« Le monde entier est contre nous » est l’antienne psychologique des dirigeants israéliens. Il ne se passe pas de semaine sans que le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et Avigdor Lieberman, son ex-ministre des affaires étrangères inculpé par la justice, ressassent cette fable, en s’appuyant sur le souvenir de l’Holocauste : la victimisation reste un ciment efficace de l’unité nationale israélienne.
Parce qu’elle met en exergue les dangers de la colonisation, qui ruine l’espoir des Palestiniens de voir naître un jour un Etat indépendant viable, la presse occidentale est jugée anti-israélienne, une accusation qui, souvent, dissimule mal celle de l’antisémitisme.
L’éditorialiste israélien le plus réputé, Nahum Barnéa, du Yediot Aharonot, serait-il plus légitime ?
Voici son jugement : « Nétanyahou et Lieberman ont fait leurs choix : entre le processus de paix et la perpétuation du statu quo, ils ont choisi le second ; entre le choix de la solution à deux Etats et un »bantoustan« [palestinien], ils choisissent le »bantoustan« ; entre Abou Mazen [surnom de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne] et le Hamas, ils choisissent le Hamas . »
EHOUD OLMERT N’EN FAIT PAS PARTIE
Une analyse sévère, à l’opposé de celle des hommes politiques qui soutiennent le premier ministre, en se situant à droite, voire à l’extrême droite, du spectre politique.
Ehoud Olmert n’en fait pas partie. Pour l’ancien premier ministre, ils mènent « une politique diamétralement opposée aux intérêts existentiels d’Israël ». « Nous renforçons les forces extrémistes ayant à leur tête le Hamas et le Djihad islamique, et nous affaiblissons les forces modérées avec lesquelles il pourrait être possible d’engager un dialogue . »
Ce cri d’alarme de M. Olmert ne sera pas entendu car il se situe à contre-courant de la radicalisation de la société israélienne, et surtout parce que l’Etat juif est en campagne électorale.
D’ici au scrutin législatif du 22 janvier 2013 et sans doute au-delà, aucune voix consensuelle ne se fera entendre en Israël, et les chances d’un frémissement du processus de paix israélo-palestinien sont nulles.
NE PAS ÊTRE DÉPASSÉ PAR NAFTALI BENNETT
La préoccupation politique de M. Nétanyahou, c’est de ne pas être dépassé sur sa droite par Naftali Bennett, chef du parti Habayit Hayehoudi, et ce en dépit de l’éviction des « modérés » lors des primaires de son parti, le Likoud.
Le premier ministre suit les conseils du très républicain consultant new-yorkais Arthur Finkelstein : ne pas s’abaisser au niveau d’adversaires qui veulent mettre en cause son bilan social et économique, parler toujours de la sécurité d’Israël, et surtout construire, coloniser « dans toutes les zones qui sont sur la carte [de ses] intérêts stratégiques ».
M. Nétanyahou a le cuir politique épais : que l’Union européenne se dise « consternée » par la relance de la colonisation visant à punir les Palestiniens d’avoir obtenu aux Nations unies un statut d’Etat observateur non membre, que Rahm Emanuel, maire de Chicago et proche de Barack Obama, apparente celle-ci à une trahison de M. Nétanyahou, après que Washington eut accordé un soutien implicite à la guerre de Gaza de la mi-novembre, voilà qui relève de l’épiphénomène diplomatique.
UNE CÉCITÉ HISTORIQUE
Les dirigeants israéliens veulent ignorer leur isolement international et se refusent à admettre que le vote de l’ONU est une reconnaissance implicite de la Palestine dans les frontières de 1967, un cadre qui borne aussi celles de l’Etat juif.
La communauté internationale soutient le principe de deux Etats. Problème : tout montre que M. Nétanyahou, comme s’il était victime d’une cécité historique, n’en veut pas.
La fuite en avant de la colonisation donne du grain à moudre aux éléments radicaux du mouvement palestinien, à Gaza comme en Cisjordanie ; elle accentue le phénomène de la « peau de léopard » que forment des enclaves palestiniennes sans continuité territoriale ; elle mène Israël vers un Etat binational, lequel, parce qu’il n’accordera pas des droits égaux à l’inexorable majorité arabe, transformera Israël en démocratie parlementaire dictatoriale.
Bien des experts israéliens affirment qu’en laissant le Hamas exploiter sa « victoire politique » lors de la guerre de Gaza, M. Nétanyahou a choisi le camp le plus ultra, pour mieux affaiblir M. Abbas, et ainsi torpiller la solution de deux Etats.
Le calcul n’a rien d’original : la division du mouvement palestinien est une constante de la politique menée par M. Nétanyahou.
IMPOSER SA STRATÉGIE POLITIQUE AU FATAH
Mais celle-ci peut avoir des effets inattendus : enhardi et auréolé par sa résistance aux bombardements israéliens, le Hamas est en train d’imposer sa stratégie politique au Fatah, le parti de M. Abbas. En son sein, le rééquilibrage s’est effectué au profit des faucons.
Lorsque Khaled Meschaal, chef du bureau politique réputé modéré, exhorte à libérer la Palestine « de la mer au fleuve », peut-être est-il gagné par l’euphorie de la victoire, mais peut-être aussi M. Abbas se berce-t-il encore d’illusions sur la réconciliation palestinienne.
Dans l’immédiat, le Hamas pose des jalons pour une possible reconquête politique de la Cisjordanie.
C’est une perspective qui devrait inquiéter autant le chef de l’Autorité palestinienne... que l’apprenti sorcier Benyamin Nétanyahou.
Laurent Zecchini, correspondant à Jérusalem