Trois camarades du NPA ont adressé une « Lettre ouverte » aux signataires (de la GA) d’une tribune dans Médiapart intitulée « Pourquoi nous allons rejoindre le Front de Gauche ». Il faut s’en féliciter puisque la preuve est ainsi apportée qu’existe une volonté de débat, de confrontation et surtout de conviction réciproque. Existent en effet des références anciennes ou plus récentes qui posent certains principes de départ communs. Éliminons de suite un faux débat d’orthodoxie qui vaudrait mesurer qui est le « véritable dépositaire » de ces principes. Tout le monde l’est par définition, sauf à les renier explicitement. Et d’ailleurs cela va au-delà des signataires de la lettre ouverte ou de la tribune de Médiapart pour s’élargir à des strates encore plus larges.
Principes communs ; et pourtant des divergences suffisamment sérieuses pour qu’elles aient conduit à une séparation. Il convient alors de savoir si sont en cause les principes eux-mêmes. Ou alors seulement leur interprétation à partir d’une analyse de période, voire de données plus conjoncturelles. Vous dîtes : « Nous estimons quant à nous que l’orientation que nous défendons au sein du NPA est dans la suite logique de la création de ce parti, et que votre choix de rejoindre le front de gauche est une rupture dans notre histoire militante : l’animation d’une organisation indépendante, révolutionnaire avec la LCR, puis anticapitaliste avec le NPA, qui défende les réponses anticapitalistes à la crise tout en proposant l’unité d’action la plus large en permanence, ouverte aux différentes formes de radicalisation qui apparaissent, et qui soit insérée dans tous les mouvements sociaux. » Vous l’estimez, de plein droit. Permettez cependant qu’un avis différent et circonstancié aille en sens contraire. Pour engager cette discussion avec profit peut-être faut-il se départir des certitudes trempées dans le béton, d’analyse hâtives et de jugements définitifs. Peut-être la « Lettre ouverte » laisse t-elle trop peu de place à des interrogations pourtant indispensables. Et peut-être que trop de fermeture dans l’abord de ces questions (fermeture directement opposée à « notre histoire militante » vous en conviendrez) les tue dans l’œuf avant même qu’elles aient pu mûrir. Inutilement d’ailleurs : les faits sont têtus en la matière comme ailleurs, et les questions fondamentales qu’on écarte par la porte reviendront par la fenêtre.
On va venir à ce qui préoccupe les camarades qu’on peut résumer en deux questions : le choix du FG (et auparavant l’analyse de ce qu’il représente dans la période) ; la nécessité d’un parti révolutionnaire indépendant. La seconde encore plus importante que la première, mais toutes les deux à discuter. Nous allons poursuivre le débat sans chercher absolument à répondre point par point, mais en se contentant de qui est essentiel. En sachant de plus que décider ce qui l’est, essentiel, est aussi partie prenante du débat.
Mais auparavant qu’on nous permette d’ajouter d’autres questions dans cet échange, à nos yeux tout aussi importantes, peut-être plus encore.
Dans la mobilisation qui démarre à propos du TSCG le NPA unanime a fait de l’hostilité au référendum un cheval de bataille prioritaire. Savoir si cette revendication est la bonne ou pas dans la conjoncture se discute évidemment. L’Assemblée a été appelée à voter très rapidement par Hollande pour justement clore cette issue, et la revendication peut perdre tout sens concret aussi vite. De plus il ne faut pas laisser s’installer l’idée que la forme compte plus que le fond (le « non » au traité). Dont acte.
Mais ce qui importe dans ce débat sont les arguments mis en avant par le NPA. L’un consiste à dire que la demande de référendum représente une manœuvre portée par le FG pour éviter de porter le fer contre le vote des élus PS aux Assemblées. Tous ceux qui ont assisté à une seule réunion du FG à un quelconque niveau savent pourtant que l’obsession du PC est de faire le siège de chaque député. Qui cela pourrait étonner ? C’est business as usual, ils font comme ils ont toujours fait. Sauf que cette fois-ci ils ne s’en contentent pas et se sont lancés dans une mobilisation de rue.
