La campagne électorale aux États-Unis tourne autour du débat entre la droite américaine la plus réactionnaire et Obama présenté comme un socialiste à l’européenne. Mais même si ce dernier reprend des mots d’ordre initiés par le mouvement Occupy Wall Street, les mesures qu’il défend concernent principalement les plus riches et laissent de côté la plus grande partie de la population et notamment les Afro-Américains et les latinos.
L’amère réalité de la politique américaine, c’est qu’aucun des grands partis ne s’exprime pour les travailleurs ou les pauvres. Le président Obama aime parler de la « classe moyenne » et de son action pour la défendre, mais il ne mentionne que rarement le fait que la pauvreté frappe avant tous les Afro-Américains et les Latinos. Alors que, personnellement, il soutient les programmes sociaux en faveur des travailleurs pauvres, ses propositions budgétaires vont réduire les crédits pour ces programmes.
Les républicains sont pires. Ils proposent à la fois des coupes dans les dépenses de Medicaid qui concernent les pauvres et de nouvelles baisses d’impôts pour les sociétés et les super-riches. Les candidats républicains à la présidentielle semblent ne parler que pour les 1% et la classe supérieure. Mitt Romney, le candidat en meilleure position, a été un dirigeant du fonds de placement Bain Capital et a déclaré ouvertement qu’il n’a « pas de souci à propos des très pauvres car ils ont un filet de protection sociale ». Il a ensuite déclaré que ce n’était pas ce qu’il voulait dire. Mais, bien sûr, c’est exactement ce qu’il pense même s’il est gêné de l’avoir exprimé de cette façon. Naturellement, il n’a pas non plus de soucis pour les riches, puisque ses propositions économiques prévoient une baisse supplémentaire de leurs impôts.
La fortune nette de Romney est de 250 millions de dollars. Il vit de ses placements et il n’a pas travaillé plus de dix ans de sa vie, tout en disant en plaisantant qu’il est chômeur. […] Il ne paye que 13, 9 % de son revenu en taxes fédérales sur le revenu, tout en ayant dissimulé une partie de sa fortune dans des comptes à l’étranger.
Les rivaux de Romney dans la primaire républicaine n’ont eux aussi aucun rapport avec le monde du travail. Newt Gingrich qualifie le président Obama de « socialiste à l’européenne » qui partage les vues de son père né au Kenya. Il affirme à ses supporteurs que Obama est « non-américain, ce n’est pas un des nôtres ». Rick Santorum a pour principale qualification d’être plus chrétien que le pape. Il s’oppose aux droits des femmes, pas seulement à l’avortement mais aussi à la contraception. Il calomnie les homosexuels et regarde de haut l’éducation publique. Interrogé sur le coût élevé de la santé et des médicaments, il a ridiculisé celui qui a posé la question et a défendu le droit des sociétés pharmaceutiques à faire des profits importants.
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L’extrême droite républicaine à l’offensive
Le retour à l’Amérique d’avant l’élection du premier président afro-américain est un thème commun à tous les candidats républicains. […] D’un point de vue républicain, Obama est une création des médias libéraux et son élection fut un coup de chance. Leur Amérique est une Amérique où les Blancs de toutes conditions se sentent bien avec un gouvernement qui leur ressemble, un pays où les minorités ethniques se tiennent « à leur place ».
L’appareil de l’extrême droite conservatrice (les élites républicaines, les animateurs de radio, et les instituts de réflexion fondés par des milliardaires) défend les inégalités de revenus et le darwinisme social. Leurs publications […] prêchent la supériorité du marché et les raisons pour lesquelles les inégalités sont le moteur du capitalisme à l’américaine.
« L’avidité est bonne et la réglementation mauvaise », tel est leur mot d’ordre. C’est pour eux la base de l’« exception américaine », la raison pour laquelle les États-Unis sont le pays le plus grand et le plus novateur et, selon l’expression de Romney, « l’espoir du monde ». Ils soutiennent que n’importe qui peut devenir riche, les inégalités de revenus et de richesse étant les signes d’un système de marché dynamique (la réalité est que la mobilité sociale est désormais moindre aux USA que dans la plupart des autres pays industriels).
