« Nous demandons à la vénérable justice française et aux ONG françaises de poursuivre Total pour corruption », écrit sur sa page Facebook Tawakkol Karman [1], la militante yéménite qui a reçu en 2011 le prix Nobel de la paix pour son engagement contre l’ex-dictateur Ali Abdallah Saleh. « Total et ses associés volent le gaz yéménite en évaluant son prix à 10 % seulement du prix mondial et en ne reversant que 21 % de cette somme à l’Etat yéménite », affirme-t-elle.
Tawakkol Karman a également organisé une manifestation (vidéo mise en ligne par Al-Jazira [2]) le 6 février à Sanaa, avec pour slogan « Le peuple veut la fin de la corruption ». Le journal yéménite Maareb Press [3] explique que cette campagne s’inscrit dans « la relance de la lutte pacifique » des forces révolutionnaires, qui essaient de se remobiliser autour de la lutte contre la corruption.
Les révolutionnaires estiment en effet que, depuis le départ du président-dictateur Ali Abdallah Saleh en février 2012, rien n’a fondamentalement changé et que les mêmes réseaux d’intérêt continuent de contrôler le pays.
« Libérer les champs de pétrole »
« Le gouvernement actuel [sous la présidence par intérim de Abd Rabbo Mansour Hadi] serait incapable de faire quoi que ce soit pour changer la manière dont sont redistribués les revenus du pétrole. Les règles de partage avaient été fixées par l’ex-président Saleh et le chef de la tribu Al-Ahmar », la puissante tribu du Nord proche de l’ex-président avant de se rapprocher du pouvoir actuel, écrit le journal Aden Al-Ghad [4].
Le journal sud-yéménite accuse les forces politiques du Nord d’avoir « mis la main sur les richesses du Sud à partir de 1994 », quand le Nord avait vaincu les velléités sécessionnistes du Sud. Or, prédit-il, « le mouvement populaire se poursuivra jusqu’à la libération des champs de pétrole au bénéfice des habitants du Hadramaout, afin que ceux-ci puissent renégocier de nouveaux contrats ».
Cette dénonciation de la corruption semble se transformer ces derniers jours en véritable french bashing. Ainsi, le journaliste yéménite proche des révolutionnaires Abdallah Daubalh écrit dans Yémen News [5] : « On ne peut blâmer ni Total ni l’ex-dictateur Saleh. Il est dans leur nature de se comporter comme des voleurs. [...] En revanche, quand Total et la France refusent obstinément les demandes répétées du gouvernement yéménite de renégocier le prix du gaz, on a clairement affaire à des ennemis. En outre, la France se serait opposée à des sanctions [visant à geler les avoirs d’hommes politiques issus de l’ancien régime yéménite, dont Saleh lui-même] au Conseil de sécurité des Nations unies, bloquant ainsi la transition politique au Yémen. En revanche, la justice française ouvre une enquête contre Yemenia Airway, accusée d’être responsable de l’accident d’avion aux îles Comores en 2009 [qui a fait 152 morts, dont beaucoup de Français]. C’est quelque chose d’habituel de la part d’un pays colonialiste comme la France. Ce qui est nouveau, c’est que nous découvrons que les colonialistes ne changent jamais et qu’ils resteront toujours de sales voleurs. »
Philippe Mischkowsky