Le silence international est aussi meurtrier que les bombes israéliennes qui s’abattent sur la tête des Libanais. Celui qui n’a pas expérimenté une situation d’agression ne peut pas le comprendre. « Ya wahdana ! », « O que seuls ! ». En Arabe, langue de poésie, l’expression est encore plus pathétique. C’était le cri de Yasser Arafat après les terribles bombardements du mois d’août sur Beyrouth. C’était en 1982. La situation est pire aujourd’hui, de loin pire. Il n’y a plus d’URSS, il n’y a plus de pays européens qui, dans ces temps lointains, avaient l’ambition de suivre une politique quelque peu équilibrée où les considérations d’ordre éthiques, relevant de la justice et de l’humain avaient une certaine valeur. Il s’agissait en plus de l’OLP, de la résistance palestinienne, qui possédait une légitimité confirmée quoique secrètement haïe. Haïe surtout par les Etats arabes qui lui affichaient des sentiments de solidarité. Ces pouvoirs en place n’ont rien fait alors, ils ont laissé faire Israël jusqu’au moment où il fallait repêcher ce corps affaibli, meurtri et prêt à s’assagir. Aujourd’hui, la situation est de loin pire. Ces mêmes pouvoirs sont passés à l’action... auprès d’Israël. Car entre-temps l’ensemble du climat international s’est détérioré. Mais tout le monde connaît ça, les analyses sont abondantes.
Je reviens au silence. Les Palestiniens se font massacrer. Petit à petit les quelques gestes formels d’une soi-disant recherche de solutions sont délaissés. Qui ces derniers mois a entendu parlé du Quartet, de la feuille de route, encore que ce plan est loin d’être ne serait-ce qu’un minimum satisfaisant pour les droits des Palestiniens ?
Des photos de petites filles israéliennes qui marquent sur les missiles à destination des Libanais « with love » n’émeuvent plus personne, n’indignent personne. On ne parle pas de l’implication des enfants dans la guerre. Ce silence relève de l’ampleur acquise par la double standardisation des critères. Même chez les Arabes, la réaction n’est pas le dégoût mais une colère sourde : imaginez que des Arabes aient fait cela, que des enfants du Sud-Liban soient à la place de ces fillettes israéliennes ! Le monde entier nous serait tombé dessus, preuve à la main de notre barbarie. La photo est presque mignonne ! La guerre est virtualisée, nous dit-on avec sagesse. C’est presque un alibi, c’en est une justification. Si ces photos passent sans problème, sans que des gouvernements, des associations des droits de l’homme et de défense des enfants ne déposent plainte auprès de l’ONU, de l’Unicef, alors le désespoir de l’humanité sera total.
Celui qui n’a pas connu le siège et les bombardements prolongés ne peut comprendre le besoin qu’éprouvent les assiégés et les candidats au massacre de communiquer, de ne pas se sentir seuls. Il est certain que l’injustice est insupportable. J’ai longtemps recherchée la cause d’un phénomène constaté par tous, celui du débit de parole des Palestiniens qui participent à des conférences en Europe. On a beau se mettre d’accord sur le point à débattre, il ou elle revenait toujours vers une description de leur vécu et vers un argumentaire complet qui défaisait les raisons dominantes de leur malheur. Les palestiniens prennent ainsi à témoin ceux qui les écoutent. Un besoin pressant de déposer auprès d’eux le récit de l’injustice qu’ils vivent, de la leur confier. Ce n’est pas une aptitude au bavardage, c’est le signe d’avoir gardé de l’espoir. Comparer ceci avec l’abondance des récits sur l’holocauste, sur les analyses psychologiques de la signification du moment où ces témoignages ont commencé à sortir ? Seule la prédominance dans les esprits de la double standardisation rendrait choquante une telle comparaison. C’est cette même double standardisation ambiante qui autorise l’Onu, Washington et même les pays européens à parler du droit légitime d’Israël à se défendre ! Israël par contre justifie sa riposte face à ceux qui la qualifient de « démesure » - timide critique, faux-semblant d’un équilibre dans les positions - il la justifie par un argument terrible : « il faut que tout le monde comprenne qu’on ne peut toucher à Israël ».
Entre-temps, on laisse faire. Je veux dire la chute des bombes. La querelle autour des raisons de cette guerre, des responsabilités de son déclenchement me rappellent ce que j’avais étudié en primaire sur la première guerre mondiale. J’ai oublié le nom de l’archiduc (était-ce son titre ?) assassiné, qui apparaissait dans les manuels de cette époque lointaine comme étant la cause immédiate du déclenchement de la guerre la plus meurtrière. La recherche pour retrouver son nom sur Internet ne donne rien, Internet n’évoque plus cet épisode. Mais les raisons du déclenchement de la guerre contre le Liban, des 300 civils tués dans la première semaine, de dizaines de milliers de blessés, d’un demi million de personnes déplacées, de la destruction de quartiers entiers de Beyrouth, mis à ras de terre, de la mort de dizaines de soldats et de civils israéliens, la promesse de la mort à venir de plusieurs centaines d’autres dans ce camp, de milliers dans l’autre, qui périront si Israël commence son offensive terrestre...la raison de tout ceci reste l’enlèvement des deux soldats par le Hezbollah !! Dans les manuels scolaires du Liban, on nous apprenait que la querelle de deux garçons du Mont Liban autour d’un jeu de billes avait déclenché les guerres civiles de la fin du 19e siècle, particulièrement meurtrières et qui ont conduit à un changement total du paysage politique et social dans ce pays. On nous disait pour expliquer la démesure de ce rapport, que l’un des garçon était druze, l’autre chrétien ! Heureusement que les manuels scolaires sont devenus plus respectueux de l’intelligence des enfants !