Il n’est pas besoin de revenir ici sur le caractère sordide de la grand-messe de la coupe du monde. Notre journal [« solidaritéS »] a déjà dénoncé le comportement de la FIFA et de l’UEFA, qui avouent leur préférence pour les régimes dictatoriaux, imposent des règles liberticides, s’approprient la majeure partie des profits… Le véritable intérêt de cet événement réside plutôt dans le fait qu’il a suscité et médiatisé de larges mouvements de mécontentement social.
Les deux visages de la croissance
La situation du Brésil après 12 années de gouvernement PT (parti des travailleurs) est ambivalente. Le pays a bien connu une croissance forte, son PIB par habitant ayant dépassé les 12 000 dollars en 2013, ce qui constitue un record pour le pays. De larges couches de la population précarisée (35 à 40 millions) sont venues renforcées la classe moyenne. L’éducation s’est également fortement améliorée : la population universitaire a doublé en dix ans.
Cependant cette croissance ne doit pas faire oublier les problèmes qui marquent encore la société brésilienne. La création d’emplois et l’augmentation des salaires découlant plus de la croissance économique que d’une véritable politique redistributive du PT, la crise actuelle vient mettre à mal ces acquis mal protégés du fait de l’absence d’une telle politique. De plus, les emplois qui ont été créés ces dernières années se situent en grande partie dans le secteur des services, où les conditions de travail restent précaires, marquées par de bas salaires et un renouvellement permanent du personnel, ne garantissant donc pas des emplois à long terme, donnant naissance à un nouveau prolétariat.
On peut également ajouter que la croissance économique n’a en rien supprimé la violence qui marque le pays. Au contraire, cette dernière a augmenté de manière constante ces dernières années. Selon Le Monde, le Brésil possède la triste statistique de voir un meurtre sur dix au niveau mondial être commis sur son territoire, et avec un taux de vingt-neuf homicides pour 100 000 habitants, de se situer à un niveau comparable à celui de la République démocratique du Congo, qui est lui en guerre depuis vingt ans.
Absence de réponse étatique
Face à cette violence et aux nouvelles formes de précarisation, le gouvernement de Dilma Rousseff fait surtout preuve d’inefficacité. Pire, le monde politique brésilien reste marqué par une forte corruption et un gaspillage fréquent. Ces tares, la coupe du monde de football est venue les souligner de manière criante : un budget initial qui explose pour atteindre les onze milliards de dollars ? ; la répression parfois brutale des mouvements démocratiques, etc. L’ampleur des moyens déployés jette un éclairage froid sur le contre-champ de cette coupe du monde. Pourquoi dépenser autant pour des stades alors que cet argent aurait pu être dépensé pour l’éducation, les hôpitaux, les universités, les transports ou les emplois ?
Renouvellement du front social
Ce sont ces questions que se pose à juste titre le peuple brésilien. Plus que de se les poser, il refuse d’être le dindon d’une bien mauvaise farce. Les mouvements de mécontentement ont débuté dès 2012, prenant de plus en plus d’importance jusqu’à réunir plusieurs millions de personnes dans les rues des principales villes brésiliennes en mai 2013. Si le mouvement s’est depuis légèrement tassé, il a permis un renouvellement du front social brésilien. Le gouvernement du PT étant issu des milieux syndicaux et en partie cooptés par ces derniers, les luttes sur les lieux du travail ont eu de la peine à retrouver une posture d’opposition dans un premier temps. Le mécontentement social a remis la nécessité de la lutte au premier plan. Ainsi ces dernières semaines, on a assisté à des mouvements de grève dans les milieux professionnels suite à l’appel de différentes intersyndicales du personnel. Les employés du métro de São Paulo puis des aéroports de Rio ont exigé des augmentations de salaire, l’amélioration des conditions de travail ainsi qu’une prime pour le mondial. Si le gouvernement a d’abord répondu par une répression forte, force est de constater que ces mouvements ont obtenu des victoires partielles. Les employés du métro de São Paulo ont ainsi obtenu l’augmentation de salaire demandée.
Au-delà des milieux syndicaux, la lutte s’est également renouvelée par l’implication d’autres milieux précaires, ceux-là même qui sont les victimes d’une économie de travails temporaires et d’une insuffisance de logements abordables. Parmi eux, on retrouve beaucoup de jeunes, qui ont constitué la majorité des manifestant·e·s. Cette jeunesse refuse d’être une génération perdue : même si de plus en plus de jeunes peuvent obtenir un papier universitaire, cela ne leur permet pas de trouver des postes assurant une sécurité de vie. Ce mouvement composite a lui aussi connu des victoires partielles, le gouvernement ayant du promettre la construction de logements populaires.
Quelle que soit l’issue de ce mondial et même si on peut penser que les luttes connaîtront bien une certaine trêve durant son déroulement, le mécontentement social aura su se faire entendre, profiter de la couverture médiatique à son compte et devra continuer de lutter. Pour peut-être de plus grandes victoires.
Pierre Raboud
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 250 (18/06/2014) p. 5.
