Le Bangladesh, l’outsider du textile
Quelques mois avant le drame du Rana Plaza, alors que plusieurs incendies d’usine avaient déjà endeuillé le secteur du textile bangladais, les Etats-Unis avaient fait savoir qu’ils souhaitaient reconsidérer leurs accords commerciaux avec Dacca.
Pour Washington, « l’absence de progrès du gouvernement du Bangladesh en matière de droit du travail » justifiait « un retrait, une suspension ou une limitation » du système de préférence généralisé qui liait les deux pays. Le cas échéant, cette décision sera prise en juin. L’effondrement, le 24 avril, d’un immeuble de bureaux transformé en atelier de confection géant pour plusieurs marques, dont plusieurs grands noms occidentaux (Benetton, Mango, Primark...), qui a coûté la vie à plus de 1 200 personnes, devrait peser dans la balance, et fait craindre un durcissement éventuellement dommageable pour la fragile économie du pays.
Avec un taux de pauvreté d’un peu moins de 40 %, le Bangladesh reste dans la catégorie des pays les plus démunis au monde. Peu capitalistique, fortement mobile et intensive en main-d’œuvre, l’industrie textile, apparue dans les années 1970, devait lui permettre de profiter de la croissance mondiale. Nouvel eldorado du tissu et de la confection, cet atelier géant devait supplanter la Chine – dont les salaires augmentent plus vite que prévu – auprès des acheteurs. En 2011, le cabinet McKinsey sortait un rapport très remarqué sur les potentialités du pays [1], dont il estimait que la production textile au Bangladesh allait doubler d’ici à 2015, tripler d’ici à 2020.
Après quinze ans de réduction des coûts dans la fabrication des vêtements, en grande partie grâce à la fin du protectionnisme sur ce secteur et aux nombreuses délocalisations en Chine, les acteurs du textile ont vu leurs marges rognées par un renversement de tendance. Face à la hausse des salaires en Chine, au désintérêt des travailleurs pour ce secteur jugé dégradant, et à la priorité désormais donnée au marché intérieur chinois et aux industries à plus forte valeur ajoutée, le Bangladesh apparaissait comme l’outsider évident pour la décennie à venir.
Le cabinet avait vu juste : de 3e fournisseur de textile en 2011 pour l’Europe, il est passé à la 2e place en 2013, supplantant la Turquie au passage. Entretemps, le pays a fait son entrée dans la liste des pays « à suivre » pour plusieurs grandes banques, dont Goldman Sachs, l’inventeur des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine, devenu BRICS depuis l’adhésion de l’Afrique du Sud). Aujourd’hui, le textile représente près de 85 % des exportations bangladaises.
FAIBLES COÛTS, FORTES CAPACITÉS
Tout comme la Chine dans sa période faste, le Bangladesh est doté des deux mamelles nécessaires à l’épanouissement d’une industrie intensive en main-d’œuvre : de faibles coûts associés à de larges capacités de production. Fort de ses 3 à 4 millions de travailleurs – les sources divergent – répartis dans plus de 5 000 usines, le pays a désormais supplanté ses voisins indien, pakistanais, vietnamien, cambodgien ou indonésien. Des accords commerciaux noués avec l’Union européenne et les Etats-Unis ont en outre donné à Dacca la possibilité d’exporter à moindre frais.
McKinsey ne passe cependant pas sous silence les obstacles à la croissance du secteur, qu’il désigne pudiquement comme des « challenges » à relever. Le cabinet insiste sur la nécessité pour le Bangladesh de se doter d’infrastructures solides, particulièrement dans les transports, l’accès à l’électricité et les installations sanitaires. Le cabinet relève en outre que le Bangladesh accuse un retard inquiétant en matière de conformité avec les standards internationaux du droit du travail et fait une série de recommandations concernant la formation des employés, les risques liés à la sous-traitance, l’application du droit du travail et l’éradication du travail des enfants (environ 13 % des 7-14 ans selon les chiffres de l’Unicef, qui a dénoncé le manque de résultats de Dacca sur ce sujet).
