La prestation d’Alexis Tsipras, leader du principal parti d’opposition, SYRIZA, lors du rassemblement de Salonique du 15 septembre dernier, a sérieusement fragilisé l’idée que SYRIZA serait le parti des mouvements sociaux et de la gauche. [1] Son engagement en faveur d’un gouvernement « responsable » et son soin à se présenter comme le plus à même de remplir le rôle de Premier ministre ont modelé le discours de Tsipras ainsi que la conférence de presse qu’il a tenue à l’occasion du Salon international de Salonique.
Le président de SYRIZA a parlé de la nécessité de stopper le désastreux Mémorandum et lancé un « appel patriotique et démocratique » à « tous les Grecs, afin de reconstruire la Grèce. » La « reconstruction de la Grèce » a été le thème central et l’orateur a dès le début insisté sur l’idée, de collaboration de classes, d’une « reconstruction productive » du pays sans gagnants ni perdants, et sans prendre en compte le conflit d’intérêts, aujourd’hui si brutalement évident, entre les travailleurs et le capital. SYRIZA épouse ainsi la vieille idée d’un « contrat social » dans le cadre du système capitaliste. Il est notable qu’au cours d’un assez long discours, Tsipras se soit centré sur les propositions de SYRIZA pour le court terme. Il a à peine mentionné la nécessité d’un renouveau et d’une contre-offensive du mouvement de masse. Plus SYRIZA devient un « grand parti démocratique de la gauche », plus il rallume (sans pour autant ressembler au PASOK, car l’histoire ne se répète que sous forme de farce [2]) les vieilles illusions sur le changement sans rupture avec le système et sans soulèvement social, pour autant que l’on se propose de mettre en échec les politiques du Mémorandum.
Voyons d’un peu plus près le discours du président de SYRIZA. « Dans cette élection, nous avons perdu l’opportunité de disposer d’un gouvernement capable d’obtenir tout ce à quoi le peuple grec a droit, et ce que d’autres ont obtenu lors du dernier sommet [européen] du 26 juin. » Par exemple, « le Premier ministre d’Italie », qui « a obtenu la recapitalisation directe des banques sans aucune charge sur la dette publique » ! Cet éloge du banquier italien et Premier ministre, Mario Monti, a été l’une des premières réponses lors de la conférence de presse. Un accord ayant conduit l’Italie vers le Calvaire du Mémorandum, comme cela ressort clairement des décisions de ce sommet, est présenté comme une victoire ! Tsipras a-t-il réellement examiné les conditions de ce prêt ?
« SYRIZA-EKM [le nom officiel du parti] défend la stabilité économique, sociale et géopolitique », a proclamé Tsipras depuis la tribune d’un Velidio baigné d’une lumière rouge vif. Il a ainsi apporté sa garantie à tous ceux que l’instabilité préoccupe. Mais comment SYRIZA va-t-elle gérer le problème de la dette ? « Nous sommes pour négocier un délai [donc pas pour une annulation unilatérale] pour le paiement des intérêts de la dette extérieure, pour l’élimination d’une part substantielle de cette dette, et pour le paiement des dettes restantes avec l’inclusion d’une clause de croissance. Si les politiques en cours du Mémorandum étaient poursuivies sans changement, la Grèce s’effondrerait et les créanciers perdraient leur argent. »
Lors de la conférence de presse, le président de SYRIZA a été encore plus explicite : « Nous parlons d’un modèle tel que celui l’Allemagne en 1953 [3], et en même temps d’un mémorandum incluant une clause pour la croissance économique. Nous ne sommes pas des gens qui ne remboursons pas nos dettes. » En utilisant les expressions convenues des chiens de garde de la troïka, Tsipras rejette la position de tous ceux qui exigent la fin des paiements et insistent sur l’annulation de la dette. Il s’oppose à ceux qui considèrent que la dette a été payée mille fois, qu’elle est injuste, impérialiste, et sert à l’extrême les intérêts capitalistes. Cela inclut nombre de gens qui ont voté pour SYRIZA, mais qui n’avaient nullement pour critère que les créanciers ne devraient pas perdre leur argent !
Pour rembourser la dette, il faut un gouvernement stable, ainsi que la troïka et l’UE le clament avec insistance. Et les travailleurs doivent donc subir les terribles plans d’austérité. Certes, SYRIZA propose une autre variante. Elle parle d’une… consolidation fiscale qui serait « socialement juste et viable ». Afin d’atteindre l’objectif de recettes fiscales équivalentes à celles de la zone euro, dont la Grèce est aujourd’hui très loin, il faudrait apparemment augmenter les impôts. Mais aucune indication n’est donnée sur comment y parvenir. L’acceptation des conditions et critères du modèle néolibéral, telle que la propose l’équipe économique de Synaspismos (le parti réformiste de gauche qui dirige l’alliance SYRIZA), conduit inexorablement sur la voie de la gestion du système.