L’argument est donc on va dire…étonnant, pour faire vite. Mais il y en a un deuxième, plus sérieux, plus profond, et bien plus grave. Celui qui indique que par nature le recours au référendum serait de l’électoralisme, position jusqu’ici seulement défendue par LO. Alors l’inquiétude grandit sur ce que cela signifie. On se rappelle la réaction de Philippe Poutou lors de la « menace » (tout à fait platonique d’ailleurs) de Papandréou d’organiser un référendum en Grèce. Une condamnation immédiate de la part du candidat du NPA. Comme d’ailleurs de la gauche en Grèce ? Sauf que dans un cas, celui du NPA, il s’agissait de s’opposer à un éventuel vote populaire au nom de la grève générale à venir. Alors que dans l’autre il s’agissait de demander justement ce vote, mais avec le pouvoir en jeu, autrement dit des Législatives, ce que d’ailleurs elle finira par obtenir. Il n’y a désormais aucun doute que, quelles que soient les conditions, tout appel au vote (et au référendum en particulier) allume une lumière rouge au NPA et que la réponse est invariablement « non ». Parfois c’est à juste titre, comme lors du mouvement de 2010 où l’appel aux urnes ne pouvait avoir d’autre sens que d’entériner avant l’heure l’échec du mouvement. Mais en réalité, si les arguments changent, plus largement, c’est la défiance systématisée devant toute expression par le suffrage qui paraît faire loi désormais.
Il s’agit d’une régression d’une importance fondamentale qui ne touche pas seulement à la conception du combat politique (thème récurrent des polémiques au NPA et auparavant à la LCR). Mais bien plus fondamentalement au bilan qui était tiré en commun sur ces questions démocratiques capitales quant aux choix du parti de Lénine et Trotski. Voici ce que disait le dernier Manifeste de la LCR : « Les limites de la réflexion sur la démocratie politique et l’importance du suffrage universel……ont …… désarmé la vigilance devant la montée de la bureaucratie. Rosa Luxembourg était consciente du danger……L’égalité des droits et le suffrage universel sont, comme acquis de « l’émancipation politique », un élément clé de toute démocratie ». Et encore : « En cas de conflit entre ces assemblées, le dernier mot revient au peuple, sur la base du suffrage universel. »
Alors que la dévalorisation des options socialistes et révolutionnaires s’appuie, et pas seulement de mauvaise foi, sur un bilan douloureux de la révolution russe et qu’il a fallu des décennies pour s’en émanciper sur ce point précis, les choix du NPA (et les argumentations qui les soutiennent) sont plus que préoccupants.
Autre point d’importance lui aussi, bien au delà des questions abordées par les signataires. Les camarades se réclament de l’internationalisme et critiquent le repli nationaliste du FG (spécialement de Mélenchon). On viendra à ces partis ci-dessous. Mais dans les textes, l’internationalisme est revendiqué aussi bien par le PCF que par le PG. Et par le NPA donc. Sauf qu’on voit bien que ce n’est pas comme pour le Port Salut. Il ne suffit pas que ce soit écrit dessus. Il en faut des preuves concrètes. Lors de la révolution sandiniste au Nicaragua il ne manquait pas « d’internationalistes » qui refusaient de la soutenir, au nom des trahisons à venir. Que ces trahisons fussent possibles, l’histoire a montré que c’était bien le cas. Et alors ? Depuis quand le véritable internationalisme juge t- il en fonction de ces risques pour éviter de se porter en soutien immédiat quand il le faut ? Et que constate t-on ? Que ce sont le FG (et aussi la majorité des responsables de la 4e Internationale) qui se sont portés et se portent encore en soutien à Syriza en Grèce (ou au moins à sa proposition d’un gouvernement unitaire anti-austérité). En tout « internationalisme » le NPA a défendu que Syriza ne méritait pas un tel soutien, qu’il fallait au contraire épauler ceux qui le combattaient. Avec des arguments différents que ceux des staliniens du KKE, mais un résultat identique dans la division. Certes dans un cas (les sandinistes) il y avait une révolution les armes à la main. Mais dans le principe, les raisonnements sont les mêmes. A l’identique. Et tout aussi inacceptables de la part du NPA. Car ce n’est pas une petite affaire. La situation d’effondrement de la Grèce est le premier test de cette ampleur depuis le milieu des années 70 avec la révolution des œillets au Portugal, question dont la centralité est donc sans commune mesure avec les autres questions abordées par les camarades (qui ont bien entendu leur importance spécifique). En l’occurrence, « l’utilité » invoquée par les camarades est du côté du FG (et de la majorité des responsables de la 4e Internationale) pas du côté du NPA. Stricte constatation. Mais qu’il faut discuter d’urgence puisque les confrontations principales restent probablement à venir en Grèce (sans parler du reste du Sud de l’Europe).
