Athènes,
Après l’occupation de l’université polytechnique d’Athènes, en 1973, par les étudiants antifascistes, et le massacre qui s’ensuivit face aux tanks de la junte, la bourgeoisie grecque a tout fait pour tenter de limiter les « libertés » universitaires, que ce soit en matière de droit d’asile ou de durée des études. D’où une loi en 1978, retoquée grâce à une grosse mobilisation doublée par les occupations. À l’hiver 1990, le Premier ministre, Mitsotakis, s’appuyant sur une droite étudiante devenue dominante en 1987, tente de faire passer l’actuel projet de loi : facs privées et mesures de limitation diverses. C’est contre une droite idéologique et violente que gagne alors un mouvement étudiant - et ensuite, lycéen - déterminé : des centaines de facs et de lycées sont occupés.
Ces mouvements ont une double caractéristique : les propositions d’action de la gauche radicale s’imposent comme les plus efficaces et la gauche réformiste tente, à chaque fois, de freiner le mouvement (surtout le KKE, le PC grec, qui est contre les occupations).
Depuis 1991, la Grèce n’a pas connu de grande mobilisation étudiante. La droite est désormais installée en tête aux élections universitaires, dans un système généralisé qui ignore les tendances syndicales, et où les courants sont l’émanation plus ou moins directe des partis politiques. Mais l’habitude de tenir des assemblées étudiantes par département universitaire s’est perpétuée.
Examen d’entrée
Pourtant, le paysage s’est profondément modifié, sous l’effet de plusieurs facteurs. D’abord, il y a eu la grande mobilisation lycéenne de 1998 contre la réforme du Pasok, dont le texte durcissait les conditions de travail et l’entrée en fac. Même si le mouvement a été, à l’époque, contrôlé par les lycéens du KKE, bien des étudiants actuels sont marqués par cette lutte ou par cette réforme, qui a été allégée depuis lors. Ensuite, la création de nombreuses petites facs a modifié, peu à peu, le paysage universitaire grec, permettant l’installation d’étudiants dans toutes les parties du pays.
Aussi, le cadre européen a commencé à se faire de plus en plus pressant, en particulier depuis le « processus de Bologne » (1999) et l’objectif d’un espace européeen de l’enseignement supérieur, les discours sur la nécessité d’évaluer les universités et leurs résultats se renforcent. Ainsi, le président des patrons grecs vient de déclarer qu’il fallait arrêter de produire des diplômés chômeurs, donnant pour perspective à la Grèce la délivrance de diplômes de seconde catégorie ! Il faut donc « moderniser » l’enseignement supérieur, c’est-à-dire fonder des facs privées pour moderniser non seulement l’économie, mais aussi toute la vie en Grèce. Enfin, la très large participation des jeunes aux mobilisations antilibérales de ces dernières années est un facteur très positif. Des dizaines de milliers de jeunes ont participé au récent Forum social européen d’Athènes.
Esquissons aussi le fonctionnement du système éducatif grec pour comprendre la profondeur de la crise actuelle. Tout le système est fondé sur l’examen d’entrée à l’université. Il s’agit d’un concours national, où le classement détermine la discipline des études et la ville où elles se feront, le risque étant bien sûr de se retrouver à faire des études non choisies dans une ville loin de celle qu’on avait exprimée en premier vœu...
Droit aux études
Pour obtenir le meilleur choix, il faut donc se préparer très tôt à ce concours (dès le collège parfois), et la solution passe par un immense réseau parascolaire privé où le bachotage payant est incontournable pour l’immense majorité des familles : entre les collèges et lycées privés (plus rares qu’en France) mais, surtout, les innombrables boîtes à bac, on estime que les dépenses annuelles pour le second degré se montent à environ 218 millions d’euros pour les familles au revenu mensuel de moins de 1 800 euros - les plus nombreuses -, à 1,127 milliard d’euros pour celles aux revenus supérieurs à 1 800 euros. C’est dire à la fois l’ampleur de ce marché éducatif, et l’injustice sociale criante que représente l’existence d’un secteur éducatif privé ! Le seul point qui faisait la force du système jusqu’alors était qu’au bout du compte, presque tous les lycéens qui passaient ce concours pouvaient se retrouver étudiants, même si c’était parfois sur la base de résultats très mauvais.
Pourquoi, alors, cette frénésie de réforme universitaire, dans un cadre qui fonctionnait et qui rapportait gros à certains ? Les facteurs sont divers : le financement public est largement insuffisant, aussi bien pour le secondaire que pour le supérieur ; les dépenses des familles explosent, sans pour autant que la possession d’un diplôme évite le chômage. Incapable par nature de proposer des solutions sociales, la droite répond à cette crise totale du processus éducatif par un mélange de mesures aboutissant à une restriction sévère du droit aux études pour les plus pauvres !
D’abord, il s’agit d’étendre la répression antijeunes et de renforcer la sélection sociale. Cette année, le gouvernement a adopté une mesure dénoncée jusque-là surtout par l’Olme, le syndicat des professeurs de collèges et de lycées : ne seront admis en fac que les candidats ayant au-dessus de dix de moyenne ou ayant le nombre de points nécessaires aux options choisies. Les projets de revenir sur la gratuité des livres de cours vont dans le même sens.
