Reggae basque ! Peux-tu te présenter rapidement ?
Fermin Muguruza - Je suis un chanteur basque. J’ai besoin de communiquer les réalités qui me font souffrir. Je trouve que la chanson s’avère le parfait véhicule de l’expression de ce refus, de cette révolte. Je suis artiste et militant à 100 %, tout le temps, en même temps. Il est important de créer, d’offrir quelque chose à la communauté. Je suis né au Pays basque. C’est une partie de mon bagage culturel. Je suis aussi très marqué par mon héritage internationaliste, notamment dans le domaine artistique. Le style que je développe s’appuie sur le punk rock, avec une touche de ska. Ensuite, j’ouvre en grand les portes et m’imprègne de tout ce qui fait sens dans la musique aujourd’hui. J’ai toujours écouté beaucoup de soul, de reggae ou de rock classique comme les Who.
Tu as appartenu à deux groupes mythiques, Kortatu et Neggu Gorriak, quel regard portes-tu sur ton parcours dans ces deux formations ?
F. Muguruza - Tous les artistes, quelle que soit leur discipline, ont connu des époques différentes. Il y a eu le moment Kortatu, qui a connu lui-même une évolution. Et quand nous avons décidé de chanter en basque - vers 1988-1990 -, que nous avons appris la langue, basculer vers Neggu Gorriak, nous avons de nouveau évolué. Ce sont des étapes de ma vie. Ce qui vous permet de comprendre ce que je réalise aujourd’hui. Il y a beaucoup de personnes qui ont commencé, à la même époque que moi, dans la mouvance alternative, le mouvement musical indépendant des majors, que tu peux rencontrer aujourd’hui à travers le monde et qui ont également changé, mais en gardant le même état d’esprit : Ian McKay, ancien chanteur de Fugazzi, Jello Biafra, qui a refusé la reformation de Dead Kennedy, mais aussi des gens comme Michael Franti, qui vient de sortir un disque Yell Fire, très reggae, qui a cheminé du hip-hop vers la soul.
Ton dernier album a été enregistré en Jamaïque, avec des artistes locaux. Comment la rencontre s’est-elle passée avec eux ?
F. Muguruza - C’est la fermeture d’un cycle. J’ai d’ailleurs repris un morceau de Kortatu, un titre dédié à la « rebel music ». J’ai toujours été attentif à la musique jamaïcaine, ses influences, son aura partout dans le monde, en Afrique, en Europe, etc. Quand j’ai commencé les répétitions, les Jamaïcains étaient vraiment intéressés par la langue basque. Ils ont trouvé cela plus intéressant que les groupes étrangers « rasta » qui les imitent, alors que nous ne sommes pas rastas, nous chantons dans notre propre langue. Une sorte de respect s’est installé, un intérêt mutuel. Avant de commencer à jouer, j’ai toujours effectué une petite introduction sur ce que j’allais dire dans ma partie en basque. J’ai aussi réalisé la traduction en anglais. Pour ma part, la rencontre avec Toots Hibbert (ancien chanteur des Maytals), qui avait été repris par les Clash, les Specials, et par Kortatu, fut la plus émouvante. Depuis que j’écoutais sérieusement de la musique, il était mon idole. Pouvoir chanter avec lui fut une sensation très forte. Quelque chose de grandiose, de magnifique. Comme d’enregistrer à Tuff Gong, les studios de Bob Marley.
Qu’est-ce qui t’a le plus frappé pendant ton séjour en Jamaïque ?
F. Muguruza - Ce fut la misère et la dictature économique du FMI. Le remboursement de la dette qui épuise le pays. Et ensuite, les paradis artificiels pour touristes. Nous avons eu seulement deux jours de repos, et je suis passé à Ochio Rios, une enclave touristique, très loin du « real Kingston ». Pendant un mois, nous avons été dedans, dans l’histoire. Là-bas, la musique aide la lutte quotidienne, positive la rage, soigne les maux sociaux. Les musiciens jamaïcains que j’ai rencontrés sont très attentifs à la politique, à ce qui se passe en Afrique, mais aussi, surtout en ce moment, à ce qui arrive en Amérique du Sud, avec Chavez ou Morales, tous ces mouvements de gauche à travers l’Amérique latine. Ils espèrent en quelque chose d’équivalent en Jamaïque, car l’expérience de Manley et du PNP, contrecarré par la CIA, a beaucoup déçu. Maintenant, même si le ragga comporte beaucoup d’homophobie et de clinquant commercial, il reste cependant des artistes conscients, comme Luciano, Morgan Heritage (des Jamaïcains de New York revenus à Kingston) ou Turbulence. Même l’album de Damian Marley apporte quelque chose. Par exemple, sur le morceau Plastic Tukey, on parle de cette dinde en plastique que Bush a offert aux GI à Bagdad, une métaphore pour dénoncer l’impérialisme US.
Quel morceau est-il le plus emblématique de ton disque ?
F. Muguruza - Celui qui donne le titre au disque, en duo avec U-Roy, qui symbolise le clash « fraternel » entre le Pays basque et la Jamaïque. U-roy parle de l’indépendance de la Jamaïque, et moi de l’indépendance de l’Euskadi, qui va venir un jour. Un morceau qui évoque la transformation sociale que la musique peut induire. À Kingston, beaucoup de peintures murales disent : « Nous libérerons la Jamaïque avec notre musique ! »
Comment vois-tu la situation actuelle au Pays basque ?
F. Muguruza - J’habite toujours sur place. Je travaille pour la communauté, dans mon quartier. Le processus a commencé. Dans quelques années, nous verrons la fin de ce conflit armé dont nous avons tant souffert. Les prisonniers politiques rentreront, et nous aurons le droit à l’autodétermination pour décider ce que nous voulons être. J’espère voir, de mon vivant, dans le futur, un Pays basque indépendant et socialiste. Je suis un pessimiste actif !