Les élections législatives viennent d’avoir lieu, les présidentielles vont suivre. C’est la quatrième fois qu’ont lieu des élections depuis la fin de la dictature de Suharto en 1998. Depuis 15 ans, de gros changements sont intervenus ; un processus de réformes démocratiques a eu lieu et il est toujours en cours. Mais la vie économique et les élections restent entachées de corruption. Les médias restent contrôlés par des candidats ou des proches des principaux partis. Si les militaires ne sont plus au premier plan à diriger les entreprises d’Etat et à influencer directement la vie politique, ils sont représentés au sein des différents partis en présence. L’un d’entre eux, Prabowo Subianto, sera d’ailleurs peut-être le futur président d’Indonésie. Ce qui inquiète les organisations des droits de l’homme et les militants.
Quels résultats pour les élections législatives ?
Ce sont des élections à grande échelle : plus de 186 millions d’électeurs répartis sur plus de 17 000 îles parlant 735 langues, 235 000 candidats. Les élections législatives ont eu lieu le 9 avril 2014. La participation aurait été de plus de 70%. Les résultats des votes ont été publiés à la mi-mai. Ce sont 560 sièges qui ont été attribués à la Chambre des Députés (DPR) ainsi que ceux des Conseils Législatifs locaux (DPRDs).
Douze partis se sont présentés à l’échelle nationale et trois à l’échelle régionale, notamment dans la province d’Aceh. Certains de ces partis sont musulmans et sont fondés sur des bases religieuses [1], alors que d’autres veulent se présenter d’abord comme des partis nationalistes avant d’être religieux. Il faut rappeler que si la population indonésienne est en majorité musulmane, la majorité religieuse dans certaines îles peut ne pas l’être. Les principes de fondation de l’Indonésie (Pancasila) permettaient, entre autres, la liberté religieuse, même si la dictature leur a donné d’autres significations [2].
Concernant les résultats globaux, le Parti démocrate de l’actuel président Susilo Bambang Yudhoyono a pâti des affaires récentes de corruption. Gerindra, le parti d’un ancien chef des forces armées, a augmenté son score et son influence. Le PDI-P, parti de Megawati Sukarnoputri, la fille de Sukarno [3], est redevenu un parti important électoralement, mais sans atteindre le seuil électoral lui permettant de se présenter à la présidentielle seul.
Les principaux partis de la bourgeoisie indonésienne se sont partagé les sièges. C’est le Parti démocratique indonésien de la lutte (PDI-P), qui a remporté 18,95% des voix avec 109 sièges, suivi du Golkar, l’ancien parti de Suharto pour 14,75% des voix et 91 sièges, suivi du Parti du Grand Mouvement indonésien (Gerindra) avec 11,81% et 7 sièges. Viennent ensuite le Parti démocrate (PD), de l’actuel président indonésien, trois partis musulmans : le Parti de l’Eveil national (PKB), fondé par Gus Dur, premier président après la dictature et partisan d’un islam modéré, le Parti du Mandat national (PAN) d’Amien Rias, défenseur des réformes de 1998 et le Parti de la Justice et de la Prospérité (PKS), les Sociaux-Démocrates (NASDEM), le Parti du Développement unifié (PPP), le Parti de la Conscience du Peuple (Hanura), fondé par Wiranto, ancien commandant en chef de la police et le Parti de l’Etoile montante (PBB), un parti islamiste modéré soutenu par le PRD en 2009 [4].
La campagne électorale des législatives a souffert comme d’habitude de corruption : distribution d’argent, d’alcool, offre de motos à des agents électoraux. Plus de 870 plaintes ont été déposées pour fraude électorale. Certains candidats ont fait appel à des prêcheurs, des chanteurs de dangdut [5]. Des médias appartiennent à des candidats qui ont leur propre télévision. Certains sont candidats aux législatives pour faire prospérer leur propre business et certains hommes politiques se sont retrouvés devant la justice pour rendre compte d’affaires de pots de vin, notamment le porte-parole du parti du président. Encore récemment, c’est le ministère des Affaires religieuses, du PPP, qui est accusé d’avoir détourné des fonds des pèlerins de la Mecque.
La campagne pour les élections présidentielles : 2 candidats en lice dont un ancien militaire
Les élections présidentielles auront lieu le 9 juillet. Les candidats se sont annoncés le 20 mai. Le président actuel a déjà fait deux mandats, cela l’empêche de se représenter. La loi électorale demande qu’un candidat à la présidentielle doit être soutenu par un parti ou une coalition représentant 20 % des sièges à l’assemblée nationale ou 25% des suffrages exprimés. Les alliés d’hier sont devenus concurrents d’aujourd’hui. C’est peut-être la seule chose qui change.
Aujourd’hui, ce sont deux couples de candidats (formés d’un président et d’un vice-président) qui s’affrontent : Jokowi-Kalla et Pradowo-Hatta.