Il existe peut-être un lien entre ces problématiques et les autres questions abordées par les camarades. Entre le refus de soutenir sinon Syriza lui même (ce qui pourtant devrait aller de soi) au moins une alliance avec lui, et de l’autre côté la manière de principe d’aborder le FG et le choix de la GA de s’y intégrer. Là, il faut faire preuve de prudence et éviter donc les certitudes coulées dans le béton. Après tout, François Sabado, signataire de la lettre, fait justement partie des responsables de la 4e Internationale en désaccord sur ce point capital, avec le NPA. Débat à suivre donc.
La question de l’austérité
Les camarades affirment : « Le FG n’est pas indépendant du PS ». C’est une question clé qui concerne le choix de la GA, et aussi beaucoup d’arguments échangés à ce propos entre nous. Notons toutefois ce qui apparaît comme une contradiction majeure. Les camarades, dans leur projet de bâtir une opposition de gauche à Hollande, affirment que « …les organisations membres du Front de Gauche, le FG lui-même sont incontournables dans cette politique ». On comprend bien que le FG n’est pas le PS, qui lui-même doit être distingué de l’UMP, et à son tour celle-ci du FN (pour l’instant). Mais quand même, sur le fond du fond, les politiques austéritaires social-libérales diffèrent très peu de celles de la droite. Et si le FG « n’en est pas indépendant », il devrait en toute rigueur être considéré comme un adversaire. La longue liste fournie par les camarades comme preuve de la non indépendance (et même de la soumission) va exactement en ce sens. En tout cas certainement pas pour justifier le terme d’« incontournable » dans la lutte contre l’austérité, encore moins comme partenaire durable possible. Puisqu’il serait coauteur de cette austérité.
Pourtant il existe des appels aussi bien d’Olivier Besancenot que de Philippe Poutou à réaliser des accords contre la politique du PS qui s’adressent à LO et…au FG. Lequel « n’est pas indépendant du PS » ? Comment comprendre ces contradictions ? Que dans une politique visant une union dans les luttes, on vise large et sans a priori est une chose. Mais qu’on déclare « incontournables » des partis politiques spécifiques en est une autre. Sauf à sombrer dans l’opportunisme des rapports de force, là les mots ont un sens : on ne peut pas songer à une unité sérieuse contre l’austérité avec des partis qui, fondamentalement, la soutiennent, voire même n’en sont pas indépendants. Même la GA n’aurait pas songé à une chose pareille, il nous semble…
C’est que donc quelque part l’analyse est bancale, ou incomplète. Et pour saisir la question au fond, il faut revenir sur la conjoncture globale. Elle est marquée par la poursuite de la crise, sous des formes spécifiques à l’Europe. Et par la violence, inévitable au moins pour des années, des attaques contre le salariat, sans commune mesure avec ce que nous avons déjà subi. Dans ces conditions, être dans le train de ces politiques ou être contre voilà la ligne de fracture qui ne peut que produire ses effets, même progressivement. Il est toujours utile de mesurer au trébuchet les hésitations, les rétropédalages ou au contraire les accélérations le long de cette ligne de partage. Mais elle est la « grande question nationale » (pour reprendre un terme de Lénine) qui organise l’ensemble, à savoir les politiques de gestion de la crise. Le reste, (par exemple les discours qui accompagnent le positionnement à ce propos) a son importance, toujours. Mais cela vient en second. Les références que font les camarades aux expériences historiques sont toujours utiles pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Mais elles sont inadéquates en l’occurrence. Dans tous les cas qu’ils citent, sous des formes différentes, le PC soutenait en fait le gouvernement. Les camarades croient-ils sérieusement que c’est ce qui se passe et se passera ?
De quel côté dans ce partage sont et seront les partis du FG, non dans le détail, mais globalement ? Et peut-on parler justement de tout le FG comme le font les camarades ? Contrairement à ce qu’ils laissent entendre, il ne fait aucun doute que le PG et Mélenchon sont contre les politiques d’austérité et il n’y a pas l’ombre d’un risque qu’ils s’y rallient dans l’avenir prévisible. Pour le PC, les choses sont plus complexes, c’est vrai. Mais la réponse ne fait pas non plus grand doute, sauf à assister à des bougés du PS. Les camarades expliquent justement le positionnement du PC par celui du PS. Celui-ci ne laissant pas la possibilité au second de trouver une place dans le dispositif global, il le contraint à rester dehors. Mais on est justement là au cœur de la question. Le PS peut-il faire autrement ? Il ne semble pas. Et le PC de son côté ? Pas plus. C’est ce que nous avons sous les yeux, ceux des camarades comme les nôtres. Et ce n’est qu’un point de départ. Qui peut penser une seule seconde que les choses iront en s’améliorant du point de vue des politiques d’austérité ? Et, conséquemment, qui peut penser que le PC ira soutenir demain en plus dur ce qu’il rejette aujourd’hui en version encore soft ?