Sur la mise en conformité, les acheteurs ont un rôle fort à jouer, souligne McKinsey, d’autant plus qu’ils sont de plus en plus issus des pays voisins du Bangladesh et que leurs standards en matière de droit du travail sont généralement en dessous de ceux des pays développés. Le rapport encourage aussi le pays à former des travailleurs plus qualifiés, notamment pour mettre en place un middle management compétent et éviter d’avoir recours à des managers venus de l’étranger, pas toujours bien acceptés par les employés.
LE « MOMENT TEE-SHIRT »
La liste des défis à relever est donc bien longue pour que le Bangladesh sorte de sa conversion au textile par le haut. La multiplication des accidents industriels et la désinvolture à la fois des marques et des autorités ne menacent-elles pas désormais son développement ? C’est le scénario catastrophe brandi par les opposants au retrait des marques du Bangladesh, qui craignent qu’un retrait massif des marques occidentales du Bangladesh ne replonge le pays dans l’extrême pauvreté.
Cette phase de croissance frénétique de l’industrie textile, qui se fait aux frais d’une classe ouvrière surexploitée, d’autres pays l’ont connue. Le Bangladesh n’est en effet que le dernier héritier du « moment tee-shirt » [2], expression utilisée par un chroniqueur du New York Times pour désigner cette phase d’essor du secteur, qui culmine lorsque les ressources humaines et matérielles sont utilisées au maximum, avant de progressivement laisser la place à des industries à plus forte valeur ajoutée. Le secteur textile décline alors sous le poids des avancées sociales, et se transfère dans un autre pays, aux coûts de fabrication encore plus faibles.
L’atelier textile du monde se situait au Royaume-Uni au XVIIIe siècle, il s’est déplacé aux Etats-Unis (dans le nord-est du pays au XIXe siècle puis dans le Sud au début du XXe siècle). Depuis environ 80 ans, note le NYT, ce sont les pays d’Asie qui sont entrés dans la « phase tee-shirt » : le Cambodge, le Vietnam, l’Inde dans une moindre mesure, le Sri Lanka sont progressivement en train de sortir de cette phase et commencent à diversifier leur économie grâce notamment à une meilleure formation de leur main-d’œuvre et à des progrès réalisés concernant les conditions de travail.
AUCUN PAYS SUSCEPTIBLE DE PRENDRE LA RELÈVE
Pour le Bangladesh, en revanche, la sortie de phase paraît plus incertaine, pour la simple raison qu’a priori aucun pays n’est susceptible d’offrir des coûts du travail aussi bas. Même pas en Afrique, estime le NYT, s’appuyant sur les travaux du Center for Global Development, où le coût de la vie est trop élevé pour que les salaires soient plus faibles qu’au Bangladesh. En dehors de la Birmanie, aucun pays « relais » n’apparaît susceptible d’entrer dans la « phase tee-shirt » à la suite du Bangladesh.
Ce n’est pas une si mauvaise nouvelle, car le risque d’une délocalisation massive des emplois du textile est un argument brandi par les opposants à un éventuel boycott des vêtements bon marché « made in Bangladesh ». Il n’empêche, le Bangladesh ne peut se payer le luxe de stagner : une évolution de l’industrie textile vers plus de qualité et une diversification de l’économie sont indispensables pour que la pauvreté continue de reculer.
Pour ce faire, les autorités bangladaises, mais aussi les acheteurs, n’ont d’autre choix que celui de jouer le jeu du progrès en soutenant les droits des travailleurs, en exigeant le strict respect des normes de sécurité et en refusant de fermer les yeux, par le biais de la sous-traitance (illégale ou pas), sur des manquements au droit du travail le plus élémentaire. Ce changement a un prix : celui de la responsabilité de l’acheteur, qui devra accepter de rogner sur ses marges, et celui de la responsabilité du consommateur, qui devra au final accepter de payer un peu plus pour ses tee-shirts.
Audrey Fournier
* Le Monde.fr | 14.05.2013 à 19h48 • Mis à jour le 14.05.2013 à 19h48.
Plus de 1 700 morts depuis 1990
Le 24 avril, l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Savar, dans la banlieue de Dacca au Bangladesh, relançait une nouvelle fois le débat sur ces « ateliers voyous » du textile qui fournissent les marques occidentales en faisant travailler leurs ouvriers (essentiellement des femmes) dans des immeubles très vétustes. Avec 1 127 morts à quelques heures de l’arrêt officiel des recherches et au moins autant de blessés, l’accident constitue la pire catastrophe industrielle qu’ait connue le pays. Il s’inscrit pourtant dans une série noire qui dure depuis plus de vingt ans.
