Le projet de Rosia Montana, initié par la compagnie canadienne Rosia Montana Gold Corporation (RMGC), propriété de la firme canadienne Gabriel Resources (80 %) et de la compagnie de l’État roumain Minvest Deva (20 %), prévoit l’extraction de 300 tonnes d’or et de 1500 tonnes d’argent des Montagnes des Carpates, en y utilisant du cyanure. Depuis plus de 15 ans, les principaux opposant·e·s au démarrage des travaux ont été des habitant.e.s de la région qui ont refusé de déménager et un grand nombre d’ONG écologistes. Pendant tout ce temps, des représentant·e·s de l’État, y compris le président Traian Ba ?sescu, ont déclaré, plus ou moins ouvertement, leur désaccord avant de retourner leur veste. RMGC a acheté, pour des millions d’euros, le silence des médias de masse. Année après année, les Roumain·e·s n’ont ainsi reçu que des informations favorables à Rosia Montana.
Une loi pour que la corporation ne s’inquiète pas
Mais c’est la modification spéciale proposée par le Gouvernement sur la Loi des Mines, le 27 août 2013, et sa remise au Parlement en vue de la ratification qui a déclenché la révolte de milliers de Roumain·e·s. Les modifications apportées sont non seulement anticonstitutionnelles, mais elles prévoient également des mesures au service d’une corporation au capital étranger. Plus précisément, la loi confère à l’exploitation le statut de « projet d’utilité publique et d’intérêt public national exceptionnel » et permet le prolongement de la licence d’exploitation par RMGC, qui aurait autrement expiré en 2017.
Qui plus est, la loi spéciale permet ainsi à une compagnie privée de faire des expropriations à Rosia Montana au nom de l’État. Jusqu’à présent, le déménagement des habitant·e·s qui ont accepté de changer de domicile a coûté à la corporation canadienne 71 millions dollars.
Ce même acte normatif mentionne que l’État aura une participation de 25 % et que les redevances, en valeur de 6 % du profit, seront payables en nature. Victor Ponta, le premier ministre de la Roumanie, adversaire déclaré du projet jusqu’il y a un an, a affirmé que la remise au Parlement du nouveau projet législatif « est une bonne idée », qui épargne à l’État roumain le paiement de dédommagements substantiels. De façon similaire, le Président a changé d’avis radicalement et parle maintenant d’un référendum. D’ailleurs, le contrat conclu entre l’État roumain et Gabriel Resources est mis au secret.
Solidaires contre les abus
Cette dernière démarche abusive a provoqué le mécontentement de l’opinion publique. Les Roumain·e·s, qu’ils·elles soient des habitant·e·s qui refusent de voir leur région mutilée, des défenseurs du patrimoine culturel, des écologistes qui soutiennent des méthodes alternatives d’exploitation de la région des Carpates, des libéraux qui n’acceptent pas la menace contre la propriété privée où des Roumain·e·s qui considèrent la loi en question comme un acte de trahison, sont sortis dans la rue depuis le 1er septembre déjà. Non seulement à Bucarest, ou les milliers de protestataires ont occupé, sans violence, les grands boulevards, mais aussi dans d’autres villes de Roumanie et d’Europe.
A l’étonnement des protestataires, leur action n’a été que peu médiatisée par les principaux canaux médiatiques de Roumanie. Le 1er septembre, les télévisions ont minimisé les chiffres, ne parlant pas des 5000 Roumain·e·s effectivement rassemblé·e·s au centre de la Capitale mais de 200 voire de « centaines » ? ; seulement quelques minutes, dans le meilleur des cas, leur a été accordé lors des différentes émissions. Il ne s’agissait pour la grande presse que de « quelques hipsters sur des vélos ».
Les principaux médias de masse aveuglés
Les variantes en ligne des journaux ont publié, le même jour, un sondage selon lequel 2 Roumain·e·s sur 3 étaient d’accord avec l’exploitation utilisant du cyanure de Rosia Montana et des gaz de schiste à Bârlad, un autre projet controversé, à haut risque de désastre écologique, dans l’Est de la Roumanie (voir encadré page suivante). De plus, une campagne tendant à discréditer les protestataires accusés d’avoir été payés pour leur démarche civique a été lancée.
