José Coutinho – Comment évalues-tu la déclaration du Ministre Pepe Vargas pour qui le nombre de familles installées sur des terres pour les faire produire baissera dans les années qui viennent ?
Alexandre Conceiçao – C’est une déclaration lamentable. Les conflits agraires et la violence dans les zones rurales sont em train d’augmenter. Pour ne prendre qu’un exemple, voyez celui des haciendas du banquier Daniel Dantas, dans l’État du Pará, qui font l’objet de négociations avec le Ministère du Développement Agraire (MDA) et l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (INCRA) depuis plus de trois ans. L’accord disait que sur les six haciendas que nous occupions, trois seraient consacrées à la réforme agraire. Aujourd’hui l’INCRA n’a pas effectué la moindre inspection de ces zones. Par conséquent le Ministre se trompe lorsqu’il affirme que la Réforme Agraire va diminuer parce que le nombre de familles sous tentes a diminué. Au contraire la pression se maintient, il y a un grand nombre de familles dans les campements, environ 180 mille familles, et les conflits se multiplient. Ce qui s’est produit dans l’État du Pará en est le résultat. L’autre élément, c’est la sécheresse du Nord-Est et du Sud. Les familles ont perdu leurs productions, leur infrastructure, leurs animaux. Et les politiques présentées par le MDA et l’INCRA jusqu’à l’heure actuelle sont insuffisantes pour résoudre le problème de la sécheresse.
JC – Où en est la Réforme Agraire cette année ?
AC – La Réforme Agraire est totalement arrêtée. Nous alertons sur le fait que si les choses continuent ainsi le résultat de cette année sera pire que celui de 2011. On tend à ce que les luttes et les mobilisations qui reprennent vigueur, exercent une pression croissante de mois en mois. La région du Sud a commencé à se remobiliser ainsi que le Nord-Est. Nous allons organiser de nouvelles mobilisations car la Réforme Agraire reste ignorée. Lors de la mobilisation d’avril auprès de l’INCRA et du MDA le gouvernement a proposé de créer un groupe de travail pour décentraliser et exproprier la terre et installer des familles dans les situations les plus précaires. Le gouvernement a promis de former ce groupe et de donner une réponse dans les trente jours. Aujourd’hui ce groupe n’a même pas été formé. Il y a une perspective de former ce groupe dans la semaine qui vient mais ce n’est pas sûr. Nous sommes à la moitié de l’année et il n’y a pas de réponses, parce qu’il n’y a pas de programme de Réforme Agraire, parce que le gouvernement ne réussit pas à articuler ce programme.
JC - Selon le Ministre Pepe Vargas, 22.600 familles ont été installées en 2011...
AC – Les chiffres de 2011 sont les plus honteux de l’histoire du Brésil pour les 16 dernières années. Ce fut le pire indice de cette période, une honte pour le gouvernement de Dilma, pour le MDA et pour l’INCRA. Les installations de l’an dernier n’ont pas concerné les familles qui vivent dans des campements. Le ministre se trompe en affirmant que le nombre de familles sous tente a diminué. Il suffit de voir les chiffres de l’INCRA. Les déclarations du ministre montrent que ni le MDA ni l’INCRA n’ont de plan d’expropriation de terres et de Réforme Agraire. Ils n’ont ni plan, ni infrastructure, ni ressources pour exécuter cette tâche.
JC – Pourquoi la Réforme Agraire est-elle arrêtée ?
