Corruption, défauts de construction, problèmes environnementaux. Le « projet des quatre fleuves », emblème de la croissance verte de la Corée du Sud, devient chaque jour davantage une catastrophe écologique et économique. Lancé en fanfare en 2009 par l’ancien président Lee Myung-bak, qui en avait fait le grand œuvre de son mandat, le projet s’est traduit par des travaux titanesques d’aménagement des quatre fleuves sud-coréens – Han, Geum, Yeongsan et Nakdong. Terminés fin 2011, ils auront coûté 22 200 milliards de wons (15,4 milliards d’euros), 8 000 milliards de wons de plus que prévu.
Officiellement, M. Lee souhaitait régénérer l’environnement, limiter les risques de catastrophes naturelles, améliorer la gestion des ressources en eau et créer des emplois. Les opposants au projet y ont vu très tôt un moyen de soutenir le milieu de la construction, dont le président, lui-même ancien dirigeant de Hyundai Engineering, était proche. Economiquement, les travaux n’auraient permis de créer que 1 % des 960 000 emplois promis.
Depuis un an, les révélations s’enchaînent sur les dérives du chantier. Le dernier rebondissement en date remonte au 12 septembre lorsque Chang Sung-pil a été contraint à la démission. Cet ancien professeur d’ingénierie civile de l’université de Séoul présidait la commission d’enquête créée en mai par le gouvernement, censée réunir des personnalités « neutres » et mettre au jour les possibles ententes illégales et constitutions de caisses noires entre les sociétés impliquées.
Or il est apparu que M. Chang avait collaboré entre 2007 et 2009 avec Yooshin Engineering, un des acteurs du projet, soupçonné d’entente illégale dans l’attribution des marchés liés aux travaux sur les cours d’eau.
Des plaintes ont été déposées. En mai, le parquet a perquisitionné le siège de 25 entreprises du secteur de la construction, dont des filiales des chaebols (conglomérats) Posco, Samsung ou encore Daewoo et Hyundai.
DÉMANTELER LES BARRAGES
Outre les soupçons de corruption, les enquêteurs ont mis en évidence de graves problèmes sur les installations. Ainsi 15 des 16 barrages construits seraient endommagés ou s’affaisseraient. Les travaux de drainage doivent également être menés plus fréquemment que prévu, des opérations qui devraient coûter 280 milliards de wons (193 millions d’euros) à l’Etat, dix fois plus que les estimations.
La qualité des eaux serait dégradée, car les nouveaux barrages ont ralenti le cours des fleuves, créé de vastes étendues d’eau stagnante, avec pour conséquence une baisse du taux d’oxygène. Le long du fleuve Nakdong les algues ont commencé à proliférer.
Les barrages seraient aussi à l’origine d’inondations de terres arables, notamment en aval du Nakdong. La gravité des dégradations a amené des experts à proposer le démantèlement des barrages pour laisser les fleuves reprendre leur cours naturel. En 2011 déjà, le professeur Hans H. Bernhart, hydrologue de l’Institut des technologies de Karlsruhe (Allemagne) avait adressé une lettre ouverte à l’UNEP (Programme des Nations unies pour l’environnement), lui reprochant d’avoir validé un projet « irresponsable ». Il demandait de démanteler les barrages pour éviter de nouveaux dégâts.
Hwang In-cheol, qui dirige la coalition d’organisations environnementales contre le projet, estime qu’« il faut réfléchir au moyen de ramener les cours d’eau à leur état naturel. Il faut le faire avant que les dégâts infligés à l’environnement ne s’aggravent encore plus. »
Le fiasco des quatre fleuves menace l’ambition des industriels, qui souhaitaient exporter le projet, avec l’appui de l’Etat, vers d’autres pays, notamment la Thaïlande, l’Algérie, le Maroc et le Paraguay.
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)