Les protestataires devaient sans doute s’attendre à une telle réaction et couverture médiatique. En effet, RMGC a déboursé 12 millions d’euros les trois dernières années, dont 5,5 millions spécialement pour la presse écrite pour sceller le pacte de non-agression avec les médias de masse roumains, y compris la télévision publique. Une propagande bien financée. Plus de 3000 spots télévisés ont expliqué aux Roumain·e·s comment les habitant·e·s de Rosia Montana pourraient être sauvés par le projet RMGC, comment l’extraction des métaux précieux allait enrichir l’État roumain et comment le lac de cyanure dans la région, le plus grand de ce genre dans toute l’Europe, n’aurait pas d’effets nocifs sur l’environnement. Les manifestations ont donc pointé également l’échec évident de la presse « indépendante et impartiale », et beaucoup de gens ont boycotté les interventions des journalistes.
Les protestataires leur ont préféré les médias alternatifs, les réseaux sociaux et l’Internet en général, plus propice selon eux à la promotion de leur cause sous le slogan « Unis pour sauver Rosia Montana ».
L’histoire d’un projet indésirable
Le projet visant l’extraction de l’or et de l’argent à l’aide de cyanure dans la localité de Rosia Montana, à l’ouest de la Roumanie, date de presque 15 ans. Pendant cette période, RMGC s’est confrontée aux activistes écologistes, au refus de la population locale de vendre les terrains détenus dans la région, sans parler de l’absence d’un accord environnemental. Le projet a reçu de nombreuses autorisations de la part des autorités locales et nationales, mais celles-ci ont été contestées et ensuite annulées. Les pressions pour le démarrage du projet se sont intensifiées du fait que la licence d’exploitation expire en 2017.
Des montagnes calculées en milliards de dollars
Les partisans de RMGC parlent de la création de nouveaux lieux de travail, dont le nombre varie entre 1000 et 3000 (selon la source citée), mais sans préciser que le projet a une durée limitée, de 16 ans. L’exploitation minière, en général, ne garantit pas le développement économique durable de la collectivité.
Le profit apporté par les mines de Rosia Montana serait de 7,5 milliards dollars, dont l’État recevrait 2,9 milliards sous forme de redevances, actions, impôt sur le profit. Plusieurs experts affirment que, en dehors de l’or et de l’argent, les Canadiens vont également extraire des métaux rares, que les calculs officiels ne mentionnent pas, et dont la valeur serait quatre fois plus grande que celle estimée pour les métaux précieux. L’état ne recevrait pas de redevances pour eux parce qu’ils ne sont pas mentionnés dans le contrat.
Record néfaste pour les cyanures
Contre le projet s’élèvent les voix de milliers de Roumain·e·s qui refusent d’assister à la création d’un lac de cyanure sur une surface de 400 hectares (entre 100 ou 600, selon des sources diverses), aspect qui a empêché jusqu’à présent l’obtention de l’accord environnemental. Tandis que dans toute l’Europe on utilise pour l’exploitation minière 1000 tonnes de cyanures par an, en Roumanie on en utiliserait 13 000. Le barrage de 185 mètres qui sépare la substance mortelle de l’environnement est censé être durable, mais on oublie de parler de l’infiltration dans la nappe phréatique ou de l’émission dans l’air de composés chimiques. En outre, un accident aurait des effets désastreux, et les cyanures s’accompagnent de centaines de tonnes de déchets toxiques issus de leur exploitation.
Un argument supplémentaire est représenté par le patrimoine culturel et historique de Rosia Montana. Les vestiges romains antiques, les galeries minières, les églises, les monuments et les cimetières ne pourront pas être conservés au milieu de quatre carrières d’exploitation actives.
Tous ces arguments sont exprimés devant le Parlement, ces jours-ci, par les Roumain·e·s. Qui craignent, tous et toutes un projet dont le démarrage signifierait la violation de droits constitutionnels et la destruction de l’environnement à terme illimité, en faveur d’une compagnie au capital étranger, dans l’une des plus belles régions du pays.
Alexandra Butnaru, pour solidaritéS
Un abus qui n’est pas sans précédent
A l’Est de la Roumanie, près de la ville de Bârlad, un autre projet provoque le mécontentement de la population. Dans ce cas également, les gouvernants roumains se sont initialement opposés, pour ensuite l’approuver.
Il s’agit de l’exploitation des gaz de schiste par la méthode de la fracturation hydraulique (fracking) par la compagnie américaine Chevron. Celle-ci a reçu l’accord environnemental au mois de juillet, et les travaux pourraient démarrer cet automne même. La procédure d’exploitation pourrait conduire à l’infestation de la nappe phréatique et à des tremblements de terre. Les protestataires n’ont même pas reçu l’accord des autorités locales pour organiser des manifestations, que les médias de masse ont généralement ignorées.