Tournant ou accélération ? Changement de cap ou simple coming out ? La portée des déclarations du 14 janvier ne doit en tout cas pas être sous-estimée. La « politique de l’offre », cela signifie : rien pour les salariés sauf l’austérité, tout pour les patrons avec pour objectif premier de restaurer leurs taux de profit. En la revendiquant, Hollande a renoncé ouvertement à toute velléité de se distinguer tant soit peu du néolibéralisme dominant. Et pas seulement dans le discours.
Gattaz, président du Medef, s’est aussitôt « félicité » du pacte de responsabilité. Il y a de quoi ! La suppression des cotisations finançant les allocations familiales, 5,25 % des salaires bruts, 35 milliards d’euros par an, était en effet une revendication historique du patronat. Chirac et Sarkozy n’avait offert que de bonnes paroles. Hollande, lui, passe aux actes.
Le financement de la branche famille de la sécurité sociale serait donc transféré à la charge de l’Etat, grâce à la réalisation de nouvelles « économies ». Traduire : de nouvelles coupes sévères dans les services publics et toujours plus d’austérité pour leurs salariés. C’est ainsi que se matérialisera le hold-up réalisé sur la part différée des salaires. Même si c’est aussi quelque chose que le gouvernement devra imposer, ce qui ne manquera pas de produire des résistances.
Au-delà du contenu précis des mesures (pour une part, encore inconnu), c’est une véritable alliance politique qui vient d’être scellée entre le gouvernement et le Medef. Car leur accord concerne à la fois le fond et la forme. Gattaz a proclamé qu’avec le pacte de responsabilité, Hollande n’avait fait que reprendre ce que lui-même lui avait « apporté sur un plateau », dès le mois de novembre, sous le nom de « pacte de confiance ». On comprend le désarroi de la droite, réduite à protester qu’on lui a volé ou contrefait son programme.
Pourquoi maintenant ?
Dans le flot des commentaires, certains se sont cependant demandé pourquoi Hollande avait tant tardé à s’affirmer « social-démocrate » (à la Schroeder !) par opposition, soi-disant, à « socialiste » (il y a belle lurette que pour ces gens-là, ces mots ne veulent plus dire grand-chose).
Disons qu’il a d’abord observé une certaine prudence, en tâtant le terrain et en commençant à exercer ses muscles. Avoir réussi à faire passer l’ANI, puis la contre-réforme des retraites, sans rencontrer de résistance majeure lui a donné confiance pour passer à une nouvelle phase, supérieure. Les travailleurs, le mouvement social ne seront pas, croit-il, en condition d’y faire obstacle. En grande partie, il faut le dire, grâce à la modération et la bonne volonté dont font preuve les principales directions syndicales.
La vérité est que les gages donnés sont sérieux – et répétés. La déclaration commune CFDT-CFTC- CGT-FSU-UNSA du 25 novembre 2013 mettait déjà en son centre la poursuite du « dialogue social (…) dans les entreprises comme dans les secteurs d’activités, les territoires et au niveau national. » Celle du 14 février indique que « les organisations signataires » (CFDT-CGT-FSU-UNSA) « porteront ces revendications et objectifs communs lors des discussions qui se dérouleront dans le cadre du pacte de responsabilité », autrement dit qu’elles acceptent de s’intégrer dans le plan Gattaz-Hollande. En ajoutant que leurs « priorités communes en matière d’action pour la pérennité et le développement de l’emploi » sont « à l’image de ce qui s’est fait en Bretagne » ! Où, déjà, elles avaient soutenu un « pacte » ne comportant rien en termes de lutte contre les licenciements (mais beaucoup pour le soutien aux « entreprises » c’est-à-dire aux patrons).
Opposition de gauche ?
La brutalité des nouvelles attaques en préparation nécessite plus que jamais l’action commune de toutes les forces – politiques, syndicales, associatives – prêtes à s’y opposer. De ce point de vue, la déclaration du bureau national du Parti de gauche titrée « Construire l’opposition de Gauche » (avec la majuscule) pourrait être considérée positive.
Sauf que la dite opposition n’y est décrite qu’en termes électoraux et institutionnels. Sa traduction, ce seraient les listes Front de gauche aux municipales, avec mention spéciale pour les 70 accords passés avec EELV (et quelques socialistes aussi) [1]. Les luttes ne sont quant à elles évoquées que comme un appendice, tandis que le PG ne trouve pas un mot pour condamner la politique du « dialogue social ».
Une opposition de gauche digne de ce nom, ce serait autre chose. Elle commencerait par impulser un grand front de lutte unitaire en défense de la protection sociale, des services publics, des salaires et des postes de travail – tous menacés aujourd’hui par le gouvernement PS-Medef. Et elle se donnerait pour tâche d’encourager, aider l’auto-organisation des salariés en lutte, dont le développement devient indispensable au moment où tant de politiques syndicales constituent, dramatiquement, des freins et non des outils pour la mobilisation.
Jean-Philippe Divès