Seattle, Washington D.C., Prague, Gênes... Les lieux symboliques qui ont marqué la naissance du mouvement altermondialistes sont au Nord et, à son origine, ce mouvement a souvent été stigmatisé comme « blanc », « étudiant », et totalement étranger à ceux - les peuples du Sud et les victimes de la mondialisation - dont il entendait prendre la défense !
Symboliquement, c’est lors de la création du Forum Social Mondial en janvier 2001 à Porto Alegre, au sud du Brésil, que la jonction a été faite entre ce nouveau mouvement, né aux Etats-Unis et en Europe, et les mouvements populaires implantés au Sud. Mais, au-delà du symbole, les liens existaient entre ces mondes depuis au moins le milieu des années 1990 : l’insurrection zapatiste, en janvier 1994 en a été le moment le plus fort, mais il serait aussi possible de citer la présence de la KCTU, le grand syndical radical sud-coréen, ou du MST, le mouvement des sans-terres du Brésil, à l’arrivée des « marches européennes contre le chômage » à Amsterdam, au printemps 1997.
L’émergence de ces nouveaux espaces de mobilisations internationalistes n’a concerné que très marginalement le monde arabe, au moins dans une première étape, et seuls quelques militants de cette région du monde ont fait le voyage de Porto Alegre, pour le premier Forum social mondial en 2001. Les raisons de cette quasi absence sont probablement à chercher dans la faiblesse relative des réseaux militants dans cette région du monde, mais aussi et probablement surtout, dans l’existence de priorités différentes. La Palestine et les risques de guerre n’étaient pas au centre des préoccupations des altermondialistes qui se concentraient, à cette époque, sur les institutions internationales et les questions économiques et sociales. Et, du côté du monde arabe, l’impact de la mondialisation libérale y était beaucoup plus faible qu’en Amérique Latine ou en Asie, les revenus du pétrole donnant un peu de marges de manœuvre qui en étaient pourvus et les économies de cette région du monde restant le plus souvent sous le contrôle des états.
C’est à Beyrouth, en novembre 2001, que se sont tenues les premières réunions qui ont permis aux militants arabes d’entrer pleinement dans ce nouveau cycle de mobilisation. Un peu plus d’un mois après les attentats du 11 septembre, pour préparer une riposte à la réunion ministérielle de l’OMC qui allait se tenir quelques semaines plus tard à Doha, dans le golfe persique, plusieurs centaines de militants se retrouvaient à Beyrouth. La grande majorité de ces militants venaient de l’orient arabe, avec quelques délégations du Maghreb, d’Europe et du reste du monde.
A partir de 2002, un double mouvement va permettre de confirmer le rapprochement entre le mouvement altermondialiste et les militants arabes.
Le 11 septembre 2001 et les guerres qui l’ont suivi ont changé la donne pour le mouvement altermondialiste qui a très vite intégré les mobilisations anti-guerre dans leurs priorités d’actions. Dès octobre 2001, la marche pour la paix entre Pérouse et Assises, en Italie, réunissait plusieurs centaines de milliers de personnes contre la guerre en Afghanistan. Mais c’est le refus de la guerre en Irak qui a mobilisé très largement : la mobilisation internationale du 15 février 2003, décidée au sein des Forums sociaux, réunissait ainsi près de 15 millions de personnes manifestant sur toute la planète.
Dans le monde arabe, à la même période, plusieurs noyaux militants décidaient de s’organiser pour lutter tout à la fois contre la guerre en Irak et l’occupation de la Palestine et contre la mondialisation néo-libérale. Au Maroc, ces militants formaient ATTAC, et, en alliance avec de nombreux militants associatifs et syndicaux, le forum social marocain qui allait se réunir pour la première fois en 2003. En Tunisie, c’est « Raid », équivalent d’ATTAC, qui se créait au même moment et qui, comme au Maroc, participait à l’émergence d’un Forum social tunisien. En Egypte, en 2002, le mouvement AGEG (Anti-Globalisation Egyptian Group) se créait et, un peu plus tard, son équivalent syrien apparaissait en profitant d’une phase où la répression était un peu moins sévère.
Les rencontres se sont multipliées en 2003, 2004 et 2005, par la participation de militants arabes aux grands rendez-vous internationaux, en particulier aux Forums sociaux mondiaux de Mumbay et Porto Alegre, et grâce à la tenue de conférences importantes dans le monde arabe, contre la guerre mais aussi contre la mondialisation libérale. Trois de ces conférences se sont tenues au Caire de 2003 à 2005, et une à Beyrouth, en septembre 2004. Au-delà des réunions et conférences, les actions communes se sont multipliées, en Palestine, où des milliers et des milliers de militants altermondialistes ont participé à des missions en solidarité avec la lutte des palestiniens, ou contre la guerre en Irak.
La discussion porte désormais sur les initiatives à construire à partir des mobilisations dans le monde arabe. Les militants marocains ont ainsi proposé la tenue d’un Forum social mondial au Maroc dans les années qui viennent.
Quelques soient les décisions prises sur la tenue de ce Forum, la preuve est faite que les liens se sont tissés et que les militants arabes sont pleinement intégrés aux processus de mobilisations internationaux !
Paris, le 5 juillet 2005