Sur la carte ci-dessus, nous avons recensé, à partir des données des associations et des articles de presse, 31 accidents meurtriers dans les usines textiles du Bangladesh depuis 1990, majoritairement des incendies. Au final, le bilan macabre s’élève à plus de 1 700 morts. Certains ont eu un certain écho, comme l’incendie de l’usine Tazreen Fashion en novembre 2012 ou l’incendie de KTS Textile industrie en février 2006. D’autres ont à peine été référencés. Cette liste est cependant loin d’être exhaustive. Selon le rapport Fatal Fashion (PDF), qui analyse les récents incendies d’usine au Pakistan et au Bangladesh, 245 incendies d’usine ont occasionné la mort de près de 600 travailleurs, de 2006 au 28 janvier 2013.
UNE CORRUPTION ENDÉMIQUE
Ce sont souvent les mêmes causes qui conduisent à la catastrophe : à la suite d’une série de négligences caractérisées liées à la sécurité des bâtiments, des ouvriers se retrouvent pris au piège dans l’incendie ou l’effondrement de leurs ateliers. Les responsables des usines et certains ingénieurs sont parfois arrêtés et des comités ad hoc sont créés, mais en raison de la corruption endémique (trente des plus grands propriétaires d’usines textiles siègent au Parlement de Dacca et la moitié des députés possèdent directement ou indirectement des usines), ces commissions ferment les yeux sur les conditions de travail et l’état des bâtiments. Cette fois encore, le propriétaire de l’immeuble Rana Plaza était l’un des leaders locaux du parti au pouvoir, l’Awami League.
DEUXIÈME FOURNISSEUR D’HABILLEMENT DE L’EUROPE
Le Bangladesh a émergé dans l’industrie de l’habillement à partir des années 1990 grâce à une main d’œuvre abondante et peu coûteuse. Depuis 2009, il figure à la deuxième place des exportations mondiales dans ce secteur, derrière la Chine. Il a largement bénéficié du dispositif « Tout sauf les armes » établi par l’Union européenne en 2001 pour favoriser le développement des exportations des pays les moins avancés, puis a profité de l’assouplissement des règles du Système généralisé de préférences (SGP) en 2011. Résultat du développement de ce secteur, l’habillement représente 80 % des exportations du Bangladesh et ce dernier est depuis 2012 le deuxième fournisseur de l’Europe. L’Union europénne ne peut soumettre ce pays à des sanctions économiques, sous peine de mettre en danger développement progressif du niveau de vie.
Jules Bonnard
* Le Monde.fr | 14.05.2013 à 15h35 • Mis à jour le 14.05.2013 à 20h32
Le Bangladesh ne veut pas froisser le secteur textile
New Delhi Correspondance
Le Bangladesh a annoncé, mercredi 8 mai, la fermeture de dix-huit usines textiles, sur les 4 500 que compte le pays, pour des raisons de sécurité, après l’effondrement, il y a près de quinze jours, d’un immeuble, le Rana Plaza, qui abritait cinq ateliers de confection à Savar, dans la banlieue de Dacca.
Confronté au pire accident industriel de l’histoire du pays – 912 corps ont été retrouvés, selon un bilan provisoire –, alourdi encore par un nouveau drame, l’incendie d’un site de confection de Tung Hai Group, dans une zone industrielle de Dacca, qui a causé la mort de huit personnes, jeudi, le gouvernement bangladais et les industriels du secteur sont pressés d’agir pour améliorer les conditions de sécurité des travailleurs.
L’Union européenne a menacé de suspendre le « système des préférences généralisées » dont bénéficie le Bangladesh, grâce auquel ses entreprises ont accès au marché européen sans quotas ni droits de douane.
Enfin, la colère monte parmi les rescapés et les familles des victimes. Comme si le carnage de l’accident ne suffisait pas, ces derniers ont dû se battre pour obtenir des compensations et le remboursement de leurs frais d’hospitalisation. Ils ont bloqué, mardi, plusieurs artères conduisant au lieu du drame pour faire entendre leurs revendications, aussi modestes soient-elles : quatre mois de salaires, soit 200 euros pour avoir de quoi vivre en attendant de retrouver un travail. L’association des exportateurs et des fabricants bangladais d’habillement (BGMEA) ne leur a finalement distribué qu’un mois de salaire par année passée dans l’usine. Le gouvernement attend de connaître le bilan définitif de l’accident pour indemniser les familles des victimes.
