A l’attention des candidats français à l’élection européenne du 25 mai 2014.
Accords de libre échange : Droit de propriété intellectuelle sur les semences ou souveraineté alimentaire, les parlementaires européens doivent choisir
En tant que candidat à un poste de député européen, vous pourrez bientôt être amené à travailler sur un accord de libre échange entre l’Union Européenne et d’autres pays ou régions du monde. Les accords de ce type déjà existant ou en cours de négociation couvrent de nombreux enjeux et ne doivent pas être compris comme de simples traités de libre échange. Ils sont bien plus que ça : ce sont des traités économiques et commerciaux intégraux [1] qui incluent des volets sur les investissements, les marchés publics, la propriété intellectuelle, la santé, l’environnement etc.
Nos organisations souhaitent attirer votre attention sur un de ces enjeux, encore peu présent dans les débats, mais qui concerne les bases de la souveraineté alimentaire et de l’agriculture. Il s’agit des questions de droit de propriété intellectuelle sur les semences et le monde végétal de manière générale.
Le traité de libre-échange entre les États-Unis et l’UE préoccupe fortement en Europe et aux États-Unis. On parle moins de l’accord entre le Canada et l’UE (AECG). Pourtant le 18 octobre dernier, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Stephen Harper, Premier ministre du Canada, ont annoncé sa conclusion : il doit désormais être ratifié par les futurs eurodéputés.
Malgré l’opacité des négociations et le fait que le document ne soit pas public, des fuites nous permettent de savoir que le projet de texte de l’AECG comprend un important volet sur les droits de propriétés intellectuelles et impacte par conséquent le droit des paysans à utiliser leurs propres semences. Ce modèle d’accord est reproduit de traité en traité, tant qu’aucun frein n’y est mis. Vous avez le pouvoir de le stopper.
- Une perte de contrôle démocratique et institutionnel accrue
Tout d’abord, il est important de rappeler qu’en 2011 le Parlement Européen a rejeté l’ACTA (Accord Commercial Anti- Contrefaçon). Ce projet renforçait l’application des droits de propriété intellectuelle et la collaboration des États dans la lutte contre les contrefaçons en les mettant directement au service des entreprises. Or, ces clauses refusées par le Parlement Européen se retrouvent dans les accords de libre-échange discutés en ce moment !
En parallèle, le contexte européen général a évolué. En effet, la création d’une juridiction unifiée du brevet européen pose la question de la place du contrôle démocratique dans le domaine de la propriété intellectuelle. Cette juridiction dépend en effet d’un accord international totalement séparé et indépendant des institutions de l’Union Européenne. Par conséquent, quand l’accord de libre échange entre le Canada et l’UE mentionne « l’autorité juridique compétente » pour imposer les mesures de respect de la propriété intellectuelle, il s’agira, pour les brevets européens, de cette nouvelle cour de justice.
Ces traités doivent également être analysés dans le contexte de la brevetabilité des plantes sélectionnées par des techniques de modification génétique « non naturelles » et différentes de la transgenèse (la mutagénèse par exemple). Comme toute plante, ces dernières peuvent se reproduire et « contaminer » le champ de l’agriculteur qui devient alors contrefacteur d’un droit de propriété intellectuelle. A cela s’ajoute la pratique de l’Office Européen des Brevets, autorité régionale de délivrance des brevets, qui accorde illégitimement un nombre croissant de brevets sur les plantes, les animaux et d’autres organismes vivants issus de méthode de sélection traditionnelle.
- En pratique : une remise en cause de « l’exception agricole et alimentaire » obtenue partiellement dans la loi française contre les contrefaçons
Depuis le 26 février 2014, la Loi de lutte contre les contrefaçons reconnaît en France une « exception agricole et alimentaire » partielle qui exclue les semences de ferme de son champ d’application [2]. Les dispositions actuelles du projet d’accords de libre échange UE/Canada remettent en cause cette avancée. En effet, tout accord international s’impose au droit national. On l’a expérimenté récemment en Colombie : en application des accords de libre échange avec les États-Unis, l’État colombien a du appliquer strictement, sous la pression de Monsanto, le respect des Certificats d’Obtention Végétale (COV) ce qui a mené en pratique à la destruction massive de récoltes issues de semences produites à la ferme.