AC – Nous subissons la forte poussée des entreprises transnationales dans l’agriculture brésilienne. Le budget de ces entreprises est dix fois supérieur à celui du MDA, de l’INCRA et du Ministère de l’Agriculture. Par conséquent ces entreprises ont le pouvoir dans les zones rurales. Le gouvernement est impuissant à réaliser la Réforme Agraire et à mettre un frein à l’achat de terres par les étrangers dans le pays. Il y a une limite de 100 mille Reales (real brésilien = 0,4 euros) pour les investissements dans l’installation de chaque famille après l’expropriation des terres. Ce montant par famille rend impossible, vu l’inflation du prix des terres causée par les transnationales et par l’achat de terres par des capitaux étrangers, d’acquérir des terres de bonne qualité pour développer l’agriculture biologique, pour produire des aliments sans poisons. Pour exproprier des terres le budget du gouvernement de cette année est de 560 millions de Reales, ce qui est insuffisant pour installer les 186 mille familles qui attendent dans les campements.
JC – Le discours gouvernemental sur la Réforme Agraire est qu’il n’est plus nécessaire d’installer davantage de gens mais de garantir des investissements dans les unités productives existantes. Comment vois-tu ce discours ?
AC – C’est un discours irritant, répété dans tout débat avec le gouvernement sur la question agraire. Nous aussi nous voulons des investissements. Mais où ont-ils lieu, en fait ? Où est le budget pour construire des maisons, des villages ruraux, des postes de santé et des écoles ? Dans les dix dernières années ont été fermées plus de 37 mille écoles rurales. Malgré ce discours, rien ne se produit en pratique. Pas de création d’unités productives, pas d’investissements dans les zones de La Réforme Agraire.
JC – Quelle quantité de ressources publiques est-elle consacrée aux familles d’agriculteurs et aux grands propriétaires ?
AC – L’an passé 14 milliards de Reales ont été à l’agriculture familiale et 150 milliards pour l’agrobusiness. Cette semaine le gouvernement va lancer le « Plan Production » 2012/2013. Le montant va tourner autour de 180 milliards de Reales pour l’agrobusiness. En contrepartie le gouvernement va consacrer 18 milliards à l’agriculture familiale. Dix fois moins d’investissements pour l’agriculture familiale, qui produit 70% des aliments et génère de nouveaux emplois pour chaque hectare cultivé. En outre l’agrobusiness est complètement endetté, et repousse le paiement de ses dettes au gouvernement brésilien, alors que les dettes des agriculteurs auprès des banques tardent à être renégociées.
JC – Le Plan National d’Agroécologie devrait être annoncé à Rio+20, mais jusqu’à présent rien n’est sorti. Quelle est l’importance de ce plan ?
AC – Ce qui a été présenté jusqu’ici ne résoudra pas le problème de l’agriculture familiale. La proposition n’a pas la capacité de garantir que l’agroécologie devienne une politique qui combatte les effets négatifs de l’agrobusiness. Dans la forme sous laquelle il a été présenté jusqu’à présent ce plan ne va pas générer de grands changements dans les zones rurales. Nous avons besoin de plans plus structurants. Le gouvernement a invité les mouvements à discuter le plan, a fait un pré-lancement depuis la Présidence et a décidé de le présenter au sommet de Rio+20 pour redorer son blason après l’échec des changements au Code Forestier. Le plan est très timide dans la remise en cause du modèle de l’agriculture brésilienne, qui consomme aujourd’hui 20% de tous les produits toxiques dans le monde. Le plan est insuffisant pour une agriculture qui, selon l’Agence Nationale de Surveillance Sanitaire (Anvisa) produit le cancer à travers le travail agricole et à cause de la consommation d’aliments empoisonnés. D’autre part la libération des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) avance de plus en plus.
JC – Le gouvernement tente de faire en sorte que le modèle agroécologique et l’agrobusiness coexistent. L’existence de ces deux modèles agricoles est-elle compatible ?
AC – Impossible. L’agrobusiness utilise des OGM et des produits toxiques agricoles, concentre la terre et en expulse les petits producteurs pour exporter sa production. La coexistence de ces deux modes de production est impossible d’un point de vue pratique. Du point de vue politique et économique, on ne peut perpétuer cette politique de faibles investissements dans l’agro-écologie et de grandes subventions aux requins de l’agrobusiness.