80 % DES EXPORTATIONS
Le gouvernement a-t-il seulement la volonté et les moyens d’améliorer les conditions de travail ? Interrogée sur la chaîne américaine CNN, la première ministre, Sheikh Hasina, a indiqué que des « accidents pouvaient avoir lieu partout dans le monde », allant même jusqu’à affirmer que « le Bangladesh était maintenant un endroit où les bonnes conditions étaient réunies pour y investir ».
Le gouvernement craint que les grandes chaînes d’habillement s’approvisionnent dans d’autres pays, comme le Vietnam, menaçant un secteur qui représente 80 % des exportations et emploie près de la moitié de la main-d’œuvre industrielle.
Dans les jours qui ont suivi l’effondrement du Rana Plaza, un comité a été chargé d’examiner les causes de l’accident, mais comme à chaque lendemain d’incendie, les comités voient le jour sans que la situation s’améliore. Les syndicats indépendants sont toujours interdits dans le pays. Trente des plus grands propriétaires d’usines textiles siègent au Parlement de Dacca.
Selon le Centre bangladais pour la solidarité des travailleurs, la moitié des députés possèdent directement ou indirectement des usines textiles. Le propriétaire de l’immeuble qui s’est effondré était l’un des leaders locaux de l’Awami League, le parti au pouvoir.
« Les règles existent. Il faut juste qu’elles soient appliquées. Mais le gouvernement est trop corrompu et n’a pas les moyens humains de les faire respecter », explique A. K. Enamul Haque, professeur d’économie à l’université United International de Dacca. En juin 2012, le ministère du travail ne comptait que dix-huit inspecteurs pour contrôler dans la capitale près de 100 000 usines.
Les visites impromptues menées par les chaînes d’habillement chez leurs fournisseurs ne suffisent pas à éviter les accidents. Les usines visitées, souvent situées au cœur de zones économiques spéciales, remplissent toutes les normes de sécurité. Les accidents se produisent ailleurs : dans des ateliers qui sous-traitent leur production dans les pires conditions.
« RÉGULER LE SECTEUR »
Or, cette cascade de sous-traitants est difficile à contrôler. Des vêtements de la marque Walmart ont été retrouvés dans les décombres d’une usine qui a pris feu le 24 novembre 2012, poussant le géant américain de la distribution à mettre en place une politique de « tolérance zéro » vis-à-vis de ses fournisseurs, prévoyant l’annulation des contrats si ces derniers sous-traitent les commandes sans son autorisation. « Mais on ne peut pas nous imposer un système d’approvisionnement en flux tendu, des bas prix de production et des normes de sécurité draconiennes », rétorque un industriel bangladais.
A. K. Enamul Haque ne voit qu’une solution pour améliorer les conditions de sécurité : « L’organisme représentatif des usines textiles doit réguler le secteur, quitte à créer une autorité indépendante où seraient aussi représentés salariés et chaînes d’habillement. »
Reste la question des syndicats. Les industriels craignent qu’ils soient inféodés aux deux grands partis du Bangladesh, et perturbent l’activité des usines en cas de troubles politiques dans le pays. Si un syndicat avait été autorisé dans l’immeuble qui s’est effondré à Savar, l’accident aurait pu être évité. A la veille du drame, des fissures étaient apparues sur les murs, et les ouvriers avaient été obligés de reprendre le travail.
« Cette tragédie montre que le droit de s’organiser en syndicats dépasse la seule question des hausses des salaires. Il permet de sauver des vies », plaide Brad Adams, le responsable en Asie de l’ONG Human Rights Watch.
Julien Bouissou
* LE MONDE | 09.05.2013 à 11h31 • Mis à jour le 09.05.2013 à 14h49.
