Le président tunisien, Moncef Marzouki, revenu précipitamment du Caire, devait intervenir à la télévision nationale. Tous les partis politiques ont, de leur côté, organisé des réunions de crise. Dans l’opposition, quatre d’entre eux – Nida Tounès, Al-Joumhouri, Al-Massar et le Front populaire – ont annoncé la suspension de leur participation aux travaux de l’Assemblée constituante et appelé à une grève générale jeudi 7 février.
A la clinique Ennasr de Tunis, une foule considérable et très émue était déjà présente lors de l’annonce officielle du décès de Chokri Belaïd. Puis l’information s’est rapidement propagée et plus d’un millier de personnes commençaient à s’attrouper devant le ministère de l’intérieur tandis qu’à Paris, un rassemblement devant l’ambassade de Tunisie était organisé dès la fin de matinée.
En début d’après-midi, plusieurs locaux d’Ennahda (le parti islamiste au pouvoir), notamment à Sidi Bouzid, Gafsa et au Kef, étaient attaqués par des manifestants en colère. Les forces de sécurité tentaient de les repousser avec des gaz lacrymogènes.
A Paris, des opposants à Ennahda occupent symboliquement l’ambassassade de Tunisie pour réclamer la démission du gouvernement et la dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR), qualifiées de milices islamistes.
LA FAMILLE ACCUSE ENNAHDA
L’assassinat de Chokri Belaïd n’a pas été revendiqué. Mais partisans et sympathisants de l’opposition dénoncent déjà à l’unisson le « premier assassinat politique » en Tunisie depuis la chute de l’ancien dirigeant Zine El-Abidine Ben Ali en janvier 2011 et affirment : « On a assassiné un démocrate ». Tous les regards se portent en particulier contre Ennahda, ouvertement accusé par la famille d’être responsable du meurtre de l’opposant.
Bien connu des Tunisiens, avec sa casquette vissée sur sa tête et sa grosse moustache, Chokri Belaïd, 47 ans, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, allié au Front populaire (qui réunit plusieurs formations de gauche) ne ménageait pas ses critiques contre Ennahda.
La veille encore de son assassinat, mardi 5 février, il dénonçait sur un plateau de télévision « la stratégie méthodique d’explosion de violence à chaque crise au sein du Mouvement Ennahda ». Quelques jours plus tôt, il avait également accusé les « milices » du parti, les Ligues de protection de la révolution (LPR) maintes fois soupçonnées de violences, d’être à l’origine de plusieurs agressions contre les rassemblements organisés par des partis d’opposition. Il avait, enfin, été très actif lors des manifestations de Siliana, en novembre, violemment réprimées.
« PLONGER LE PAYS DANS LE DÉSORDRE »
Mercredi matin, le chef du gouvernement tunisien Hamadi Jebali, issu du parti islamiste Ennahda, a réagi en dénonçant « un acte criminel, un acte de terrorisme pas seulement contre Belaïd, mais contre toute la Tunisie ». « Le peuple tunisien n’est pas habitué à ce genre de choses, c’est un tournant grave, a-t-il déclaré sur la radio Mosaïque FM. Notre devoir à tous, en tant que gouvernement, en tant que peuple c’est de faire preuve de sagesse et de ne pas tomber dans le piège du criminel qui vise à plonger le pays dans le désordre ». Selon M. Jebali, Chokri Belaïd, a été tué de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, le long manteau traditionnel en laine dotée d’une capuche.
Depuis le bureau d’Ennahda à Londres, le chef du parti Rached Ghannouchi a fait parvenir un communiqué dans lequel il « condamne fortement le crime haineux qui a visé M. Belaïd » et appelle les Tunisiens « à l’unité et à la vigilance contre ceux qui cherchent à plonger le pays dans la violence ».
L’assassinat de Chokri Belaïd intervient dans un contexte politique très tendu en Tunisie. La troïka au pouvoir, formée après les élections d’octobre 2011 par Ennahda, le Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, et le parti Ettakatol dirigé par le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jafaar, est au bord de l’implosion, les trois partis ne parvenant pas à se mettre d’accord sur le remaniement ministériel promis depuis des mois.
Isabelle Mandraud