En 1965 parut un gros livre intitulé Avant que Nature meure. Dans le contexte de l’époque, l’ouvrage n’atteignit qu’une frange de naturalistes et des écologistes qui perçurent immédiatement son importance. Le livre mentionnait en sous-titre « Pour une écologie politique ». C’était la première fois qu’un distingué membre du Muséum national d’histoire naturelle et futur membre de l’Académie des sciences (en 1973) parlait de « politique » et de « capitalisme » en violant un tabou fondamental agrippé aux sciences de la nature, dans un ouvrage qui devint une référence, sinon un livre culte pour ceux qu’on appelait alors « les défenseurs de la nature ».
Curieusement, l’ouvrage parut dans la collection « Les beautés de la Nature » alors qu’il n’était que récit de massacres et de crimes innombrables contre le vivant dans les temps historiques, du fait de l’exploitation sans limite de tout ce que l’Homme peut conquérir. Etait-ce le livre d’un illuminé emporté par sa passion ? Non ! Le texte était en tous points rigoureusement exact et plus abondamment documenté sur le thème de la destruction des espèces que tout ce qui avait été publié auparavant.
Après un inventaire terrifiant de la bêtise humaine associée à la cupidité capitaliste (lire les récits des massacres définitifs de la Rhytine de Steller ou du pigeon voyageur américain), Dorst continuait par une réflexion pour une utilisation rationnelle des ressources, l’action et la place de l’homme dans la nature, l’explosion démographique du 20e siècle et la nécessité d’une réconciliation avec les écosystèmes. Tous ces thèmes anticipaient, sans en employer les mots, des discussions fondamentales qui prennent leur élan à notre époque : empoisonnement de la biosphère, biodiversité, développement durable, énergies renouvelables, et décroissance.
La réédition d’Avant que Nature meure [1], comble un vide dans les discussions qui s’ouvrent aujourd’hui, qui obligent les gouvernements libéraux à s’y plier. L’éditeur dit que « C’est une prise de conscience avant-gardiste avant les sommets de Rio et de Johannesburg ». La première édition avait inspirée de nombreuses publications dont certaines affirment que la disparition de l’homme (ou l’effondrement de notre civilisation) suivra la disparition des espèces dans un désert biologique anthropisé. Un livre récent émerge de ces publications parfois bavardes ou opportunistes : Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces de Franz Broswimmer [2], synthèse contemporaine de la dégradation de l’environnement et de l’extinction des espèces dans un système économique et une idéologie fondés sur le culte de la croissance. Cette suite donnée au livre de Dorst pourrait s’intituler Pendant que Nature meure. Dorst et Broswimmer forment un duo complémentaire indispensable pour qui aborde la question de la biodiversité [3].
Yves Dachy