La majorité des Américains, y compris les électeurs républicains, pensent que les riches devraient payer plus d’impôts, soutiennent l’assurance-chômage et la sécurité sociale ainsi que les fonctionnaires qui combattent les incendies et éduquent leurs enfants. Les faits sont têtus à condition qu’ils soient connus. La désinformation et les mensonges peuvent cependant apparaître comme des faits si la propagande les répète continuellement. C’est pourquoi l’extrême droite se focalise sur un Obama mythique et utilise une stratégie à connotation raciale.
La plupart des blancs cependant ne sont pas racistes et sont réticents devant les allusions raciales de l’extrême droite. La meilleure réponse au racisme est de prendre l’offensive et d’informer le peuple de ce qui se passe. L’échec en la matière durant les trois dernières années est une des principales raisons des coups et des reculs subis dans les votes et les droits civils. Les dirigeants afro-américains n’osent pas créer de problèmes à un président noir en manifestant dans les rues. Il est cependant possible que la brutalité des allusions racistes provoque une réaction et le réveil des organisations sociales. La campagne conduite par le mouvement ouvrier de « Recall » dans le Wisconsin, le référendum de l’Ohio sur les droits des salariés et la large défense du planning familial montrent qu’un potentiel existe.
Obama n’est pas la solution
Que le président Obama soit réélu ou non, il n’est pas la solution, même s’il est l’homme à abattre de l’extrême droite. Obama n’est pas un socialiste, ni même un « libéral » [1] de type New Deal. Il est au mieux un démocrate du centre.
Son programme économique et sa politique étrangère (« le président qui a tué Oussama Ben Laden ») correspondent aux orientations capitalistes dominantes et impérialistes. […]
En fait, la réélection d’Obama correspond aux véritables intérêts de la classe dominante. Il reflète l’avenir de la démographie et de la classe dominante de ce pays, pas le passé. Un mouvement pour effacer les acquis de 50 ans pourrait conduire à une réaction sociale que ni le gouvernement ni Wall Street ne seraient capables de contenir.
La faiblesse de la réponse de masse aux attaques de la droite a nourri les extrémistes dans l’idée qu’ils pouvaient imposer des positions non soutenues par l’opinion publique. Le mouvement « Occupy Wall Street » (OWS) a changé l’équation. Le président reprend des thèmes d’OWS dans ses discours électoraux. C’est une façon à la fois de contrer la tactique raciste des républicains (sans vraiment discuter du racisme) et d’apparaître en phase avec la colère populaire contre les super-riches.
L’approfondissement des inégalités
D’après le bureau du Budget du Congrès, entre 1979 et 2007, les revenus réels (corrigés de l’inflation) des 1% les plus riches ont augmenté en moyenne de 275 % tandis que, durant cette même période, les 60 % d’Américains situés au milieu de l’échelle des revenus ont vu leurs revenus progresser d’environ 40 %. […] En 1979 (date des premières statistiques en la matière du bureau du Budget), le revenu moyen après-impôts des 1 % de ménages les plus riches étaient 7, 9 fois plus élevé que le revenu des 20 % du milieu de l’échelle. En 2007, cet écart est passé à 23,9 : les inégalités ont plus que triplé.
Si on regarde la propriété des richesses (propriétés, capital financier), les 1% les plus riches en possèdent 36, 4 % en 2007 tandis que les 80% du bas s’en répartissent 15 %. La récession de 2008 s’est traduite par un accroissement des écarts : les 1% possèdent désormais 37,1 % de la richesse, et ça augmente.
Le problème pour ceux qui travaillent, les opprimés et les pauvres, c’est la rhétorique d’Obama et des « libéraux » sur les « sacrifices partagés » alors que les sacrifices concernent seulement les 80 % du bas. Obama soutient un accroissement modeste des impôts payés par les riches mais il dit aussi que les 99 % doivent accepter une restructuration de Medicare [2], Medicaid [3], Social Security [4] et d’autres programmes sociaux.
