Des élections législatives viennent de se tenir au Bangladesh. Elles ne mettront pas un terme à une crise multiforme qui s’avère chaque année plus aiguë.
Crise politique. Au pouvoir depuis 2008, la Ligue Awami a emporté 80% des sièges au scrutin législatif du 5 janvier ; la première ministre sortante, Sheikh Hasina, reste en fonction. L’opposition menée par le Parti nationaliste du Bangladesh allié aux islamistes, l’a boycotté et n’en reconnait pas le résultat (le BNP a lui aussi pour figure de proue une femme, Khaleda Zia, ex-première ministre). L’Union européenne, les Etats-Unis et le Commonwealth ont pris leur distance avec le régime en refusant d’envoyer des missions d’observation de la campagne électorale durant laquelle quelque 150 personnes ont été tuées. Les violences politiques ont marqué toute l’année 2013, avec probablement 500 morts, bilan annuel le plus élevé depuis l’indépendance.
Traditionnellement au Bangladesh, un gouvernement « apolitique » de transition est formé pour préparer des élections. La Ligue Awami s’y est cette fois refusée, donnant l’occasion au BNP, dont nombre de dirigeants sont en prison ou en fuite, d’appeler au boycott.
Crise institutionnelle. L’Islam est religion d’Etat au Bangladesh, mais le régime n’en est pas moins largement laïc et la gauche « séculière » puissante. La montée des fondamentalismes religieux dans la région (hindouiste en Inde, bouddhiste au Sri Lanka, musulman au Pakistan…) se fait cependant aussi sentir dans le pays, remettant en cause les références laïques (secular) des institutions et rouvrant les blessures de la guerre de libération.
De 1947 à 1971, l’actuel Bangladesh constituait le Pakistan oriental, dominé par le Pakistan occidental. Il a gagné son indépendance à la suite d’une lutte armée, obtenant soutien de l’Inde. Or, les principaux mouvements islamistes d’aujourd’hui ont servit de supplétifs à l’armée pakistanaise durant ce conflit sanglant où ils ont commis de nombreux crimes de guerre. Leur activisme présent et leur radicalisme fondamentaliste (notamment à l’encontre des femmes) ont provoqué une réaction de masse, exigeant que leurs dirigeants soient enfin jugés pour les crimes de 1971. En décembre dernier l’un d’entre eux, Abdul Kader Mollah, proche du BNP a été condamné à mort.
Crise sociale. L’effondrement du bâtiment industriel Rana Plaza en avril 2013, dans la banlieue de Dacca (environs 1200 morts) avait révélé aux yeux du monde l’extrême précarité et le degré d’exploitation imposés aux ouvrières du textile. La mondialisation capitaliste, les accointances entre patrons locaux et donneurs d’ordre internationaux, la mise en concurrence des pays producteurs d’habillement ont provoqué une crise sociale explosive qui se manifeste au Bangladesh, au Cambodge, en Inde, au Pakistan... Une crise sociale qui frappe aussi de plein fouet la paysannerie.
Crise climatique. Le Bangladesh est peut-être le « grand » pays le plus touché par les conséquences du réchauffement atmosphérique. Il est déjà frappé par les cyclones meurtriers et des pluies diluviennes de mousson. On estime que la moitié du territoire (dont 10% se trouve en dessous du niveau de la mer) serait inondé si le niveau de l’océan augmentait d’un mètre. Une grande partie de la population est menacée, le delta du Gange et du Brahmapoutre étant aussi la région la plus fertile où la densité humaine est particulièrement élevée.
Face aux chaos climatique, la population se trouve sans défense. Le pays va connaître un nombre croissant de « réfugié.e.s internes » qui vont fragiliser encore un tissu social miné par les politiques néolibérales et les violences religieuses sectaires.
Les déplacements migratoires s’orientent aussi vers l’Inde, pays frontalier du Bangladesh où les mouvements xénophobes se renforcent. La crise bangladaise peut contribuer à déstabiliser plusieurs régions d’Asie du Sud.
Pierre Rousset