Claude Larrieu – Heureux que tu sois revenue parmi nous Aurore ! Ton extradition à Madrid le 1er novembre, ta libération conditionnelle deux mois après ont été deux événements politiques aussi inattendus l’un que l’autre. Comment les expliques-tu ? Comment as-tu vécu ton incarcération ? Quelle est aujourd’hui ta situation judiciaire ?
Aurore Martin – La rapidité avec laquelle tout s’est passé – quelques heures seulement entre l’interpellation et la remise à la Guardia Civil, la police espagnole, qui m’attendait en force à la frontière – indique qu’il y a eu préparation et gestion bien antérieures, qui ne peut venir au minimum que du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Ce que confirme d’ailleurs la déclaration du gouvernement espagnol parue dans la presse, où il se félicite de la collaboration avec le gouvernement français.
J’ai été stupéfaite d’être libérée moins de deux mois plus tard : la moyenne pour un dossier de preso est de deux ans de préventive. C’est la très forte mobilisation et la pression populaire qui ont permis ma libération.
Les conditions d’emprisonnement étaient dures. Comme tous les presos, j’étais sous le régime du « statut spécial restrictif » qui coupe les prisonniers de l’extérieur, leur interdit les contacts entre eux, empêche des activités, permet l’enregistrement des visites familiales, intimes, des appels téléphoniques etc. De plus je suis resté isolée le premier mois. Le courrier reçu des autres presos, d’Iban Pena, preso à Soto, puis l’arrivée d’Olga Comes (sous le coup d’un MAE) dans ma cellule m’ont beaucoup aidée.
Je suis maintenant en libération conditionnelle, en attente du procès. Sous contrôle judiciaire, je dois pointer chaque mois dans un tribunal de l’État espagnol.
Tu étais à la manifestation à Bilbao pour le respect des droits des presos. Tu y as rencontré notre camarade Philippe Poutou. Tes impressions sur cette manifestation ? Comment vois-tu la suite ?
La manifestation de Bilbao a été spectaculaire. 115 000 personnes dans la rue pour les droits des presos (ils sont plus de 600, dont 136 dans les prisons françaises) ! La présence de Philippe Poutou, seul représentant d’organisation « française » a été remarquée et appréciée.
Les presos pâtissent aujourd’hui d’une forte répression et subissent des conditions carcérales très difficiles. Les objectifs immédiats sont : leur regroupement au Pays basque, la libération immédiate des gravement malades (ils sont 13), des conditionnables, de celles et ceux ayant accompli les trois quarts de leur peine… Il faut de plus qu’ils soient enfin reconnus en tant que prisonniers politiques. La perspective reste plus que jamais de développer la mobilisation.
Aujourd’hui, le Pays basque crée les outils pour le dialogue, s’engage pour la résolution politique, démocratique et pacifique du conflit. Mais c’est un processus unilatéral, les États espagnol et français font la sourde oreille. Le gouvernement Hollande doit changer d’attitude. L’État français peut et doit faire un premier pas vers le processus de paix. Il serait alors difficile pour l’État espagnol de ne pas suivre. La clé pour que se débloque cette situation est l’engagement massif de la société civile.
L’organisation dont tu fais partie, Batasuna, a annoncé son auto dissolution dans une conférence de presse à Bayonne le 3 janvier. Peux-tu nous en résumer les raisons ? Quelles sont maintenant vos perspectives ?
L’autodissolution de Batasuna est une décision logique. Elle succède à l’autodissolution d’Askatasuna, organisation de soutien aux presos, puis de l’organisation de jeunesse Segi il y a quelques mois. Ces outils ont été créés il y a une dizaine d’années, dans un autre contexte. C’était une période de confrontation, et il fallait implanter Batasuna au Pays basque Nord.
Aujourd’hui, avec le processus de paix, s’ouvre un nouveau cycle et nous avons fait preuve de maturité. Quant à notre avenir, nous nous donnons plusieurs mois pour en décider.
Ceci dit, notre engagement reste le même, avec une orientation double, indépendance et socialisme. Nous œuvrons pour la reconnaissance du Pays basque Nord et d’Eskual Herria, le Pays basque. La sortie du conflit doit s’accompagner du droit à l’autodétermination. Dans ce cadre démocratique, l’officialisation de l’euskara (la langue basque), les questions sociales, l’autogestion, etc. auront toute leur place.
Propos recueillis par Claude Larrieu
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 178 (17/01/12).
Aurore Martin libre, le combat continue !
Livrée à Madrid par le gouvernement Hollande suite à un mandat d’arrêt européen (MAE), Aurore Martin, militante de Batasuna (organisation de gauche indépendantiste interdite en Espagne et légale en France), a été libérée le 21 décembre, après avoir passé deux mois dans les geôles espagnoles pour simple délit d’opinion.
Sa libération était assortie d’une caution de 15 000 euros qui ont pu être collectés en quelques heures dans le Pays basque grâce à un soutien exceptionnel. C’est une forte mobilisation, continue et sans faille depuis plusieurs semaines, qui a permis cette libération conditionnelle. Aurore peut rester en France, mais doit pointer chaque mois au tribunal en Espagne, où il faut qu’elle dispose d’une domiciliation. Il reste maintenant à obtenir le non-lieu.
La lutte se poursuit pour l’abrogation des lois d’exception et du MAE
Malgré l’arrêt définitif de l’activité armée de l’ETA il y a maintenant plus d’un an, les États espagnol et français refusent en effet tout dialogue et maintiennent la voie répressive : le 19 décembre, le directeur de Gara, quotidien du Pays basque sud, a été inculpé pour apologie du terrorisme suite à un courrier des lecteurs rappelant la mort de deux étarras, il y a 25 ans, dans l’explosion de leur bombe. Son inculpation accompagnait celle des six auteurs du courrier. Le même jour, onze personnes étaient inculpées pour avoir exhibé des photos de presos (prisonniers politiques basques) lors d’une manifestation le 30 juin dernier à Vitoria.
Tel est le contexte dans lequel Herrira (organisation de soutien aux presos et réfugiés basques) appelle à une « mobilisation populaire générale » le 12 janvier à Bilbao. Plus de 100 000 manifestants sont attendus ce jour-là dans les rues de la capitale biscaïenne pour exiger, comme premier pas, le regroupement des presos au Pays basque, la libération des prisonniers gravement malades et conditionnables, et de façon générale le respect des droits des presos. Ils sont aujourd’hui plus de 600, dont 137 dans les prisons françaises.
Le combat continue pour obtenir la libération et l’amnistie pour toutes et tous. C’est bien la rue qui imposera son mot d’ordre aux États espagnol et français : « Presoak etxerat, amnistia osoa ! (Les prisonniers à la maison, amnistie totale !) ».
Claude Larrieu
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 176 (03/01/13).