Le PC ne se déclare pas dans l’opposition, c’est incontestable. Cela dit la LCR non plus après la victoire de Jospin en 1997. Nous n’avions pas d’élus, donc on ne sait pas ce que cette « non opposition » aurait entraîné comme vote. Mais pourtant il était clair que la rupture de la LCR n’était qu’une question de temps. En est-il de même pour le PC ? Non, et pour des raisons fondamentales. Abandonner l’idée d’une majorité acceptable avec le PS le conduirait inévitablement à autoriser l’exploration d’une autre voie que cette majorité, voie à inventer mais devenue alors inévitable. Explosif. Et la question sera très concrète au moment des municipales qui constitueront (probablement, on en est encore loin) un test très sérieux pour le FG. Les pesanteurs matérielles du PCF (notamment son appareil municipal) peuvent l’entraîner à des choix bureaucratiques de conservation de ses positions (et on peut le voir venir vite, dès 2013). Mais les faits sont, là encore et très bêtement, fortement têtus. Retour à la question de départ : une majorité nationale est-elle possible ? Imagine t-on vraiment que le PC suivra le chemin d’un Hollandréou ? C’est la raison pour laquelle la décision de non participation est la plus importante. Elle indique vers où ça ne peut qu’aller, avec plus ou moins de cohérence et de rapidité.
Pour l’instant, malgré la liste dressée par les camarades des manquements supposés, cette rentrée confirme plutôt cette issue avec non seulement la mobilisation contre le TSCG, mais surtout l’appel plus large à poursuivre unitairement contre l’austérité. Rien ne dit que ce sera suivi d’effets concrets, mais du point de vue politique, oui, ça confirme ce que disait la GA. Plus ça va s’approfondir, plus ce sera le cas. Mais même si en définitive le PC s’orientait vers le soutien aux politiques d’austérité, ce serait perçu sans doute aucun comme en rupture avec son engagement premier, et ce sont les camarades qui sont au FG qui seront les mieux à même de le faire valoir auprès des militants.
Sur ces points, on ne va pas se convaincre maintenant. Encore une fois, loin des certitudes en béton, il faut juste écouter les arguments des uns et des autres. De plus, la vie va donner des indications rapides. La GA est assez confiante de ce point de vue, mais attendons pour bénéficier de nouveaux éléments.
Le front social et politique
Que faut-il faire ? Avec qui et comment ? La réponse des camarades est : « … c’est de cette unité d’action, de front unique disions-nous, dont les exploités et les opprimés ont besoin face à l’austérité social libérale qui les attend. L’opposition de gauche se construira par des réponses successives dans les luttes impliquant des associations, des syndicats, des partis qui petit à petit s’unifieront dès lors qu’il y a cette volonté. »
Le problème le plus préoccupant dans cette façon de voir les choses tient en la définition du front unique : « unité d’action » résument les camarades. Ce n’en est qu’une partie. Ils laissent de côté la question politique, comme si une issue gouvernementale, une alternative globale pouvait être issue seulement de l’accumulation des luttes. Laissons de côté le débat historique à ce propos pour se contenter de la situation présente. Face aux politiques de la Troïka, les luttes ne suffiront pas. Elles vont même devenir en partie conditionnées à la possibilité d’offrir aux masses une autre issue, politique. Sinon, il est plus que clair que le risque FN ira en se renforçant. Les partis ne s’unifieront pas « petit à petit ». Il y faut une bataille spécifique.
Et puis quels partis ? Si on a bien lu (et on a bien lu), ni le PC ni le PG. Par nature de ces partis, aucune alliance durable ne pourrait s’envisager. Une telle affirmation est nouvelle : le NPA s’est au contraire et très explicitement battu y compris à son dernier congrès pour une « alliance durable ». Et cette nouveauté ouvre des horizons bien différents. Nous avions annoncé que (peut-être) les positions du NPA dans le cas de Syriza en Grèce fussent liées à ce débat précis. Nous y voilà. En Grèce non plus il ne semble pas possible pour le NPA de soutenir une alliance de gouvernement avec Syriza. Peut-être objectera t-on avec raison que Syriza n’est pas le FG ? Mais retour alors à la question ci-dessus : quelles sont les conditions pour qu’une telle évolution soit possible ?