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Bangladesh : les Français nient avoir utilisé les ateliers du Rana Plaza comme sous-traitants
L’armée a mis fin aux recherches de corps dans les ruines de l’immeuble effondré à Savar, près de Dacca au Bangladesh, où 1 127 personnes sont mortes le 24 avril dans l’effondrement du Rana Plaza. Selon Le Parisien [3] et BFMTV mercredi 15 mai, des groupes français étaient clients des cinq ateliers de confection installés dans le bâtiment.
Des étiquettes des groupes Carrefour, Auchan et Camaïeu auraient été trouvées dans les décombres. Ces groupes textiles nient avoir eu une production, directe ou indirecte, dans l’immeuble du Rana Plaza. Ils expliquent avoir reçu ces étiquettes de la part d’associations militantes comme Ethique sur l’étiquette ou Clean Clothes Campaign.
« Le 13 mai dernier, Auchan a été contacté par des organisations non gouvernementales qui lui ont indiqué avoir retrouvé des étiquettes de produits à marque In Extenso dans les décombres », raconte François Cathalifaud, le porte-parole du distributeur.
« Auchan a aussitôt relancé de nouvelles investigations afin de vérifier si un de ses fournisseurs, en contradiction totale avec les contrats commerciaux conclus avec Auchan, aurait fait appel sans l’en informer à un sous-traitant pour produire une référence de produits In Extenso sur ce site », assure-t-il, promettant « de cesser toute relation commerciale avec les fournisseurs qui lui auraient dissimulé la vérité ». L’enquête est en cours.
« Nous menons une enquête interne auprès de nos fournisseurs, qui eux-mêmes peuvent faire appel à des sous-traitants », affirme également au Parisien un porte-parole de Camaïeu, qui ajoute que des inspecteurs en interne se rendent sur place au moins une fois par an pour en vérifier la bonne application.
FILMS DE SENSIBILISATION
Contacté par téléphone, Carrefour déclare ne pas savoir d’où viennent ces étiquettes et qu’une enquête a été lancée en interne. Le distributeur, qui possède une société propre au Bangladesh, s’occupant de « sourcing » (achats), revendique des normes élevées de sécurité : audit social avant chaque accord avec les usines locales (moins d’une centaine), interdiction de s’installer dans des surfaces multi-occupées (par exemple avec une boutique au rez-de-chaussée et des ateliers à l’étage).
Si Carrefour affirme qu’une équipe d’une quarantaine de personnes travaille au Bangladesh, les dernières offres d’emploi concernant le pays sur le site de Carrefour concernent des VIE (volontariats internationaux en entreprises, réservés aux moins de 27 ans) [4], basés en France et ne nécessitant que des « voyages » dans le pays ; il s’agit pourtant de « contrôle qualité » et de « reporting ».
Dans son document de référence 2012 [5], Carrefour explique s’être mobilisé dès 2011 « pour initier à l’échelle nationale un plan de sensibilisation des usines aux règles de sécurité incendie » grâce à deux films réalisés à destination des ouvriers et des responsables sur les « bons gestes ». « Cinq films ont été coréalisés avec quatre autres donneurs d’ordres et une ONG sur les droits et responsabilités des travailleurs dans les usines du sud de l’Inde. Ces films seront distribués en 2013 dans les usines », détaille encore le document.
ACCORD POUR AMÉLIORER LA SÉCURITÉ DES USINES DU PAYS
Pour le collectif Ethique sur l’étiquette, le nombre de sous-traitants fait qu’il est quasiment impossible de garder le contrôle dans un pays où le textile représente 40 % de la main-d’œuvre et 80 % des exportations. « C’est un peu cynique, mais ce désastre est aussi un moment critique qui peut pousser les marques à avancer, via les médias et les citoyens », veut croire Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif.
Les fabricants de textile du Bangladesh ont d’ailleurs salué l’accord signé par plusieurs grandes marques occidentales d’habillement pour améliorer la sécurité des usines du pays. Carrefour mais aussi l’italien Benetton, l’espagnol Zara, les britanniques Tesco et Marks and Spencer ou encore le suédois H&M se sont ralliés à ce protocole.
Il institue, entre autres, un inspecteur en chef indépendant des entreprises et des syndicats, chargé d’un programme d’inspection de la sécurité incendie « crédible et efficace ». L’accord prévoit également un ou plusieurs experts qualifiés devant mener un examen « complet et rigoureux » des normes et règlements actuels dans le bâtiment pour les entreprises de prêt-à-porter au Bangladesh.
