L’afflux de nouvelles, d’informations en provenance du Chili, le développement de la solidarité internationale rendent possible et nécessaire l’ouverture d’un débat sur une série de questions fondamentales.
1. Celle de la caractérisation de l’Unité populaire, de l’élection d’Allende à l’entrée des militaires dans le gouvernement, en octobre 1972, et d’octobre 1972 au putsch.
2. Celle des organes de double pouvoir qui étaient apparus depuis la crise d’octobre 1972. Les camarades du Mir, par exemple, considéraient les commandos communaux comme la forme principale du pouvoir populaire et expliquaient que les cordons industriels, plus proches d’une coordination syndicale, devaient s’intégrer comme composante seulement dans la structure territoriale des commandos communaux. Dans une interview au Militant, organe du SWP, les camarades Hugo Blanco et Eduardo Creus, critiquaient cette position, comme une tentative de contourner l’emprise du réformisme dans la classe ouvrière par le biais de structures qui n’ont jamais eu l’importance des cordons et dans lesquelles le rôle dirigeant du prolétariat est beaucoup moins évident.
Le rapport entre les structures de pouvoir enracinées dans les entreprises et les structures territoriales, où se scelle l’alliance des ouvriers avec d’autres couches de la population pauvre, n’est pas le moindre problème posé par l’expérience chilienne.
3. La troisième question est celle de la stratégie militaire du prolétariat. Des déclarations du Mir, de celles de la Ligue communiste chilienne [1], il semble ressortir que ces groupes se sont toujours placés dans la perspective stratégique d’une guerre révolutionnaire prolongée, combinant guérilla rurale et urbaine. Ils n’ont ni envisagé, ni en conséquence préparé une insurrection armée victorieuse. De sorte que, s’ils ont armé et entraîné l’avant-garde, appuyé localement les expériences d’autodéfense, ils ne semblent pas avoir développé de perspective systématique d’armement des masses, de centralisation d’une force armée du prolétariat, ni préparé un plan insurrectionnel offensif comparable, toutes proportions gardées à celui des Bolcheviques en octobre 1917. Le bilan de cette expérience et de ses prolongements actuels sera également indispensable à l’avant-garde internationale.
4. Aujourd’hui, la caractérisation du régime instauré par le coup d’État du 11 septembre pose une nouvelle question. Le PC chilien aussi bien que le Mir parlent de régime fasciste. Et il est vrai que l’ampleur, la sauvagerie de la répression amènent immanquablement à évoquer le spectre du nazisme. Mais, si l’on veut aller au-delà des analogies, il faudra étudier les bases sociales de la junte, ses liens réels avec le grand capital et l’impérialisme, la profondeur de la défaite ouvrière et l’état de désorganisation, ou non, de la classe ouvrière, pour définir plus précisément le nouveau régime. Non par goût particulier de la précision. Mais parce que les orientations, les tâches, les mots d’ordre, les alliances proposées par les révolutionnaires en dépendent : la lutte contre le nazisme dans l’Allemagne de 1933, celle contre le régime Thieu au Sud Vietnam, celle contre le franquisme d’aujourd’hui n’ont ainsi, par-delà l’intensité de la répression qui est leur point commun, ni le même sens, ni les mêmes implications.
5. Enfin, une autre question cruciale réside dans le bilan et les perspectives de l’avant-garde chilienne dont le Mir constitue aujourd’hui la force principale. Il existe aussi au Chili un groupe de camarades trotskistes de la IVe Internationale qui étaient organisés dans le Parti socialiste révolutionnaire ; nous publions dans ce numéro de Rouge l’extrait de l’interview d’un responsable, concernant précisément l’état de l’extrême gauche chilienne. Il existe aussi la Ligue communiste précédemment mentionnée. Pour tous les militants, la construction d’un parti révolutionnaire implanté va se poser dans un contexte nouveau.
Nous tâcherons à partir de la semaine prochaine, de traiter systématiquement l’ensemble de ces questions, sous forme d’articles ou de contributions, voire de débats contradictoires.
Nous publions cette semaine la déclaration de Miguel Enriquez aux militants révolutionnaires et aux travailleurs, ainsi que l’extrait d’interview d’un camarade trotskiste chilien.