Si l’impossibilité n’était pas la position de fond des camarades (nouvelle assurément) il y aurait dans leur lettre non seulement la liste des petites et grandes trahisons, mais les conditions auxquelles une telle alliance serait possible. C’est ce que la LCR puis le NPA ont eu comme politique. La GA a jugé que la rupture avec le PS était suffisante pour s’engager. Pas les signataires. Un désaccord incontestable, mais ce n’est qu’une partie du débat. Et, ne craignons pas de le dire, pas la plus importante. Désormais une telle issue serait écartée en son principe. Sans reprendre l’inutile bataille de légitimité, il semble bien qu’il y ait là un bougé de fond, non déclaré comme tel. Parce qu’enfin si ce n’est pas possible avec des secteurs réformistes, avec qui sera-ce possible ? Il y a donc une affirmation (encore implicite) que jamais ne peut se concevoir en Europe de nos jours une alliance à potentialité alternative globale qui regroupe réformistes et révolutionnaires. Et que même la lutte à ce propos (si on suppose que la réalisation effective sera difficile) serait confusionniste. Sans donc qu’il soit question d’y appeler, éventuellement y compris contre la volonté même de dirigeants réformistes, et à des conditions déterminées. En effet encore faudrait-il pour cela que soient exposées ces conditions. En l’absence, le choix isolationniste que cela suppose est de portée carrément historique. Dans l’explication de l’écart entre le vote FG et celui pour le NPA, les camarades notent : « l’aspiration au vote unitaire et utile à la gauche du PS pour peser sur sa politique s’est lors de ces élections portée sur le candidat le plus « crédible » électoralement ». Oui. Peut-être. Surtout quand on affirme que l’on est soi même hostile en son principe à cette aspiration unitaire, inlassablement désignée comme illusion mortifère. Non ?
Le rassemblement des anticapitalistes
Un des points forts de l’argumentation de la lettre tient en ceci que, par définition pourrait-on dire, l’indépendance d’une organisation révolutionnaire est garantie si on refuse tout front, toute alliance. Mais (en plus de l’isolationnisme que cela peut produire), est-ce que cela résout le problème plus général, plus central, du rassemblement des anticapitalistes ?
« Le Front de Gauche n’est pas LE cadre pour construire une force anticapitaliste » disent les camarades. On ne voit pas bien à qui s’adresse cette remarque, comme cette autre : « Mais cela n’a rien à voir avec la décision d’abandonner le travail de construction d’une organisation anticapitaliste indépendante. »
Il est possible que des camarades défendent une telle l’option du FG comme LE cadre pour ceci. La GA en tant que telle, dans tous les documents adoptés, n’a jamais considéré que tel était le cas. Et, dans sa majorité, elle ne considère même pas qu’il soit possible et utile de transformer le FG en parti d’une manière générale. Pour ces deux issues (ou même seulement la seconde) il faudrait en particulier une transformation substantielle du PC qui n’a pas eu lieu, malgré des évolutions par ailleurs. D’une manière générale le Front n’est pas un parti, donc ce n’est même pas seulement la question du parti large versus « révolutionnaire » qui se pose mais l’insertion dans un front politique qui sur la question décisive du refus de l’austérité, de la non participation au gouvernement sont considérés ou non du bon côté. Mais bien sûr des désaccords entre formations il y en a et il y en aura : programmatiques, déclarations des uns et des autres, mais aussi de postures (votes aux Assemblées...).
Et la question demeure. Il faut rassembler les anticapitalistes. Mais est-ce synonyme du rassemblement des révolutionnaires ? Les camarades se sont-ils convertis à cela ? Sans procès d’intention inutile, ce n’est pas bien clair. Ceci, comme on devrait le savoir, ouvre plusieurs types de questionnements différents. Au moins deux principaux. Le premier est dans la définition du contenu du terme de « révolutionnaire ». On ne dispose plus d’une vision claire et achevée à ce propos, et les choses ne se sont pas améliorées dans les dernières années. Au final la question est la même que celle de l’élaboration d’une stratégie apte à soutenir une rupture révolutionnaire. La panne sur ce point conduit non à une « table rase », mais quand même à une sérieuse prise de recul. Des « révolutionnaires » comme nos camarades qui en Grèce ont refusé l’alliance proposée par Syriza ne sont pas des ennemis bien entendu. Mais on hésiterait à leur laisser le qualificatif de révolutionnaires d’une manière monopoliste… Peut-on par exemple imaginer que le terme n’implique pas un attachement écosocialiste ? Ou qu’il souffre d’une quelconque ambiguïté sur les questions démocratiques (et en particulier quant au suffrage universel) ?
