Le Soir : Fallait-il décider de voler une nouvelle fois au secours de Dexia ?
Eric Toussaint : Non, il ne faut pas recapitaliser cette institution, il faut la mettre en faillite le plus vite possible et donc annuler les garanties que la Belgique et la France accordent à Dexia par rapport à ses créanciers. Il s’agit d’un montant de 54 milliards d’euros en ce qui concerne la Belgique, 15% de son Produit intérieur brut.
Le Soir : Une faillite aurait des conséquences très importantes, y compris pour le contribuable…
Eric Toussaint : Dexia, société holding, n’est plus une banque en tant que telle : il n’y a pas de dépôts d’épargnants. Sa faillite ne provoquera donc pas de déboires pour des épargnants. La faillite implique de reconnaître que cette société est ce qu’elle est, à savoir une « bad bank » qui est en train de vendre tous ses actifs valables – elle vient de vendre ses filiales en Turquie, au Luxembourg. Il faut savoir que le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, avec Attac, a déposé une requête en annulation des garanties d’État – le dossier est toujours en cours devant le Conseil d’État. Dans la réponse que nous ont opposée les avocats de Dexia, ceux-ci nous disent que Dexia avait une dette immédiatement exigible le 31 décembre 2011 de 411 milliards et des produits structurés pour une somme un peu supérieure. Les montants qui sont dus par Dexia et les montants qui sont dans son bilan en termes de produits toxiques représentent une somme tellement considérable que Dexia ne pourra pas y faire face. Il est plus que probable – on n’a jamais de certitudes là-dessus– qu’elle n’arrivera pas à ne pas demander l’activation des garanties que lui octroient la Belgique et la France. Il n’y a donc aucune raison pour les pouvoirs publics de maintenir en vie une telle institution de « défaisance ».
Le Soir : Pourquoi les pouvoirs publics la maintiennent-elle en vie, dans votre analyse ?
Eric Toussaint : Pour moi, c’est très clair : Dexia était une institution dont des pouvoirs publics étaient actionnaires – le holding communal, l’État belge, les entités fédérées, l’Etat français, et d’autres actionnaires comme le groupe belge Arco – et en refusant la faillite, on évite que les administrateurs désignés par les actionnaires soient obligés de rendre des comptes. Maintenir une société en vie, dans ce cas-là, permet à une série d’administrateurs importants de quitter la scène tranquillement, sans devoir s’expliquer sur leur gestion. Il y a des noms tout à fait précis, notamment celui de Jean-Luc Dehaene, qui représente une famille politique importante dans la vie politique belge, qui a été Premier ministre, et qui s’en est allé comme administrateur tout récemment.
La deuxième raison, c’est qu’il y a des autorités en Belgique qui étaient chargées de contrôler Dexia, comme toutes les institutions bancaires. C’est l’ex-CBFA (la Commission bancaire, financière et des assurances, remplacée depuis le 1er avril 2011 par l’Autorité des services et marchés financiers et la Banque nationale de Belgique), c’est la Banque nationale, c’est le ministre des Finances et le gouvernement en général. Ce gouvernement et ces autorités de tutelle ont failli à leur rôle. En ne provoquant pas la faillite, ils évitent de prendre leurs responsabilités dans la dérive qu’a connue cette institution.
Propos recueillis par William Bourton