« Nous saluons cet accord. C’est évidemment une très bonne chose pour chacun de nous », a commenté Atiqul Islam, le président de l’Association bangladaise des exportateurs et fabricants de textile, qui représente 4 500 usines. « Nous leur avons demandé de ne pas nous laisser. Travaillons ensemble. Nous leur avons dit que nous voulons tirer les leçons de la tragédie du Rana Plaza », a témoigné M. Islam.
M. Islam a également indiqué que les fabricants au Bangladesh se félicitaient de la décision de l’américain Walmart, qui n’est pas signataire de l’accord, de conduire « des inspections poussées dans [les 279] usines au Bangladesh qui fabriquent des produits » en son nom.
Autre non-signataire pour le moment, l’américain Gap, dont la porte-parole, Debbie Mesloh, a précisé avoir lancé une initiative propre en octobre pour améliorer la protection anti-incendies dans les usines auxquels elle fait appel dans le pays.
Elle a également soumis aux promoteurs de l’accord une proposition qui limiterait la responsabilité juridique des signataires. Les partisans de l’accord ont fixé au 15 mai à minuit la date-limite pour rejoindre le mouvement.
APPELS À RESTER AU BANGLADESH CONTRE NOUVELLE CONCURRENCE
Le père du microcrédit, le Bangladais Muhammad Yunus, a réagi dans une tribune sur le Huffington Post [6]. Pour lui, ces grandes marques ne doivent pas quitter le pays. « Cela endommagerait gravement notre avenir économique et social. Cette industrie [...] a causé d’immenses changements dans notre société, en transformant la vie des femmes », explique-t-il.
Selon lui, il faut doubler le salaire horaire minimum des ouvriers (ils gagnent 24 centimes d’euros par heure) et inciter le consommateur à payer « 50 cents (de dollar) » de plus par vêtement en magasin. Pour l’association Worker Rights Consortium, la construction d’usines sécurisées au Bangladesh n’augmenterait le prix de chaque vêtement que de 10 cents (de dollar) [7]. Mais, en l’absence de changement rapide dans l’industrie bangladaise, les multinationales pourraient quitter le pays.
« Beaucoup d’acheteurs regardent vers la Birmanie, le Kenya, l’Ethiopie. Ils ne voient plus le Bangladesh comme une solution durable [...]. Il y a trop de problèmes », confiait à l’AFP le responsable basé à Hongkong d’une marque mondiale.
* Le Monde.fr | 15.05.2013 à 10h01 • Mis à jour le 16.05.2013 à 08h58.
L’immeuble effondré au Bangladesh était censé abriter des bureaux, pas des usines
Le bâtiment qui s’est effondré fin avril au Bangladesh, tuant quelque 610 personnes, avait été conçu pour abriter un centre commercial et des bureaux, pas des usines textiles, a déclaré Masood Reza, son architecte. Professionnel reconnu et professeur à l’université, l’homme assure que le plan d’origine du Rana Plaza conçu en 2004 par son cabinent comprenait six niveaux, et non neuf.
« Lorsque nous avons conçu le bâtiment, le propriétaire et le promoteur ne nous ont jamais dit que les planchers devraient supporter des ateliers de confection », a assuré l’architecte, âgé de 42 ans. « S’ils nous l’avaient dit, la structure et la conception auraient été différentes, et plus robustes ». « Nous avons dessiné un bâtiment de six niveaux, avec un demi sous-sol, des centres commerciaux sur les trois premiers niveaux et le reste consacré aux bureaux. Il n’a jamais été question que le bâtiment soit agrandi », a-t-il ajouté.
AU MOINS 550 MORTS
Quelque 3 000 ouvriers se trouvaient au sein du Rana Plaza lorsqu’il s’est effondré, le 24 avril, provoquant la pire catastrophe industrielle du Bangladesh, deuxième exportateur mondial de textile après la Chine. Le dernier bilan fait état de 610 morts, après la découverte de nouveaux corps sous les décombres.
Selon un responsable de l’enquête, des vibrations dues notamment à de gros générateurs sont à l’origine de l’effondrement de l’immeuble qui était déjà très fragilisé. Le bâtiment abritait quatre ou cinq usines textiles où étaient fabriqués des vêtements pour le compte principalement d’entreprises étrangères.