De la même manière, si Monsanto Canada veut dénoncer une contrefaçon par rapport à un COV sur une semence vendue/utilisée en France, les clauses sur la propriété intellectuelle des accords de libre échange peuvent prévaloir. L’exception de la loi française ne vaudra plus rien. En outre, même en cas de dénonciation du traité par l’Union européenne ou par le Canada, Monsanto pourrait, 20 ans après la date de dénonciation, accuser la France d’avoir provoqué un manque à gagner et demander des dédommagements avec intérêts cumulés !
Suivant le modèle d’accords précédents, les accords de libre échange UE/Canada comprennent un ensemble de mesures draconiennes obligeant les acteurs économiques à respecter les droits de propriété intellectuelle :
• un agriculteur accusé d’être frauduleusement en possession de semences d’une variété protégée par un COV ou contenant un caractère breveté pourrait ainsi voir ses biens saisis et ses comptes bancaires gelés (art 18.3 du projet AECG)
• sans que l’agriculteur ne soit nécessairement entendu, les autorités judiciaires compétentes (y compris la juridiction internationale sur le brevet unitaire européen) peuvent, sur une simple présomption de contrefaçon, saisir sa récolte, ses semences, ses machines et sa comptabilité (art 16.2).
• si l’agriculteur est reconnu coupable, sa récolte, les semences et les outils agricoles pourront être détruits (art 19.1) à ses frais (art.19.2).
• des injonctions pourraient être émises afin de prévenir une infraction (art 20). En pratique, cela concerne les trieurs à façon ainsi que tout acheteur de récoltes issues de semences de ferme considérées comme des contrefaçons. En l’absence de preuves formelles de la provenance des semences utilisées, ils pourraient être soupçonnés de recel de contrefaçon (art 18 1,2,3). L’autorité judiciaire pourrait alors l’obliger à faire cesser cette situation.
Le chapitre Droit de propriété intellectuelle de l’accord de libre échange entre Canada et Union Européenne aboutirait ainsi à un climat de peur et de suspicion où chacun pourra craindre d’être dénoncé comme contrefacteur (art 17). Travailler sur sa propre sélection et production de semences à la ferme deviendra ainsi très compliqué. Le paysan sera amené à acheter davantage de semences afin d’éviter ainsi toute présomption de contrefaçon. Dans le cadre du débat sur la loi française contre les contrefaçons, plusieurs d’entre nous ont déjà dénoncé les conséquences inacceptables de ce type de mesures et ont été en partie entendus par les parlementaires français.
La position du prochain Parlement Européen sur l’accord de libre-échange Canada/UE sera donc décisive pour les enjeux liant droit de propriété intellectuelle et semence, base de notre agriculture et de la souveraineté alimentaire. Nous ne pouvons pas accepter que cet accord remette en cause le processus démocratique européen (rejet d’ACTA par le parlement européen en 2011) et national (Loi contrefaçon française). Nous refusons d’accepter que les traités de libre échange bradent les droits des agriculteurs au profit des profits de l’industrie semencière. C’est une des nombreuses raisons pour laquelle nous vous demandons d’annoncer, avant le vote du 25 mai, que vous rejetterez cet accord lorsqu’il sera présenté au Parlement Européen.
Nous vous remercions par avance de vous engager à refuser ces Accords de libre échange afin de répondre à ces enjeux majeurs et vous prions de recevoir l’expression de notre haute considération,
Listes des signataires : FNAB, OGM Dangers, Bio Consom’acteurs, Attac, Chrétiens dans le Monde Rural – CMR, FIAN, Réseau Semences Paysannes, Les Poissons Roses, Confédération Paysanne, Fédération Nature & Progrès, Solidaires Douanes, FNCIVAM, Amis de la Terre, CNDSF, Fédération Nationale Accueil Paysan, Fondation Sciences Citoyennes, AITEC, Artisans du Monde, Syndicat Simples, Demeter France, MIRAMAP, Agir Pour l’Environnement, GIET
Avec le soutien de : (en région) Bio Consom’acteurs PACA, Filière Paysanne, Consommateurs pas Cobayes, UDB - Union Démocratique Bretonne, Bio de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’Union Nationale des Fermiers du Canada
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