Le recours au terme ne résout donc rien en lui-même. Mais la question se complique en ce que si la référence « révolutionnaire » peut par moment être vide de sens, la référence réformiste elle, en ses diverses versions, veut bien encore dire quelque chose. Non seulement en ce qui concerne le respect des institutions en place et la soumission aux seules procédures électorales, mais dans la relation jour après jour avec les mouvements de masse et les perspectives d’auto-organisation et d’auto-émancipation. Certes. Mais là encore, si ces questions sont repérables et toujours présentes, elles ne sont pas autosuffisantes en définitive. Dire que « révolutionnaire » doit être ré-élaboré revient aussi à dire que le réformisme doit l’être aussi, ainsi surtout que la possibilité de collaboration dans un même parti de visions « révolutionnaires » très différentes. En définitive, malgré les échecs rencontrés, on ne peut guère aller plus loin que ce que disait le Manifeste de la LCR. « Ainsi, la période ouverte par la chute du Mur de Berlin en 1989 et la virulence de l’offensive capitaliste dans sa phase néolibérale ont modifié les enjeux et les lignes de partage à gauche. Il y a désormais deux gauches au sein de la gauche. L’une, dominée par l’idéologie et la pratique social-libérale, a abandonné définitivement tout idée de changement de société. Elle est ainsi conduite à gérer le système aux conditions étroites fixées par la globalisation capitaliste, adoptant donc, à des libéraux. L’autre partie de la gauche rejette les limites et contraintes du système dans une perspective de changement réel. Ce partage entre les deux gauches ne coïncident pas avec les frontières actuelles des partis ou des organisations sociales tels qu’ils sont. Les soutiens du parti socialiste, des verts ou du parti communiste, comme les militants du mouvement social sont eux-mêmes traversés par cette partition. Dispersés, les partisans de l’anticapitalisme sont affaiblis. Nous militons pour leur regroupement dans une nouvelle formation, apte à exprimer politiquement le véritable rapport de forces en faveur d’une gauche 100% à gauche. Cette nouvelle force devrait regrouper les organisations et courants politiques se réclamant de la gauche radicale et toutes celles et ceux qui cherchent et chercheront une issue hors du capitalisme, qui refusent de se soumettre aux diktats du système en participant à des gouvernements de gestion de l’économie et des institutions capitalistes. Quand ce mouvement s’enclenchera, on peut supposer qu’il entraînera des parts des organisations politiques de la gauche actuelle, mais surtout des animateurs du mouvement syndical, altermondialiste, comme du mouvement social en général. »
Est-ce toujours le cadre dans lequel réfléchissent les camarades ?
Les camarades avancent : « …Il n’y a pas égalité entre vos forces, même augmentées de celles d’autres courants se réclamant plus ou moins de l’anticapitalisme comme les alternatifs, et celles du PCF et de Mélenchon avec le PG ». Et ce qu’ils disent n’est pas contestable. Mais déjà un regroupement écosocialiste au sein du FG améliorerait les choses, non ? Avec le NPA en plus, ce serait encore mieux, c’est l’objet même de nos débats…
Cela dit, ce qui est une constatation indéniable, c’est que les anticapitalistes sont plus dispersés que jamais. Les camarades conviendront aisément qu’il y en a plus hors du NPA qu’en son sein. Mais comment imaginent-ils résoudre le problème, eux ? Les choix de la GA ne sont pas les bons, les regroupements envisagés ne serviront à rien ? Admettons par hypothèse. Mais que proposent-ils, eux ? Une fois écarté même un front avec le PC et le PG (« par nature »), comment faire en sorte pour que se modifie le constat du Manifeste de la LCR « Ce partage entre les deux gauches ne coïncident pas avec les frontières actuelles des partis ou des organisations sociales tels qu’ils sont. » ? Comme la question n’est même plus posée (sauf sous la forme des « réponse successives dans les luttes »), par défaut s’impose alors la vieille idée du noyau pur et dur à développer. Ça ne marchait pas très bien hier, comment ça marcherait aujourd’hui ?
Sophie Agso ; Christophe Armen ; Charles Aubin ; Laurent Guindé 95 ; Samy Johsua