Supporters du monde entier unissez-vous !
Mardi 27 mai, une cinquantaine de personnes ont assisté, à Lausanne, à l’allocution de Dirceu Travesso venu spécialement du Brésil pour une tournée de conférences en Suisse. Organisée par le MPS et soutenue par solidaritéS et la Gauche Anticapitaliste, cette soirée a pu mettre en lumière la situation des mouvements sociaux brésiliens à quelques jours de la Coupe du monde de football.
Membre du syndicat Conlutas et représentant de l’Espace unitaire d’action brésilien (qui aura pour but de coordonner les mobilisations durant la Coupe du monde), Dirceu Travesso a présenté les différentes luttes syndicales et sociales dont a été théâtre le Brésil ces derniers mois.
La conférence a permis de rappeler les coûts faramineux que le Brésil doit supporter pour satisfaire aux luxueuses exigences de la FIFA. Les 4,5 milliards de francs suisses initialement prévus sont ainsi passés à plus de 12 milliards. Alors que la population brésilienne réclamait des écoles, des hôpitaux et des transports publics de qualité, elle devra se contenter d’opulents stades de football. Ces mêmes stades où l’on compte parmi les ouvriers déjà une centaine de blessés, dont neuf mortellement, victimes de la cadence effrénée des délais de construction.
A côté de ces stades flambants neufs, le gouvernement du parti travailliste de Dilma Rousseff n’a pas hésité à abattre des favelas entières pour dissimuler la pauvreté hors des projecteurs. Enfin, la palme du cynisme reviendra, sans conteste à Michel Platini (patron de l’UEFA) qui, le mois dernier, a demandé aux Brésiliens : « Faites un effort pendant un mois, calmez-vous ! ». Traduisez : ne revendiquez plus vos droits sociaux ? ; ne manifestez plus ? ; laissez-nous faire notre business !
Dans l’attente d’un « printemps brésilien », il nous faudra focaliser notre attention en dehors des stades de football pour être prêt à mener des actions de solidarité internationale avec le peuple brésilien en lutte. Pour rappel, le siège de la FIFA se situe à Zürich.
Jorge Lemos
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 249 (05/06/2014) p. 5.
En Suisse : Campagne « Des goals contre l’injustice »
CAMPAGNE EN SUISSE AVANT LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL AU BRÉSIL
Du 6 au 15 mai, E-CHANGER lancera, dans 8 villes suisses (dates en p. 20), sa campagne « Des goals contre l’injustice », juste avant le début de la Coupe du Monde de football au Brésil.
Cette campagne a pour objectif de susciter une réflexion sur la signification et l’impact de cet événement sportif gigantesque. Le Mondial, qui aura lieu du 12 juin au 13 juillet 2014, a été critiqué en raison de ses répercussions économiques, sociales et écologiques. Pour les contribuables brésiliens, son coût ne représentera pas moins de 12 milliards de dollars et, pour des milliers de personnes, l’événement sera synonyme d’expulsion de leur foyer afin de permettre la construction de plusieurs stades.
En Suisse, la campagne comprend des activités publiques à Fribourg, Neuchâtel, Lausanne, Genève, Berne, Sierre, Thoune et Bulle : débats, parties de football de rue, activités musicales, colloques avec des étudiants, etc. (liste complète sur www.e-changer.ch)
Pour animer cette campagne, Des goals contre l’injustice, les deux invités principaux seront : Sergio Haddad, directeur de l’ONG Ação Educativa (São Paulo, Brésil) et co-organisateur du championnat du monde de football de rue, qui aura lieu dans cette ville en juillet 2014 ; Celia Alldridge, coordinatrice d’E-CHANGER au Brésil et militante de la Marche mondiale des femmes.
Le football de rue est une pratique nouvelle, réunissant déjà plus de 600 000 enfants et jeunes du monde entier et se déroulant en trois temps, avec des équipes mixtes, filles et garçons, ainsi que des règles spécifiques discutées préalablement entre joueurs. Le football de rue se base sur les principes de l’éducation populaire et encourage une vision pédagogique et différente de ce sport.
Notre campagne est soutenue par plusieurs organisations partenaires. Parmi celles-ci, les Fédérations vaudoise et genevoise de coopération, Fribourg Solidaire, Brésil de demain, le CETIM, la Haute Ecole de travail social (Valais), Novo Movimento, Gemeinsam gegen Rassismus (Berne), le Kultur und Politzentrum Akut (Thoune), certains collèges de Bulle, Genève et Fribourg, le groupe de musique « Tres Mundos », ainsi que plusieurs représentant·e·s des autorités municipales des villes-hôtes de la campagne.
E-CHANGER – membre de l’Alliance COMUNDO – est présent depuis 20 ans au Brésil. Durant cette période, environ 70 coopérant-e-s ont travaillé dans ce pays sud-américain. Actuellement, une quinzaine d’entre eux y sont actifs.
Sergio Ferrari
Céline Pellissier
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°247 (29/04/2014) p. 4.