Elu par moins de 40% des ayant droit -et aux abstentionnistes s’ajoute le tiers de la population sans droits parce que immigrée-, le nouveau Parlement genevois semblerait désormais se composer de trois blocs, la « gauche », le centre-droit et les « populistes ».
C’est en ces termes que la presse présente les choses.
A première vue, c’est l’évidence : désormais, le MCG et l’UDC, autoproclamés Force Nouvelle, font poids égal -grâce à la défaite du PLR et à la débâcle des Verts- avec les partis bourgeois traditionnels d’un côté et avec ceux de l’Alternative de l’autre.
Pour « éviter le pire », trouver des ententes avec l’Entente
Dès lors, la tentation est forte, à « gauche », de trouver des ententes avec les partis du centre-droit, appelés à Genève « Entente bourgeoise », pour marginaliser les forces « populistes ». C’est ainsi par exemple que, dans la seconde ville du Canton, Vernier, socialistes et Verts se sont alliés avec les libéraux-radicaux pour mettre hors-jeu le MCG.
Ainsi, la pression va être forte au Parlement pour constituer des majorités « contre les populistes » en faisant du « compromis acceptable pour éviter le pire » le fil à plomb d’une politique, la droite dite « dure » faisant office d’épouvantail fédérateur contre elle.
La méthode n’est pas nouvelle. En ont usé et abusé au cours des dernières législatures autant les dirigeants du Cartel intersyndical de la fonction publique que la « gauche » parlementaire et sa gauche qui, au parlement, n’y était plus. Et, en a surtout usé le gouvernement pour qui, l’épouvantail d’un durcissement de ses propres mesures d’économie par les « faucons » de la droite libérale a depuis des lustres été mis en avant pour amener les syndicats à la raison.
C’est ainsi que les Verts et les socialistes ont soutenu la fusion des caisses de retraite du personnel de l’Etat : c’est pour « éviter que la droite dure péjore encore le projet » qu’ils ont activement fait campagne en faveur d’une loi qui oblige les gens à cotiser plus et plus longtemps pour toucher moins. C’est à partir du même principe que des organisations syndicales dirigées par des membres ou des proches de la « gauche de la gauche » se sont dépensés pour faire avaler au personnel aussi bien les licenciements facilités que la fusion des caisses de pension.
C’est un seul bloc de droite
Mais, si des désaccords existent entre « populistes » et Entente – on y reviendra plus loin –, sur les questions fondamentales, le MCG et l’UDC se sont toujours ralliés au camp bourgeois.
Il en a été ainsi de la loi contre les manifestations que la droite unie – de l’ex-flic MCG Golay au procureur général PLR Jornot – avait fait passer en mars 2012 avant qu’elle soit invalidée par le tribunal fédéral. Il en a été ainsi lors de la campagne sur la fusion des caisses de retraite durant laquelle, à droite, la solidarité de classe a parfaitement joué, l’UDC et le MCG soutenant la loi. Il en a été ainsi sur toutes les questions économiques et sociales importantes au cours de la dernière législature.
Certes, des différences existent. Elles portent sur deux aspects distincts. D’une part, l’orientation anti-européenne et protectionniste de l’UDC ne convient pas aux autres partis bourgeois tout comme l’irrespect des institutions et le côté incontrôlable du MCG les indispose. D’autre part, c’est sur les méthodes et les modalités d’en découdre avec « la gauche » – en fait, de la mettre sous pression – que les deux prétendus blocs diffèrent, l’UDC et le MCG prônant un discours légèrement plus musclé que les partis de l’Entente.
Mais, sur les questions fondamentales, les différences sont minimes : ils partagent le même programme politique, celui de l’austérité, de la réduction de la présence syndicale, de l’extension des droits des actionnaires et du capital. Stauffer lui-même, le gominé du MCG, ne rappelle-t-il pas à chaque interview, ses origines libérales ? Non, il n’y a pas dans ce parlement de deux blocs distincts à droite, mais une droite dominante qui écrase les lambeaux de « gauche » qui y subsistent.
« Une sorte de mépris des classes populaires »
Réduite à la portion congrue – avec 34 sièges sur 100, sa députation est la plus faible depuis la fin des années soixante – la gauche parlementaire ne pourra pas contrer grand-chose. Et si, une partie sera tentée par la recherche « du moins pire », une autre partie, plus remuante, sera, elle, tentée par la multiplication des référendums, par le recours au scrutin populaire.
Or, si elle a longtemps craint cet instrument, la droite genevoise n’en a plus tant peur. Elle a tout de même remporté le vote sur la loi contre les manifestations, tandis que les résultats des scrutins fédéraux – celui concernant l’ouverture des shops, notamment – la trouvent souvent en phase avec l’électorat.
Et c’est justement là que le bât blesse : ce n’est pas seulement en termes électoraux que la « gauche » a perdu des plumes. C’est sa renonciation à une culture d’opposition, sa politique d’accompagnement « socialement acceptable » des politiques bourgeoises qui a contribué à la dépolitisation et au désarroi des salarié.e.s. Pour le dire avec Christian Brunier – un type qui sait de quoi il parle, puisqu’il a été président du Parti socialiste –, les dirigeants socialistes « aveuglés par une sorte de mépris des classes populaires […] se sont probablement trop éloignés du terrain » (Le Courrier, 12.10.13).
Le laissant ainsi grand ouvert au MCG qui a su l’occuper en dressant les salari.é.s résidant.e.s contre « le frontalier » et imposant son odieuse propagande aux milliers de travailleuses et travailleurs qui traversent la frontière chaque matin.
C’est pourquoi, c’est sur le terrain social, qu’il est indispensable de construire l’autre bloc, celui de la lutte unie contre la politique patronale.
Paolo Gilardi