Il est très intéressant de voir se développer (à nouveau) chez les scientifiques l’envie de pousser des « coups de gueule » collectifs, venus de la base, comme on disait jadis. Ainsi, ce 14 novembre, sur le site du Monde, a été publié sous le titre « Science et conscience » (ça, ça n’est pas nouveau mais remonte au XVIè et à Rabelais) un texte « critiquant la façon dont la communauté scientifique a réagi à la publication de Séralini » (phrase extraite du mail accompagnateur qui nous a été envoyé, à nous journalistes).
Il est évident qu’une seule question importante intéresse le citoyen : les plantes génétiquement modifiées sont-elles ou non dangereuses pour ma santé ? (dont certaines en particulier, tel ce maïs incriminé). Pour revenir sur le fond de l’affaire, l’annonce selon laquelle l’OGM NK603 est dangereux, on pourra d’ailleurs lire les articles qui ont été publiés sur le site de Sciences et Avenir.
Mais ce que nous aimerions souligner aujourd’hui, après la publication de ce texte, c’est l’emploi de certains termes par les signataires, et tout particulièrement celui de « communauté scientifique ». Est-il bien certain que cette « communauté » existe ? Il existe des institutions (académies, instituts, centres de recherche…) organisant les scientifiques ; des entreprises, des fondations, des sociétés savantes qui en regroupent d’autres etc. Traditionnellement, le modus vivendi international des chercheurs – publication dans des revues avec relecture par les pairs, multiples conférences et colloques, échanges divers…- donne bel et bien à penser que se forge effectivement une « communauté ». Elle fit la joie des amateurs du best-seller britannique « A small world » (Un tout petit monde) de l’écrivain David Lodge – que l’on peut toujours relire avec plaisir.
Mais, mais, mais… sur des domaines complexes et conflictuels, jadis (aujourd’hui, très en sourdine) sur la bombe atomique, aujourd’hui sur les questions climatiques, les OGM etc., la « communauté » a toujours été lézardée ! Les intérêts en jeu dépassent tellement ce « petit monde » scientifique qu’il a toujours dû faire face au dilemme classique : comment les individus doivent-ils agir ? Au nom de quelle éthique ? Comment agissent les institutions (Etats, entreprises etc.) ? Au nom de quels intérêts ? Est-ce conciliable ou inconciliable ?
De tous temps, certains scientifiques isolés ont incarné leur science et « dit le vrai ». Parfois avec un courage hors du commun, comme Galilée ou Giordano Bruno, avec affrontement direct entre un pouvoir naissant (la science « moderne ») et un pouvoir établi et virulent comme celui de l’Eglise. Aujourd’hui, les pouvoirs très établis sont ceux d’agences ou de commissions qui doivent dire le droit, autoriser des mises sur le marché, conseiller les nouveaux princes, en temps démocratique. Chacun, que ce soit un scientifique isolé ou une très grosse institution s’efforce d’avoir accès à une expression médiatique. Selon sa puissance, il sera très présent sur des médias de masse classique (télévision, radio, agences de presse, sites Internet, réseaux sociaux…) ou un peu en retrait. Il fera alors usage de blogs, de relais journalistiques de presse écrite, d’autres réseaux sociaux, de livres dans des éditions prêtes à prendre quelque risque financier, d’associations conviant à des conférences grand public etc. Et là, s’exprimera dans toute sa diversité la fameuse communauté… introuvable.
« Nous pensons que notre communauté doit garder le souvenir d’erreurs passées, concernant l’amiante par exemple », est-il écrit dans le texte signé aujourd’hui. Doit-on alors considérer que les erreurs passées furent vraiment collectives (chez les scientifiques) ? Ou ne faut-il pas y regarder de plus près, et voir qui s’était tu ou avait menti, qui avait « lancé l’alerte » et quand (chez les scientifiques) ?
« Nous sommes profondément choqués de l’image de notre communauté que cette polémique donne aux citoyens » est-il également écrit. Les citoyens seraient-ils assez naïfs pour ne pas savoir que la polémique existe ? Qu’elle a toujours existé, de même que les luttes de pouvoir ou d’influence ? Alors, comme toujours, ils continuent de faire confiance à ceux qui savent les convaincre, parfois des individus isolés, parfois des institutions, qui continuent d’apparaître comme sérieuses.
C’est ici que l’appel à « la déontologie scientifique » et au respect de la « démarche scientifique » se justifie pleinement – en l’occurrence, les critiques qui ont été faites à l’expérience de Séralini doivent aussi s’appliquer à toutes les autres études, évidemment à celles qui ont auparavant validé l’OGM en question. Sinon, effectivement, grandira le risque du… « tous pourris ». Cela, les 140 signataires l’ont à juste titre senti.
Dominique Leglu