Extrait d’un article paru dans Rouge du 4 novembre 1999 et reproduit intégralement dans la rubrique « Timor oriental »]
La crise timoraise, la mise en cause de l’armée, les mobilisations démocratiques et les scandales financiers ont contribué à redistribuer les cartes à Djakarta. Le président en exercice, Habibie, a perdu toute chance d’être reconduit et l’élection présidentielle a été l’occasion d’un compromis entre les diverses fractions en présence. Le musulman modéré Abdurrahman Wahid, dit Gus Dur, accède à la présidence ; accepté par les tenants de l’ancien régime pour écarter sa populaire rivale, Megawati Sukarnoputra. Cette dernière devient donc vice-présidence, alors que d’importants postes sont accordés à Akbar Tanjung, chef du Golkar (le parti de la dictature) et à Amien Rais, autre dirigeant musulman modéré.
Le gouvernement reflète le même équilibre temporaire entre fractions et inclut des militaires. Ce compromis a été facilité par le fait qu’aucune divergence de programme ne s’est nettement manifestée entre les différents partis de l’élite indonésienne. Tout en promettant de brider corruption et népotisme, tous courtisent le FMI. L’aile militante du mouvement étudiant ne s’y est pas trompée : elle est déjà redescendue symboliquement dans la rue pour affirmer sa vigilance démocratique.
Pour sa part, le Parti démocratique du peuple a tenu un congrès extraordinaire en octobre, où 133 délégués représentaient la presque totalité des 54 branches locales de l’organisation, implantées dans 16 provinces. Il a pris note du dynamisme politique mais aussi des faiblesses organisationnelles du mouvement étudiant et social. L’espace démocratique gagné de haute lutte en 1998 risque d’être progressivement réduit. Au nom de l’anticommunisme, l’organe de presse militaire Garda mène campagne depuis juillet contre le PRD, attaqué aussi par des groupes islamistes d’extrême droite.
Face à l’opportunisme et à l’élitisme de partis comme le PDI-P de Megawati et le Parti du réveil national de Gus Dur, le PRD poursuit son combat pour une force populaire indépendante, pour mettre fin à cette « double fonction » qui permet toujours aux militaires de jouer un rôle politique, et pour « achever la révolution démocratique » commencée en 1998. Le congrès a décidé de donner la priorité à la consolidation de son organisation, à la formation de ses membres, à sa presse (Pembebasan, « Libération ») et à une implantation en profondeur, plutôt qu’à une rapide expansion géographique tous azimuts. Le PRD s’affirme aujourd’hui comme le seul parti radicalement de gauche. Mais, malgré sa croissance, il reste encore bien faible au regard des responsabilités objectives qui lui incombe. Une situation contradictoire qu’il assume consciemment et courageusement.
Bataille pour la présidence en Indonésie
Paru dans Rouge du 2 septembre 1999
C’est en novembre que le prochain président indonésien doit être élu par l’Assemblée consultative du peuple (MPR). Or, les rapports de forces issus des élections législatives du 7 juin dernier restent incertains. Politiquement, c’est le Parti démocratique indonésien de lutte (PDI-P) qui l’a emporté avec 33,7% des suffrages, devançant nettement le Golkar, au pouvoir, qui a chuté plus sévèrement que prévu (avec 22,4% des voix) malgré le contrôle qu’il exerce sur l’administration. Mais en termes de sièges, la situation reste confuse.
Aucun bloc de partis ne détient une majorité nette à l’Assemblée représentative du peuple (DPR), où 38 militaires siègent aux côtés des députés élus. Par ailleurs, l’Assemblée consultative (qui élira le président) comprend, outre les 500 parlementaires, 200 représentants des parlements régionaux et de « mouvements sociaux ». Le Golkar n’a donc pas dit son dernier mot. l’actuel président Habibie, héritier de la dictature, manuvre ferme pour préserver son poste, en usant des ressources considérables du système clientéliste en vigueur et en jouant des alliances traditionnelles entre grandes familles. Néanmoins, bien que soumises à des attaques sexistes, Megawati garde ses chances dans la compétition. Dirigeante du PDI-P et fille de Sukarno, le « père de l’Indépendance », elle incarne pour une partie de la population la volonté de renouveau, sans pour autant menacer l’ordre social dominant : elle fait allégeance au FMI (malgré quelques déclarations iconoclastes de son principal conseiller économique) et, conservatrice, s’affirme contre l’indépendance de Timor oriental. Ainsi, Washington et les institutions financières internationales semblent penser que Megawati peut assurer une transition « contrôlée » mieux qu’Habibie, dont la réélection apparaîtrait comme un véritable déni de démocratie. Mais la candidate du PDI-P doit encore consolider son alliance avec les nouvelles formations politiques de référence musulmane : le PKB d’Abdurrahman Wahid et le PAN d’Amien Rais.
Quarante et un des 48 partis qui se sont présentés aux élections législatives de juin n’ont pas obtenu d’élus. Pour le journaliste John McBeth, à de rares exceptions près, les « petits partis » n’ont aucun programme et ne servent qu’à défendre des intérêts particuliers. Le Parti démocratique du peuple (PRD) s’affirme, à ses yeux, la plus notable des exceptions, étant « le seul parti d’Indonésie véritablement de gauche ce qui lui vaut l’ire de l’établissement militaire inquiet de toute résurgence communiste » (Far Eastern Economic Review, 22 juillet). Plusieurs dirigeants du PRD, pourtant légal, restent de ce fait en prison. Il est vrai qu’ils combattent sans compromis pour que soit mis fin au « rôle duel » de l’armée, qui l’autorise légalement à intervenir dans les domaines sociaux et politiques.