Ce lundi 25 novembre matin, au lendemain de l’élection présidentielle au Honduras, une foule nombreuse de militants de LIBRE se mêle aux journalistes venus assister à la conférence de presse annoncée la nuit précédente par le coordinateur du parti, José Manuel Zelaya. En attendant son arrivée et celle des principaux dirigeants, le public scande le nom de Xiomara Castro et le grand salon de l’hôtel Clarion résonne de slogans hostiles aux résultats partiels diffusés au compte-goutte par le Tribunal suprême électoral. Lorsqu’il prend enfin la parole, José Manuel Zelaya confirme les déclarations faites la veille selon lesquelles le scrutin a été entaché de graves irrégularités. C’est pourquoi, explique-t-il, le parti refuse de reconnaître le résultat annoncé et met au défi le Tribunal suprême électoral de prouver que les chiffres qui ont été transmis par voie électronique coincident avec les actes manuscrits dressés dans les bureaux de vote. LIBRE, rappelle-t-il, s’est soumis aux règles du jeu imposé par l’oligarchie, mais n’a apparemment pas été payé de retour. Un des aspects les plus singuliers est, sans aucun doute, l’achat de scrutateurs des partis minoritaires, dont le score ne dépasse pas la barre des 1%. Et pour cause ! Dans de nombreux bureaux de vote, ceux-ci ne recueillent aucune voix, ce qui laisse entendre que même leurs représentants n’ont pas voté pour le parti dont ils étaient censés défendre les intérêts.
Dans ces conditions, aucune négociation n’est possible affirme Zelaya, et le triomphe de Xiomara Castro doit être défendu. « Prenons la rue, prenons la rue » lui répond l’auditoire qui, du même coup, réagit vivement lorsque pendant la session de questions qui leur est réservée, quelques journalistes se risquent à demander si le jeu en vaut la chandelle.
Pourtant, même si elle est mal perçue lorsqu’elle vient d’intervenants externes, il n’en reste pas moins que cette question ne peut être éludée par la direction de LIBRE. Mais sur la réponse à y apporter, les avis ne semblent pas unanimes. La stratégie à adopter repose sur différentes analyses de la situation : d’une part, ceux qui considèrent que la population, si elle y est invitée, descendrait massivement dans la rue, de l’autre, ceux pour qui prévaut la crainte d’exposer les militants à la répression si l’appel n’était pas assez suivi. Pour les partisans du premier scénario, plus le temps passe et plus le risque de s’acheminer vers le second sont grands.
C’est notamment l’analyse que font les membres de la « plate-forme des mouvements sociaux » réunis le 26 novembre pour tenter de définir une position face à la situation. Celle-ci rassemble une palette d’organisations qui ont apporté un soutien critique à LIBRE. Les divergences remontent à 2011, lorsqu’une partie des organisations intégrantes du Front national de résistance populaire (FNRP) avait décidé de fonder LIBRE, optant de ce fait pour une stratégie électorale, alors que d’autres n’y étaient pas favorables, comme le Conseil national d’organisations indigènes et noires du Honduras (COPINH) ou les organisations Garifuna (Afro-descendants) et Fraternité noire du Honduras (OFRANEH) qui fonctionnent selon une dynamique plus assembléiste et communautaire.
La majorité des présents semble partager la même appréciation du scénario qui se profile au sein des sphères dirigeantes de LIBRE : une acceptation de la défaite de la candidate à la présidence contre une négociation en vue de garantir une représentation forte au parlement. En effet, le pouvoir législatif jouit au Honduras de pouvoir importants face au pouvoir éxécutif. Il convient également de signaler qu’une partie des membres du Parti libéral hostile au coup d’Etat ont suivi José Manuel Zelaya, dont le mandat, avant d’être interrompu, avait commencé sous la bannière de ce parti. Parmi les cadres libéraux qui ont rejoint LIBRE, certains, à n’en pas douter, escomptaient bien continuer à jouer un rôle dans l’arène politique sans retourner à la case départ de l’accès au pouvoir par la lutte populaire.
Pour certains membres de la « plate-forme », la situation actuelle est le résultat du démantèlement du Front de résistance dont il faut tirer les leçons. S’il semble urgent de réagir (et de réclamer des dirigeants de LIBRE qu’ils répondent à l’attente de leur base sociale), le dilemme repose dans l’objectif à défendre. Certains rechignent à se limiter à un appel à la mobilisation pour défendre le vote mais sont bien conscients que pour de nombreux militants de LIBRE, c’est bien là ce qui importe. Toutefois, plus le temps passe et moins la possibilité de remettre en cause le verdict du Tribunal suprême électoral trouvera d’écho, que ce soit par la mobilisation populaire ou par la voie juridique. Plusieurs gouvernements, en particulier celui de « l’allié » Daniel Ortega au Nicaragua voisin, ont d’ores et déjà reconnu la victoire du Parti national. Les missions d’observation internationales vont dans le même sens, notamment celle de l’Union européenne qui, bien que critique vis-à-vis du déroulement de la campagne électorale, a salué le professionalisme du Tribunal suprême électoral et donc avalisé les résultats de son travail. En résumé la recommandation de la communauté internationale aux candidats de LIBRE est de passer un tour et de revenir dans quatre ans. Dans cette nouvelle étape où l’on passe de la résistance au putsch à celle de la résistance à la fraude, les électeurs, eux, pourront-ils supporter cette continuité dans la répression, la criminalisation des mouvements sociaux et la militarisation de la société que le vainqueur désigné des élections a promis de renforcer ?
De fait, la peur de la répression est un élément qui pèse lourd dans la définition de toute stratégie de lutte au Honduras. C’est bien ce qu’on souligné les délégations d’observateurs indépendants originaires du Canada, des Etats-Unis, d’Europe et de divers pays d’Amérique latine lors d’une conférence de presse conjointe dans les locaux du Comité de familles de détenus disparus du Honduras (COFADEH). Outre le fait de rendre compte des nombreuses irrégularités constatées lors du processus électoral, toutes les délégations ont exprimé leur profonde inquiétude face à la recrudescence de menaces et d’attaques contre les militants des mouvements sociaux et les droits humains perpertrées dans un climat de totale impunité.
Les étudiants ont été les premiers à sortir de l’état d’hébétude dans lequel semble plongé le pays depuis la nuit de dimanche et ont manifesté dans l’après midi à l’université, essuyant des tirs de gaz lacrimogènes. Certains, qui avaient fait partie des volontaires chargés d’assurer la logistique le jour du scrutin, entendaient ainsi dénoncer les irrégularités dont ils avaient été les témoins impuissants. Petits rouages au sein d’un mécanisme qu’ils n’ont réussi à gripper.
Hélène Roux, 28 novembre 2013