Enseignement public
Aussi, les universités privées seraient, après modification de la Constitution et sur la base de la complicité de la droite et de la direction du Pasok, soumises au libéralisme européen. Il s’agirait avant tout de donner satisfaction à quelques grosses facs étrangères qui ont ou veulent, en lien avec des établissements privés locaux, développer des certifications sur place (actuellement non reconnues). On estime que le nombre d’étudiants dans ces « facs » privées pourrait alors passer de 20 000 actuellement à 50 000, sans oublier une partie des étudiants qui, jusqu’à maintenant, partent de Grèce pour aller étudier dans un autre pays (diplôme alors reconnu en Grèce, mais qui occasionne des frais de séjour à l’étranger élevés). L’accentuation de la marchandisation - des boîtes privées liées à des facs, dont quelques facs françaises, vendent « leurs » diplômes comme de vulgaires produits, en déconsidérant les diplômes publics grecs - est donc à l’ordre du jour. L’autre versant de ces mesures réactionnaires serait, bien sûr, une « rationalisation » à la sauce capitaliste : faire prendre en charge les frais d’études par les étudiants et leurs familles reviendrait à accentuer le désengagement de l’État.
On a ici relaté les luttes des étudiants, conscients des régressions qu’apporterait la réforme de l’université. Précisons que ce mois-ci, une autre forte mobilisation se dessine. Au moins 40 villes moyennes sont frappées par l’application de la mesure numéro deux sur les notes plafonds : à peu près un tiers des candidats à l’examen d’entrée en fac ne seront pas reçus et ne rejoindront pas les petites facs où se retrouvaient souvent les candidats mal classés. Résultat : des menaces terribles sur des villes où les étudiants pouvaient représenter le quart de la population, et un appel de maires à refuser la nouvelle sélection ! Un système basé sur le coûteux bachotage privé est incapable de produire des résultats correspondant aux sacrifices consentis par les élèves et leurs familles. Une seule solution : une lutte générale pour l’enseignement public pour tous, avec des budgets à la hauteur ! C’est le sens que nous voulons donner aux rendez-vous de lutte de la rentrée.
Encarts
La rentrée sera chaude
Les ministres de l’Éducation de l’OCDE1 avaient rendez-vous dans un « bunker balnéaire », près d’Athènes, du 27 au 29 juin. À nouveau, de graves violences policières ont eu lieu (étudiants et journalistes frappés et gazés dans le centre-ville, le 27), et des pressions ont été faites sur les compagnies de cars pour les dissuader d’amener les jeunes le 28 sur le lieu de rencontre des membres de l’OCDE.
De fait, la très forte mobilisation était plus que jamais nécessaire : dès le premier jour, le secrétaire de l’OCDE, Angel Gurria, proférait que « l’enseignement supérieur est une marchandise exportable » et que « l’université reposant sur le budget de l’État n’est pas la solution acceptable » ! On comprend que, deux jours plus tard, au Parlement, le chef de la droite et celui du Pasok (socialiste) aient alors pu plaider tous les deux pour une ouverture « raisonnable » des facs au privé !
Cette mascarade ne fait que renforcer la défiance du monde universitaire par rapport aux projets de Caramanlis ! Et une partie de la droite en est même arrivée à demander la démission de la ministre de l’Éducation. La droite étudiante est partagée entre sa tradition agressive et la nécessité de se raccrocher un peu au mouvement. Le Pasok n’est pas épargné : lors d’une cérémonie avec G. Papandreou, nombre de jeunes socialistes ont scandé des mots d’ordre pour l’université publique et gratuite.
Si le mouvement est suspendu en ce début juillet, tout le monde est conscient des urgences de la rentrée, avec refus du fameux « dialogue » voulu par le pouvoir. Les 9 et 10 septembre, un rassemblement national sera organisé à l’occasion du discours de rentrée du Premier ministre à Salonique. Et, surtout, on va vers une extension des luttes, avec des appels nationaux en ce sens dans les premier et deuxième degrés. Reste, sur cette base prometteuse, à construire la grève générale pour le droit de tous à l’éducation !
1. Organisation de coopération et de développement économiques.
« La coordination nationale envisage des journées de manifestations »
Rencontre avec Andreas, membre d’OKDE-Spartakos (section grecque de la IVe Internationale) qui a été de toutes les mobilisations récentes.
Quels sont, selon toi, les points positifs de la mobilisation ?
Andreas - D’abord, la mobilisation en elle-même ! Après tant d’années, ce n’est pas rien qu’avoir vu des dizaines de milliers d’étudiants occuper la rue, sur des questions de politique éducative, et se joindre ainsi à toutes les luttes semblables qui ont lieu en Europe. Et, ce faisant, une grande partie des étudiants a rompu avec la routine du strict « point de vue étudiant », se voyant bien plus comme travailleurs en formation. Ajoutons le résultat politique : on a empêché le pouvoir de faire passer sa loi en juillet, et il est maintenant très gêné pour fixer un nouveau calendrier ! Enfin, la structuration du mouvement en coordinations locales et nationale, avec implication concrète de nombreux étudiants non organisés, est capitale. Bien sûr, le rôle de premier plan joué par l’extrême gauche est un encouragement, tant pour nous que pour l’ensemble du mouvement.
Des points négatifs ?
Andreas - Le fait qu’il n’y ait pas élection des représentants a parfois posé problème : on a pu, quelquefois, se demander qui avait pris telle décision (parcours de manifestation, déclaration de presse), et il est bien qu’on commence à discuter de cela. De même, dès qu’il n’y avait plus consensus, des réflexes de groupes politiques intervenaient parfois de manière étroite, sans qu’ils donnent à chacun toutes les données pour pouvoir juger.
Les perspectives ?
Andreas - Difficile d’être très précis : cela dépend beaucoup de l’avenir du projet de loi. Sera-t-il déposé avant les élections d’octobre ? En tout cas, la coordination nationale envisage, outre la manifestation à Salonique début septembre, des journées de manifestations pendant les examens reportés, et une campagne d’information auprès des futurs nouveaux étudiants, encore plus concernés que nous.
Propos recueillis par A. S.