Joko Widowo (Jokowi) est l’actuel gouverneur de Jakarta, soutenu par une coalition électorale formée du PDI-P, Nasdem, PKB, Hunara et du PD. Son partenaire, Jusuf Kalla, a lui-même déjà été vice-président et c’est un ancien chef du Golkar, le parti de Suharto.
De l’autre côté, Pradowo Subianto est un ancien commandant en chef des forces armées, soutenu par une coalition ayant fait 52% des voix (Gerindra, PAN, Golkar, PKS, PPP, PBB). Il peut espérer obtenir une partie de l’électorat musulman. Il forme avec Hatta Rajase, encore récemment ministre de l’Economie et chef du PAN, l’autre ticket.
Si la coalition de Jokowi ne représente que 37% des votants aux législatives, c’est pourtant lui qui semble favori pour les sondages. Il est populaire parmi des anciens militaires du Golkar et du PAN. Le ralliement du chef du Golkar, par ailleurs millionnaire, à son adversaire a été un retournement incompris des adhérents de base.
Pradowo Subianto est l’ancien chef des forces armées spéciales indonésiennes (KOPASSUS), au Timor Leste. Il s’agit d’une ancienne colonie portugaise, envahie en 1975 et annexée par l’Indonésie, qui a finalement acquis son indépendance. En 1983, il était à la tête de la répression qui y a fait des milliers de morts ou disparus. En 2006, il a été sous le coup d’une enquête pour tortures et mauvais traitements dans son unité. A deux reprises, il s’est vu refuser un visa d’entrée aux Etats-Unis pour son rôle dans les enlèvements d’étudiants, les tortures et les 13 militants pour la démocratie disparus lors des mouvements de 1998 qui ont abouti à la fin de la dictature. Il a reconnu son implication mais n’a jamais été devant une cour de justice civile.
En ce qui concerne les droits humains, il proclame que l’Indonésie doit être « purifiée de son hérésie ». Un programme qui a une signification particulière en Indonésie : sous la dictature de Suharto, athée était assimilé à communiste. Il courtise les voix du Front de Défense de l’Islam (FPI), connu pour ses violentes attaques contre les minorités Ahmadiyah, chiites et chrétiennes, ses campagnes contre la prostitution et les nightclubs. Il s’attaque également aux militants de gauche en ayant fait de la lutte contre le communisme [6] – ou ce qui y ressemble – son principal combat.
Sur les droits humains, Jokowi déclare vouloir protéger contre l’intolérance, la discrimination, la violence ceux qui sont différents. Il dit vouloir faire la lumière pour résoudre les cas des enlèvements de 1998 et les meurtres de masses anti-communistes de 1965. Il fait des promesses sur les droits des peuples indigènes, car il est soutenu par l’Alliance des Peuples indigènes. Va-t-il pour autant se mettre à dos la base du Golkar qui le soutient et notamment les 35 anciens généraux à la retraite ? Va-t-il soutenir les droits du peuple Papou à l’autodétermination ? Va-t-il défendre les populations victimes de l’exploitation des ressources minières et de la surexploitation des forêts indonésiennes ? On en est loin.
Sur l’économie, ils prétendent tous les deux assurer à l’Indonésie une croissance entre 7 et 10%, digne des pays émergents. Ils ont un programme nationaliste et défendent les capitalistes locaux. Ils veulent augmenter les dépenses pour développer les infrastructures. L’un Jokowi veut réduire les subventions d’essence et de gaz, alors que ce sont des budgets importants de transport ou de nourriture pour les familles. Il prône une indépendance alimentaire sur la production du riz. Il défend un programme d’une industrie nationale contre le libéralisme « incompatible avec la nation indonésienne ».
Tous deux devront prendre des décisions concernant le moratoire sur l’exploitation des forêts indonésiennes et l’exploitation du sol par des compagnies étrangères. Il faut rappeler que pendant la dictature, l’armée possédait ou administrait des entreprises. La crise économique de 1998 avait obligé l’Indonésie à suivre les recommandations du FMI et a privatiser les entreprises. En 2004, le parlement indonésien avait voté une loi enjoignant l’armée de remettre au gouvernement les entreprises dans lesquelles elle avait intérêts. Qu’en est-il exactement aujourd’hui ?
Concernant le soutien des grandes organisations syndicales, Jokowi a reçu le soutien de l’organisation syndicale proche du PDI-P, la KSPSI. Alors qu’il a réprimé les mouvements des travailleurs en 1998, Prabowo lui a reçu le soutien du secrétaire de la confédération des syndicats des travailleurs indonésiens. Les mauvaises langues disent que ce serait en échange d’un poste de ministère du Travail. Mais cela est très inquiétant, alors que le mouvement ouvrier indonésien est en train de se reconstruire et s’est mobilisé pour l’augmentation du salaire minimum.
Christine Schneider, le 15 juin 2014