Au complexe génético-industriel et à ses scientifiques qui ont intérêt au succès industriel des organismes génétiquement modifiés (OGM) s’oppose une opinion publique dont le bon sens lui dit que si les scientifiques sont dans leur laboratoire, ce n’est pas parce qu’ils savent, mais bien parce qu’ils ne savent pas, et qu’il est dangereux de s’en remettre à des ignorants, même si, en bons dialecticiens (là aussi, qui s’ignorent), ils se font passer pour des « savants ».
Les OGM sont-ils scientifiquement dangereux ? Plutôt que se laisser piéger par une expression qui implique que la modification génétique est le problème (ce qui conduit à le confier aux experts sous influence), il faut s’intéresser à ce que nous ingurgitons. Les lois et règlements exigent que les plantes semées soient « homogènes » – identiques ou presque – et « stables » – la même plante doit être vendue année après année. Un semencier fait donc des copies d’un modèle de plante. Personne ne niera que, pour les désigner, le terme « clone » est préférable à celui, usuel, de « variété » – le caractère de ce qui est varié, diversité !
Ces clones sont « pesticides ». Lors de son discours de clôture du Grenelle de l’environnement le président Nicolas Sarkozy avait condamné les « OGM pesticides » – 99,6 % des OGM vendus. Le pourcentage est le même cinq ans plus tard.
Ces clones pesticides soit produisent une toxine insecticide, soit absorbent un herbicide sans mourir. De plus en plus, ces deux traits se retrouvent simultanément. La toxine insecticide est produite par toutes les cellules de la plante. L’herbicide, lui, pour agir doit pénétrer dans la plante. La construction génétique y neutralise son action. La plante survit et l’herbicide reste. C’est le cas du Roundup de Monsanto. Dans les deux cas, le pesticide entre dans l’alimentation. Les industriels agrotoxiques sont donc en train de changer le statut des pesticides : de produits toxiques à éliminer autant que possible de notre alimentation, ils en font des constituants de notre alimentation.
C’est sans danger. Il suffit de s’assurer « scientifiquement » que « dans l’état actuel des connaissances scientifiques », on ne peut pas « scientifiquement » démontrer une toxicité éventuelle. L’absence de preuve devient la preuve de l’absence. Or l’état de ces connaissances est balbutiant. Par exemple, on ne sait pas grand-chose du « développement » de l’œuf fécondé à l’organisme adulte avec sa complexité tissulaire, spatiale, hormonale, physiologique, physique, etc.
Tout plonger dans un bain de perturbateurs hormonaux et autres produits chimiques est d’autant imprudent que ces molécules peuvent entrer en synergie et être plus toxiques encore à des doses non mesurables. Pour résumer, l’Italie nous a offert un plat sublime de simplicité, la pasta al pesto. Le cartel agrotoxique veut nous imposer désormais la pasta al pesticida. Ce n’est pas à ces « experts » de décider de notre appétit.
Enfin, ces clones pesticides sont brevetés. L’enjeu ? Les êtres vivants se reproduisent et se multiplient gratuitement. La loi de la vie s’oppose à la loi du profit. La vie a donc tort. En 1998, Terminator, cet OGM qui permet de stériliser les plantes, a révélé le secret le mieux gardé de la génétique agricole : séparer ce que la vie confond, séparer la production de la reproduction.
Mais il est plus simple, discret et gratuit d’opérer cette séparation légalement avec la directive 98/44 du Parlement européen et du Conseil « de brevetabilité des inventions biotechnologiques », transposée en France et adoptée à l’unanimité par le Parlement (sauf le groupe communiste) à la fin 2004. Au nom de l’innovation. Mais le brevet – un monopole renforçant un cartel – est exactement opposé à la doxa économique qui, depuis Adam Smith, enseigne que la concurrence est source de l’innovation.
Une société démocratique doit-elle se laisser dicter sa loi par les experts – ces « hommes compétents qui se trompent en suivant les règles » (Paul Valéry) – pour évaluer les clones pesticides brevetés (ou tout autre problème) ? Pas besoin d’experts pour se rendre compte que nous courons au désastre. Des clones, alors que la diversité biologique cultivée est à l’agonie. Des clones pesticides qui permettent d’éviter les tests coûteux imposés aux agrotoxiques chimiques et nous enfoncent dans l’addiction à des poisons qui créent leur propre marché et l’élargissent, car les ravageurs et les pathogènes les contournent. Des clones pesticides brevetés qui confient notre avenir biologique aux fabricants de produits en « cide », aux fabricants de mort.
L’expression OGM et les débats qu’elle impose révèlent l’état de notre démocratie. Appeler les choses par leur nom ouvre un possible renouveau démocratique : démonter une législation semencière dépassée qui impose les clones et condamne des associations qui, comme l’association Kokopelli, luttent pour sauvegarder la diversité. Lutter sérieusement contre l’addiction aux pesticides. En finir, enfin et surtout, avec le brevet du vivant. Le Parti socialiste n’a-t-il pas dit qu’il en demanderait la renégociation ?
Bien entendu, les thuriféraires annoncent l’avènement d’OGM philanthropiques et verts. Les OGM vont nourrir la planète et protéger l’environnement. Mais nous n’avons toujours que des clones pesticides brevetés. Comment ces OGM philanthropiques et verts pourraient-ils être ceux d’une société où la maximisation du profit est la seule règle, où les scientifiques sous influence remplacent la démocratie, où les fabricants de mort ont toute liberté pour confisquer la vie.
Les OGM philanthropiques et verts sont ceux d’une société démocratique et libre, donc philanthropique et verte qui, pour ces raisons, n’en aura pas besoin.
Jean-Pierre Berlan, ancien directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA)