Tout juste un an après avoir chassé Sarkozy, notre colère est grande parce que le chômage bat un record historique, la droite est à l’offensive et les homophobes occupent la rue.
Ces manifestations à l’occasion du débat parlementaire sur le mariage pour toutes et tous ne libèrent pas que la parole homophobe, mais aussi le passage à l’acte avec des attaques de lieux et des agressions et des violences physiques contre des gays et des lesbiennes.
On assiste à une remontée de l’ordre moral, qui est aussi l’ordre sexiste.
Le bleu et le rose, le bêtifiant « un papa et une maman », ce sont les femmes enfermées au foyer, dans leur rôle de mère, dans les schémas sexistes.
Les femmes ont tout à craindre de cette réaction, de ces excités qui occupent la rue, de la montée de l’extrême droite qui profite de la souffrance sociale, de la crise politique.
Face à eux il ne faut rien céder sur l’égalité des droits, contre tous les discours stigmatisants, qu’ils soient racistes ou homophobes, avec le sexisme toujours présent.
Mais ce n’est pas suffisant, il est nécessaire de donner nos propres réponses anticapitalistes à la crise, de mettre fin aux politiques d’austérité qui font la misère et la désespérance dont ces courants se nourrissent.
Combattre frontalement l’austérité, c’est combattre la réduction des dépenses publiques imposée au nom de la réduction des déficits et du remboursement de la dette publique, refuser la logique de la compétitivité qui met les salarié·e·s en concurrence et aggrave le chômage.
C’est pourquoi nous défendons un audit et l’annulation de la dette illégitime, l’expropriation et la mise sous contrôle social et public du système bancaire et financier. Il faut rompre aussi avec la chimère de la croissance qui résoudrait tous les problèmes.
Mais la crise et les politiques d’austérité ne frappent pas de la même façon les femmes et les hommes.
Nous avons besoin d’une analyse féministe de leurs effets. Il y a besoin de réponses à la crise pour toute la société et pour l’égalité
En France le chômage bat des records historiques. Mais le chiffre annoncé de 3,2 millions ne prend en compte que les demandeurs d’emploi inscrits et qui n’ont eu aucune activité salariée au cours du mois. Il y a une invisibilité du chômage des femmes qui a des formes particulières. Il y a une tolérance sociale par rapport au chômage des femmes, considéré comme « moins grave ».
Alors que pour les femmes, l’accès à l’emploi représente l’accès à l’autonomie, la possibilité concrète d’échapper aux violences domestiques. Rappelons qu’une femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint.
Dans une première phase de la crise, c’est dans les secteurs « masculins » que s’est produite la plus forte dégradation de l’emploi (bâtiment, auto, transports,etc.) et les femmes ont été plus concernées par l’augmentation du sous-emploi : augmentation du temps partiel court et réduction des durées pour celles qui étaient déjà à temps partiel.
Dans la seconde phase, les secteurs à dominante féminine : services publics, éducation, santé, services,etc. ont à leur tour été touchés. Ainsi, le taux de chômage des femmes est à nouveau supérieur à celui des hommes.
Le temps partiel est un outil de flexibilité pour le patronat.
En France, dans les années 60, les femmes sont entrées massivement dans l’emploi salarié à plein temps. Le temps partiel ne s’est développé qu’au cours des années 80, période de forte augmentation du chômage. Il concerne très majoritairement les femmes : 31 % des femmes sont employées à temps partiel et seulement 6,7 % des hommes. Huit salariées à temps partiel sur dix sont des femmes.
Le taux de travail à temps partiel a ainsi doublé en trente ans, encouragé par les politiques d’allègement de cotisations.
Le temps partiel des femmes a été utilisé sciemment comme moyen de dissimulation du chômage ! Un moyen particulièrement pénalisant pour les femmes. Il cumule l’intensification du travail (la salariée n’est présente et payée qu’aux heures de pointe, fini les temps morts), une grande amplitude de la journée de travail (avec des temps de coupure inutilisables), l’absence de déroulement de carrière, des conséquences dramatiques sur le niveau des retraites.
Notons qu’à la différence de celui des hommes, ce chômage partiel des femmes n’est pas indemnisé.
La seule réponse est la réduction massive et immédiate du temps de travail.
Il existe déjà une forme libérale, sauvage, inégalitaire de partage du travail, payée principalement par les femmes avec leur précarisation et le temps partiel qui est en fait du chômage partiel.
Pour en finir avec le chômage de masse qui depuis les années 80 constitue une arme de division massive des salarié·e·s pour surexploiter celles et ceux qui ont un emploi et exclure celles et ceux qui en sont privé·e·s, il est urgent de répartir le travail disponible et nécessaire entre toute la population disponible pour travailler.
Cela doit se faire avec avec embauches correspondantes, donc sans intensification du travail et sans perte de salaire en prenant sur les profits.
La réduction du temps de travail est aussi une voie pour sortir du productivisme en posant les questions de ce qu’on produit, comment on le produit, en échappant au chantage à l’emploi. C’est un point de départ indispensable pour une répartition égalitaire des tâches domestiques et familiales.
Le cocktail précarité + bas salaires fait la pauvreté. Là encore, les femmes sont en première ligne. Les trois quarts des salariés à bas salaires sont des femmes
J’ai parlé du lien fort qui existe entre emploi et autonomie : encore faut-il que le salaire permette de vivre !
Tous emplois confondus, les femmes ont une rémunération inférieure de 27 % en moyenne par rapport à celle des hommes ? ; dit autrement, les hommes gagnent 37 % de plus que les femmes ou encore, une femme doit travailler 15,5 mois pour gagner ce que gagne un homme en 12 mois.