Romney, comme la majorité des 1%, paye moins de 14 % de son revenu en impôts fédéraux. En 2011, les sociétés (dont la Cour suprême déclare qu’elles ont les mêmes droits que les personnes) payent seulement 12,1% de leurs profits en impôts fédéraux (Wall Street Journal du 3 février 2012). Le travailleur à revenus moyens paye deux fois ce taux.
Obama sait que son boulot de président c’est défendre le capitalisme à l’intérieur et à l’extérieur. Marquer un peu d’intérêt pour les préoccupations des travailleurs et des pauvres permet de préserver le Parti démocrate de la protestation populaire. L’événement le plus significatif de l’année 2011 est la montée du mouvement OWS que les démocrates et Obama cherchent à capter. Ce mouvement a modifié le débat dans de larges secteurs du pays : on est passé de la priorité à l’équilibre budgétaire à la question des inégalités (les 99 % contre les 1%). Le mouvement a poussé les pauvres et les travailleurs à demander un changement fondamental.
Et maintenant ?
On demande à ceux qui souffrent de mettre leur énergie au service de la réélection d’Obama. Ce n’est pas la solution. C’est l’action décidée et la contestation de masse qui en ont fini avec la ségrégation légale envers les Noirs. Les principales avancées du mouvement ouvrier dans les années 1930 n’ont pas été des cadeaux de Roosevelt mais le résultat d’actions de masse, y compris de grèves sur le tas.
Des contre-offensives ont suivi chacune de ces victoires historiques. L’objectif de la classe dominante était de limiter puis de revenir autant que possible en arrière. Ils savaient que le temps était de leur côté tant qu’il n’y avait pas de menace sur leur pouvoir politique. Les mouvements de masse finiraient par décliner par autosatisfaction ou épuisement. […] L’objectif actuel de la contre-révolution n’est pas le retour à la ségrégation mais de maintenir les vieilles relations de pouvoir d’une époque dépassée.
Ce qui va arriver maintenant dépendra du mouvement social et de l’action politique indépendante des travailleurs et des pauvres. Il faut centrer les revendications sur les institutions de l’État : les deux partis de la « libre entreprise », le président, le Congrès et les tribunaux. C’est la leçon de « Occupy Wall street », qui semble être un mouvement diffus mais cible les 1%.
Aussi longtemps que le contexte politique sera défini par l’affrontement entre Obama et l’extrême droite en 2012, les travailleurs et les pauvres seront affaiblis et incapables de mettre en avant leurs propres intérêts.
Cependant, la communauté noire sera derrière Obama face à l’escalade des attaques racistes contre lui. La majorité des Latinos, confrontés aux politiques anti-immigrés, et des membres des autres minorités votera aussi probablement pour Obama (à l’exception des Cubano-Américains qui ont le privilège d’avoir immédiatement un statut légal dès qu’ils mettent le pied sur le territoire des États-Unis). Les grands syndicats vont aussi voter pour Obama et les démocrates.
Donc qui va parler pour les 99 % ?
Aucun des grands partis politiques ne le fait.
Ce sont, en fait, les diverses organisations indépendantes et les acteurs de OWS, et les organisations sociales qui expriment des exigences envers le gouvernement et l’État en faveur des travailleurs, des minorités et des pauvres. Ces activités sont indépendantes de la politique électorale. La difficulté est de continuer sur cette voie tout en sachant que la plupart des travailleurs non blancs voteront probablement pour Obama comme pare-feu contre les forces les plus racistes et les plus à droite du pays.
L’histoire montre que les changements radicaux fondamentaux viennent de l’action directe et de la colère populaire. Martin Luther King a manifesté et demandé l’égalité des droits sous des présidents républicains comme démocrates. Le mouvement finit par gagner. Les changements législatifs arrivèrent après la victoire, et pas l’inverse.
Malik Miah