Dans le zocalo (« centre-ville ») d’Oaxaca se dressent des barricades et des tentes occupées jour et nuit par des hommes, principalement des maîtres d’école, qui, il y a peu, réclamaient pacifiquement des certificats d’études pour leurs élèves et une hausse des salaires. Depuis la charge policière meurtrière (huit morts, quinze disparus et des centaines de blessés) du 14 juin, lancée sur leur campement à la demande du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, ils veulent le départ de ce dernier. Ils ont été rejoints par la majorité de la population qui, régulièrement, leur apporte des vivres et les aide à tenir le siège. Mais quelle menace représentent-ils vraiment pour le régime ? Pourquoi leur imposer le silence de façon aussi violente ?
Quelques témoignages pris sur le vif suffisent peut-être à comprendre... Suzanna, présidente de l’Association de défense des droits de l’Homme, participant au campement, raconte : il y a dix ans son mari a disparu, après avoir été torturé. Elle, son nouveau-né sur le dos, a cherché son corps pendant deux mois pour pouvoir l’enterrer. Pas question d’attendre l’aide de la police, qui n’a fait suivre aucune de ses plaintes. Aucune enquête n’a été menée. Des disparitions comme celle-ci, Suzanna en a recensé plus d’une centaine depuis. Désormais, sa vie consiste à combattre l’injustice et la corruption qui gangrènent le pays. L’expérience de Sofia est tout aussi tragique : en mai 2006, lorsque le soulèvement de la population d’Oaxaca n’en était qu’à ses débuts, une de ses amies a été nommée déléguée de son barrio (« quartier ») pour demander devant l’assemblée populaire du peuple d’Oaxaca (Appo) qu’on installe l’eau courante encore absente dans cette partie de la ville. Quinze jours plus tard, elle était arrêtée et emprisonnée.
L’histoire d’Oaxaca, c’est donc l’histoire méconnue d’une ville où le simple exercice du droit d’expression met en danger sa propre vie et celle de ses proches. Mais le droit d’expression y existe-t-il seulement ? À en juger par le mutisme de la presse locale et nationale, la censure est omniprésente. Le seul moyen de communication dont disposent les habitants d’Oaxaca est la radio de l’université, que les étudiants occupent malgré les raids lancés régulièrement par la police pour récupérer cette base stratégique. Devant cet état de non-droit, l’insurrection prend de l’ampleur, la ville est désormais bloquée. Le vent de la Commune soufflerait-il sur le Mexique ? En tout cas, la situation d’Oaxaca nous montre que le mécontentement de la population, qui s’est manifesté lors de l’élection présidentielle, possède des racines profondes.
Correspondants
Encart
Rôle clé des maîtres d’école
Les maîtres d’école de l’État d’Oaxaca constituent le véritable moteur du mouvement. Chronologiquement, puisqu’ils ont initié le mouvement par leurs revendications et qu’après l’extension du mouvement, le 14 juin, ils semblent avoir gardé un rôle prépondérant. Quantitativement, puisque 50 à 90% des activistes occupant la place centrale d’Oaxaca sont maîtres d’école.
70000 maîtres d’école travaillent dans l’État d’Oaxaca, pour un salaire d’environ 360 euros par mois. Leurs conditions de travail, pénibles, les a amenés à exiger l’ajustement de leurs salaires au niveau de leurs collègues des États du Chiapas et du Tabasco, l’amélioration des conditions de l’enseignement, le financement minimum des écoliers (vêtements, nourriture).