Le temps partiel explique une partie de cet écart, mais une partie seulement, car l’écart de salaire horaire est de 14 %.
D’autres différences professionnelles peuvent expliquer une partie de l’écart, mais il reste un différentiel de salaire horaire « toute choses inégales par ailleurs » (selon l’expression de la chercheuse Rachel Silvera) de 6 à 11 % qui est de la pure discrimination !
Les femmes demeurent concentrées dans 12 familles professionnelles (sur 87). Et il y a une corrélation très forte entre métiers féminisés et métiers à faible salaire.
Quid dans ces conditions du principe « à travail égal, salaire égal » et quid de la « valeur du travail » ?
Les professions où il y a le plus de femmes se situent en prolongement des tâches domestiques et des soins assumés dans la famille. Les savoir-faire acquis par les femmes au travers des rôles sociaux qui leur sont attribués sont naturalisés et donc non reconnus comme des compétences professionnelles. Ils ne se traduisent ni en qualification ni en salaire.
Ajoutons encore la tolérance sociale aux bas salaires pour les femmes, le salaire féminin restant considéré dans les faits comme un salaire d’appoint.
Ces salaires font en outre peu l’objet des préoccupations syndicales.
Il y a donc la nécessité d’un véritable travail de réévaluation des emplois à dominante féminine (qualification, efforts physiques et mentaux, conditions de travail, responsabilité) afin d’éliminer les stéréotypes qui dévalorisent les compétences des femmes.
C’est aussi un enjeu pour toute la société de reconnaître la valeur des emplois qui ont directement à voir avec le soin, le bien-être.
Le prochain chantier de la démolition sociale annoncée concerne les retraites.
Alors que les pensions des femmes ne représentent en moyenne que 62 % de celles des hommes et que la pauvreté menace 22 % des femmes âgées, le pire est à en attendre ! Les restrictions budgétaires ont ciblé principalement les services publics.
Pour les femmes, c’est la double peine : comme salariées et comme usagères.
Comme salariées, elles sont majoritaires dans la fonction publique qui est visée par un véritable plan de licenciements collectifs qui ne dit pas son nom : sur la période 2008-2012, l’Etat aura supprimé 150 000 équivalents temps pleins.
Comme usagères, elles subissent les effets sur leur santé et leur droit de choisir avec les fermetures des maternités et CIVG. Leurs possibilités d’accès à l’emploi sont gravement entamées.
Aujourd’hui, moins de 15 % des enfants accueillis le sont en crèche. 57 % des mères ayant un enfant de moins de 3 ans non scolarisé « travaillent » contre 75 % de l’ensemble des femmes de 25 à 45 ans, la majorité des mères de 3 enfants restent au foyer.
Pèsent aussi le manque et le coût des structures pour les personnes âgées ou dépendantes : les « aidants familiaux » des personnes dépendantes de plus de 60 ans sont 4,3 millions et 75 % sont des femmes. Elles consacrent à cette tâche 5 heures par jour en moyenne et 2 à 2,5 heures de plus pour les femmes que pour les hommes. Comment occuper un emploi dans ces conditions ?
L’augmentation des structures d’accueil de la petite enfance, des lieux et moyens pour l’aide aux personnes en perte d’autonomie dans le cadre de services publics doivent être une priorité. La réponse égalitaire, satisfaisante pour les femmes et pour toute la société n’est ni la marchandisation ni le travail informel et invisible dans le cadre familial.
L’emploi direct par les parents ou les familles est aussi une source d’inégalité, les allocations et déductions fiscales sont telles que les 10 % des foyers les plus riches reçoivent 70 % de la déduction fiscale totale correspondant aux services à la personne.
La réponse adaptée est, dans le cadre du service public, la socialisation et la gratuité permettant l’accès pour toutes et tous.
La tolérance à l’égard de la précarisation et du chômage des femmes, l’utilisation de leur travail gratuit et invisible sont au cœur des politiques libérales. Le libéralisme économique s’accompagne du renforcement de l’ordre moral, patriarcal et sexiste.
La crise est aussi politique et démocratique ? ; ces dimensions nécessitent aussi analyses et réponses féministes.
Le sentiment à l’égard du personnel politique « qu’ILS ne nous représentent pas » est doublement partagé par les femmes.
Seulement 26,9 % des députés (pour 40 % de candidates), 21,8 % des sénateurs, 35 % des conseillers municipaux sont des femmes alors qu’il y a pourtant une loi sur la parité.
Mais il ne suffira pas « d’ajouter des femmes dans la marmite et remuer » (selon l’expression de Judith Evans). Il faut dé-professionnaliser la politique. Les élu·e·s doivent cesser de cumuler les mandats, dans les fonctions comme dans la durée, leur salaire ne doit pas excéder le salaire moyen. La rotation, la révocabilité et la parité doivent devenir la règle. Les institutions antidémocratiques, monarchiques de la Ve République doivent laisser la place à une assemblée à la proportionnelle intégrale.
Nous réclamons, comme nos camarades indigné·e·s de l’Etat espagnol, une démocratie réelle qui nous permette à toutes et tous de décider, de contrôler le fonctionnement de la société et de faire que « nos vies passent avant leurs profits ».
Il ne suffit pas « d’ajouter des femmes et de remuer » ; en revanche nous voulons « ajouter le féminisme et secouer », secouer très fort le mouvement social, syndical, et aussi la gauche radicale, afin que le féminisme soit au cœur de notre projet écosocialiste.
Christine Poupin