Comment donc obtenir le remplacement du Mémorandum et le moratoire sur la dette ? Là, Tsipras ne fait pas qu’éluder l’importance du mouvement populaire et la possibilité de stopper les paiements, il propose aux travailleurs d’user de méthodes homéopathiques. L’euro et l’UE ont démontré en pratique être non seulement d’excellentes armes pour les attaques du capital grec, mais aussi des instruments clés pour dégrader la situation des travailleurs de toute l’Europe. Et pourtant, Tsipras argumente que la Grèce a entre ses mains « un puissant levier dans les négociations » du fait de sa participation à la zone euro. Et il ajoute : « Si la Grèce n’avait pas l’euro, elle aurait été abandonnée à son sort bien plus tôt qu’on ne l’aurait attendu. Tout comme le Fonds monétaire international l’a fait avec l’Argentine. Certaines personnes ayant précédé M. Samaras [l’actuel Premier ministre] se seraient alors enfuies en hélicoptère. » Mais le fait que la Grèce soit toujours plus enchaînée par la monnaie unique à la cause de l’intégration capitaliste ne conduit pas le capital européen à faiblir. Il est déterminé à imposer ses politiques, en alliance avec la bourgeoisie grecque. Devrions-nous nous en réjouir, ou faut-il un désengagement anticapitaliste de l’Union européenne ?
Mais Tsipras n’a pas ce genre de préoccupations : « Le rôle de SYRIZA aujourd’hui n’est pas de dissoudre l’unité européenne. SYRIZA devrait aider à corriger la voie tortueuse de l’intégration européenne, qui a jusqu’à présent été déterminée par les intérêts dominants. » Son euro-loyauté et sa volonté de démontrer une attitude « responsable » l’ont également conduit à se réunir avec le chef du groupe d’intervention européen, Horst Reichenbach. La délégation de SYRIZA l’a assuré de « son intention de maintenir des contacts permanents avec les institutions de l’UE », au contraire de son attitude précédente envers la troïka. La « disposition à gouverner » appelle certains sacrifices.
Particulièrement frappante est l’absence totale de propositions anticapitalistes sur le plan social comme économique. Au lieu d’exiger la nationalisation des grandes entreprises d’importance stratégique, ainsi que l’annulation des privatisations antérieures, le président de SYRIZA parle d’un « développement coordonné des secteurs public, privé et social de l’économie ».
Tout aussi frappant est l’absence de toute référence à la question des bases de l’OTAN, on le suppose dans l’intérêt de la « stabilité ». A propos de sa future rencontre avec le président israélien, Shimon Peres, Tsipras a affirmé qu’il n’était pas d’accord avec la coopération stratégique et militaire avec Israël, mais a mentionné les échanges commerciaux et des relations mutuellement bénéfiques. Il a caractérisé de « pilote » le projet que Chypre et son Premier ministre, Christofias, ont mis au point en termes de développement des ressources en hydrocarbures, bien que Chypre soit entrée dans une alliance stratégique avec l’Etat terroriste.
Dans ce cadre, il n’y a pas lieu de s’étonner de la réponse faite par Tsipras à une question sur le développement des mouvements sociaux. « Aucun parti n’appuie sur un bouton » pour faire descendre les gens dans la rue, a-t-il déclaré. En s’empressant d’ajouter : « N’oubliez pas que nous avons soumis trois propositions de loi quand le gouvernement, avec beaucoup de difficultés, n’en a présenté que deux. »
L’intervention de Tsipras lors du Salon international a cependant suscité de fortes réactions au sein même de SYRIZA. Dans une déclaration de son comité central, DEA [4] a noté que promouvoir l’unité d’action de la gauche pour combattre les attaques du capital est une tâche centrale de SYRIZA. Selon DEA, « le slogan ‘‘aucun sacrifice pour l’euro’’ » et l’affirmation que « l’euro n’est pas un tabou » constituent des « bases minimales d’unité de SYRIZA ».
Les problèmes de SYRIZA ont évidemment des causes plus profondes. Sa direction parie sur un transfert pacifique du pouvoir suite à la désintégration attendue entre les trois partis de la coalition gouvernementale. La direction de SYRIZA paraît ne pas se rendre compte que l’intensification de la lutte des classes débouchera sur des défis sans précédent, sur des opportunités et des risques pour les travailleurs et pour toute la gauche. En même temps, le développement de la crise de la zone euro et de l’Union européenne réfute en permanence les illusions de la gauche euro-réformiste quant à un changement de direction politique – voyez seulement avec quelle rapidité Hollande s’est transformé en « Hollandreou ». Cela signifie également que les propositions supposément moins coûteuses, telle l’utilisation de la Banque centrale comme garantie en dernière instance, ou celle des euro-obligations, des euro-dépôts, etc., deviennent sans objet – au-delà de la logique réactionnaire visant à consolider l’UE au détriment des peuples d’Europe.
Fondamentalement, la profondeur de la crise historique du capitalisme totalitaire est aujourd’hui la raison décisive de l’impossibilité d’un contrat social consensuel, comme de celle d’une gauche sociale-démocrate qui lui ferait écho. L’alternative « socialisme ou barbarie » caractérise notre époque, et cela inclut l’alternative entre une gauche pour le renversement du système et une gauche qui lui y est intégrée. Tous les militants devraient prendre sur cette question une position claire.
Yanis Elafros