Dans les jardins publics du quartier populaire de Canillejas, dans le nord-est de Madrid, plusieurs centaines de personnes se pressent devant l’estrade où les candidats du nouveau parti politique Podemos (« Nous pouvons ») exposent leur programme pour les élections européennes. Il est 19 heures, ce jeudi 15 mai, et la date n’est pas anodine. Madrid célèbre le troisième anniversaire du mouvement des « indignés » qui, le 15 mai 2011, avait rempli les places publiques du pays d’Espagnols se plaignant des lacunes du système démocratique, clamant aux politiques « No nos representan » (« Vous ne nous représentez pas ») ou dénonçant le pouvoir des banques et des marchés financiers. Podemos, dont le slogan propose de « transformer l’indignation en changement politique », est directement issu du « 15M ».
Le programme de Podemos résume les revendications de la rue : lutte contre la corruption, croissance, emplois, restructuration de la dette publique qualifiée d’« illégitime », fin des expulsions immobilières, interdiction des délocalisations hors de l’Europe, etc. Né il y a seulement deux mois, il récolterait, selon le sondage du Centre de recherche sociologique, un siège au Parlement européen.
« L’EUROPE EST GOUVERNÉE PAR DES ABSOLUTISTES »
En Espagne, les élections européennes devraient marquer le recul du Parti populaire (PP, droite au pouvoir) et Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui cumuleraient 65 % des voix contre 80 %, en 2009. La Gauche unie (IU, écolo-communistes) en profiterait particulièrement, à laquelle les sondages attribuent entre 9 % et 11 % d’intention de vote et 5 à 7 sièges (3,7 % et 2 sièges en 2009).
Les électeurs socialistes n’ont pas pardonné à l’ancien chef du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero le tournant de la rigueur de 2010, qui a fait naître l’idée que le PP et le PSOE étaient, en fait, les deux faces d’une même pièce de monnaie et que l’Espagne et l’Europe étaient de « fausses démocraties », gouvernées par les marchés financiers.
« L’Europe est gouvernée par des absolutistes et nous allons être leurs sans-culottes », avait résumé en mars, lors du lancement de Podemos, son chef de file, Pablo Iglesias, 36 ans, ancien sympathisant d’IU, professeur de sciences politiques à l’université Complutense et invité fréquent des plateaux de débats télévisés.
Ses candidats, du chercheur au chômeur, en passant par l’ancien procureur anticorruption Carlos Jimenez Villarejo, se sont engagés à ne percevoir que trois fois le salaire minimum espagnol, soit 1 900 euros. Le reste (le salaire d’un député européen est d’environ 8 000 euros brut) devrait être versé au parti ou à des ONG.
« PAS UNE COLONIE DE L’ALLEMAGNE »
Le 8 mai, M. Iglesias a fait campagne à Berlin, à la rencontre des « exilés de la crise », ces milliers de jeunes contraints, pour trouver un emploi, de quitter l’Espagne, où le chômage des moins de 25 ans dépasse les 50 %. « Nous ne pouvons pas être une colonie de l’Allemagne », s’est-il insurgé. Pour lui, « le débat n’est plus entre gauche et droite, mais entre caste politique et citoyens ». Son discours a fait mouche, en particulier sur les réseaux sociaux. Près de 100 000 personnes ont donné, sur Internet, leur aval pour qu’il se présente aux élections européennes.
Podemos n’est pas le seul à tenter de recueillir le vote de l’indignation. Avec comme tête de liste l’informaticien franco-italien Hervé Falciani, à l’origine des révélations sur les comptes de milliers de clients de la banque HSBC Suisse, le Parti X a fait de la lutte contre la corruption et pour la rénovation de la démocratie ses principaux chevaux de bataille.
Ces deux thèmes sont aussi au cœur du programme du juge Elpidio Silva, à l’origine du parti RED (Rénovation démocratique citoyenne). M. Silva est connu pour avoir ordonné l’incarcération de l’ancien président de la caisse d’épargne Caja Madrid Miguel Blesa, dans le cadre d’une affaire de corruption présumée. Une incarcération qui lui a valu d’être déchargé de l’affaire et accusé d’abus de pouvoir.
Sandrine Morel (Madrid, correspondance)