature, il était à la tête de la répression qui y a fait des milliers de morts. Son implication a été dénoncée par les organisations des droits de l’homme ou les familles des disparus.
Durant la campagne électorale, il a proclamé que l’Indonésie doit être « purifiée de son hérésie » : un programme qui a une signification particulière, car sous la dictature, athée était assimilé à communiste. Il a courtisé les voix du Front de défense de l’islam (FPI), connu pour ses violentes attaques contre les minorités chiites et chrétiennes, ses campagnes contre la prostitution et les night-clubs. Ce groupe s’attaque aux militants de gauche et fait de la lutte contre le communisme [1] son principal combat.
Sur l’économie, les deux candidats sont très proches : ils ont un programme protectionniste, à tel point que Prabowo inquiète les « investisseurs » étrangers. Ils veulent tous les deux augmenter les dépenses pour développer les infrastructures. Si Jokowi se veut plus démocrate, il veut réduire les subventions d’essence et de gaz, alors que ce sont des budgets importants pour le transport et la nourriture des familles.
Aussi si l’un des candidats est un danger, cela ne fait pas de l’autre un ami des travailleurs indonésiens.
Christine Schneider