L’espagnol Mango, la chaîne d’habillement à bas prix britannique Primark et la marque italienne Benetton figurent parmi les marques occidentales à avoir confirmé que certains de leurs produits étaient confectionnés au Rana Plaza, où le salaire mensuel moyen ne dépassait pas les 30 euros.
* Le Monde.fr avec AFP | 05.05.2013 à 07h13 • Mis à jour le 07.05.2013 à 08h38.
Les réseaux sociaux se mobilisent après le drame au Bangladesh
Une mannequin lascivement étendue au bord de la mer ; autour de son cou, le nouveau collier de chez Mango... Une campagne de promotion banale, sur le compte Facebook de la société de vêtements et d’accessoires espagnole. Plus de 5 000 personnes « aiment ça » mais le ton des commentaires est inhabituel. « Prenez vos responsabilités, contribuez à stopper l’esclavage moderne. Je veux des vêtements beaux mais éthiques. »
Une remarque qui est loin d’être isolée. Le compte de l’entreprise de prêt-à-porter croule sous les critiques venues du monde entier, et dans toutes les langues. En anglais, espagnol, français ou allemand, les consommateurs mécontents reprochent à la marque ibérique de s’être fournie dans les ateliers de textile qu’abritait l’immeuble qui s’est effondré le 24 avril près de Dacca, faisant plus de 1 700 morts.
La firme a fait part de ses « regrets », le 27 avril, sur son compte Twitter, mais ne fait pas d’annonce particulière. Et les reproches continuent d’affluer, aucun nouveau post n’y échappe. Certains internautes vont même plus loin que la simple réaction indignée : « Mango ne doit plus avoir recours à l’esclavage au Bangladesh - Pétition à signer en ligne ». Un lien renvoie vers cette pétition. Une opération lancée notamment par l’ex-miss France Sonia Rolland et qui a déjà réuni plus de 40 000 signatures. Un peu plus de 8 000 étaient espérées.
Beaucoup de visiteurs exigent la signature de l’accord sur la sécurité incendie des immeubles au Bangladesh, initié par IndustriALL Global Union, une fédération syndicale mondiale qui représente plus de 50 millions de travailleurs dans 140 pays. Un pas déjà franchi par des sociétés comme H&M et Primark. La marque britannique, après avoir été conspuée par ses clients, s’est décidée à signer, lundi 13 mai, cette convention qui prévoit le financement par les signataires de programmes de sécurité : inspections des usines, sensibilisation des ouvriers... Le communiqué de presse figure bien en évidence sur son compte Facebook.
FILIÈRE LONGUE ET OPAQUE
La marque était pourtant déjà signataire de l’Ethical Trading Initiative, qui « travaille pour améliorer la vie des travaileurs pauvres dans le monde ». Des vêtements Primark ont tout de même été trouvés dans les décombres du Rana Plaza. Les entreprises occidentales ont du mal à garantir une production éthique dans un pays comme le Bangladesh. Du ramassage des matières premières en passant par la teinture ou la confection, la filière textile est longue et opaque.
D’autres marques se fournissaient d’ailleurs dans les ateliers de Dacca, notamment Joe Fresh et Children’s Place (vêtements pour enfants). Cette dernière a depuis promis d’améliorer les conditions de travail des ouvriers bangladais. Quant à Benetton, après avoir reconnu des liens avec cette manufacture, la société a prévu de mettre en place un fonds d’aide pour les victimes.
Alors, pour éviter scandales et mobilisations sur les réseaux sociaux, certaines marques ont pris les devants. La compagnie Walt Disney avait décidé de ne plus produire au Bangladesh après l’incendie qui avait fait 112 morts dans une usine bangladaise, en novembre 2012. Des tee-shirts Disney avait été trouvés sur place, mais la firme a toujours rejeté la responsabilité sur Walmart, qui produit certains de ses produits sous licence.
Une décision confirmée il y a quelques semaines par la direction du groupe qui ne va pas bouleverser sa production. Moins de 1 % de ses produits dérivés sont fabriqués dans le pays.
Olivier Mary
* Le Monde.fr | 14.05.2013 à 17h33 • Mis à jour le 14.05.2013 à 19h39.